• On aurait dû le faire à la proclamation de l’indépendance
• Seul un vrai engagement politique peut bonifier les initiatives personnelles
• Il nous faut élaborer des textes pour toutes les communautés qui sont dans le culte ancestral
Kientega Pingdéwindé Gérard, plus connu par l’acronyme KPG, est issu de la famille des forgerons du Nord du Burkina Faso. Par le conte, il a emmené la forge dans plusieurs pays à travers le monde : Liban, Suisse, France, Canada, etc. Très attentif à l’esthétique des symboles, des images et des expressions, KPG s’est forgé un nom dans l’art de conter. La Journée des coutumes et des traditions (JTC), instituée par le gouvernement et qui sera célébrée pour la première fois le 15 mai 2024, a été une occasion pour l’Economiste du Faso de faire le tour de l’actualité de ce grand défenseur du culte ancestral.
L’Economiste du Faso : On sait que c’est à partir de 1997 que KPG intègre l’Atelier théâtre burkinabè (ATB) pour entamer un parcours de formation en théâtre et en conte. De cette époque jusqu’à maintenant, l’artiste navigue entre les scènes et les créations un peu partout à travers le monde. Quel a été le déclic qui a fait croire à KPG que le conte peut ou doit être son gagne-pain ?
Kientega Pingdéwindé Gérard (KPG) : Au départ, je voulais être comédien. J’ai commencé avec Sagltaaba et après, je suis arrivé à l’Atelier théâtre burkinabè. A chaque fois, on me confiait le rôle de conteur, de vieillard, gardien de la tradition. C’est comme ça que je suis arrivé dans le conte par hasard, en 1998. Cette année-là, un aîné, Ali Diallo, Directeur du festival de conte Yélen, à Bobo-Dioulasso, m’a invité à son festival pour un partage d’expérience avec les autres conteurs qui viennent des quatre coins du monde. Après la formation, les directeurs de festival qui étaient là ont commencé à m’inviter chez eux en tant que conteur. Voilà comment je suis devenu conteur confirmé. Petit à petit, on me confiait la scène pour une heure, alors que je n’avais que de petites histoires dénudées de dynamisme et hors cadre d’un spectacle conventionnel du milieu artistique.
Je commence alors à me rappeler ma tradition, la forge. Je me rends compte que cela intéresse les gens. Après quelques spectacles sur l’histoire, la symbolique de l’enseignement de la forge, la demande est devenue forte. Petit à petit, je commence à raconter l’histoire de la forge que je ne connaissais pas. Je retourne alors voir mon père qui m’a suggéré de me former. C’est comme cela que j’ai orienté tout ce que je fais sur la forge : la métaphore, la symbolique, l’enseignement. Je fais du conte de création, c’est-à-dire, je prends l’histoire de la forge comme une allégorie avec des personnages qui vont raconter l’histoire de la société ou traiter des thématiques bien précises de la société.
KPG a déjà parcouru le monde pour des spectacles. Quelle est pour toi la scène ou la création mémorable de ta carrière ?
Chaque spectacle qu’on joue est unique. Il y a des émotions qui sont plus intenses dans certains spectacles qu’on ne retrouve pas dans d’autres. En 2009, je devais participer aux jeux de la Francophonie au Liban et j’ai perdu mon père trois (03) heures avant mon vol. Les organisateurs ont pu reporter le voyage de 48h, mais juste à mon arrivée, je devais jouer. Non seulement je devais jouer, mais aussi compétir au nom de mon pays avec une vingtaine de pays. En entrant sur la scène, j’ai demandé une minute de silence en la mémoire de mon père pour capter l’énergie ancestrale du père. A mon passage, tout le public communiait avec moi sur la scène. Dès que j’ai fini de jouer, il y a eu délestage et le passage des autres candidats a dû être reporté. A la fin de la compétition, j’ai eu la médaille d’argent, certes, mais sur scène, je ne savais pas ce que je faisais. C’est avec les vidéos que j’ai pu me rendre compte de ce que j’ai réalisé sur la scène. Cette médaille, je l’ai donc eue grâce à l’esprit de mon père qui m’a enseigné la forge.
J’ai été aussi marqué, lors des Jeux olympiques d’hiver à Vancouver, en 2010. Nous étions des invités d’honneur à côté des présidents. Je me suis retrouvé au milieu de grands noms comme Angélique Kidjo, Yelow man, Garou…. Vivre avec ces personnalités quelques jours m’a fait prendre une autre dimension, celle de l’importance du travail bien fait.
Par la suite, j’ai eu plusieurs distinctions. Et chaque fois que j’ai un prix, je commence à avoir peur de ce que je fais. Les récompenses me mettent beaucoup de pression.
En 2017, on vous a vu avec « Kossyam » (nom du palais présidentiel burkinabè), une fable contemporaine s’inspirant de l’insurrection populaire de 2014 au Burkina Faso, qui a entrainé le départ du pouvoir du Président Blaise Compaoré. Peut-on s’attendre à « Koulouba », un autre spectacle qui parlerait aussi du Capitaine Ibrahim Traoré ?
Quand j’ai commencé à écrire « Kossyam », j’étais membre du Balai citoyen et participais activement à la lutte contre la révision de la Constitution, notamment, l’article 37 portant sur la limitation du mandat présidentiel. L’écriture de ce spectacle était une autre manière pour moi d’écrire l’histoire de mon pays sous l’angle d’un conteur qui voit une partie de notre histoire. « Kossyam » en mooré veut dire « demander la sagesse ». Magnifier cette partie de notre histoire a été pour moi une façon de réduire les stéréotypes qu’on colle aux Noirs : les maladies, les famines, l’absence de philosophie, la non-participation à l’évolution de la société. A l’école, on apprend les leçons avant de passer les examens, mais dans la vie, on passe les épreuves avant de retenir les leçons. J’ai voulu montrer qu’il y a beaucoup de sagesse et de connaissance qui se trouvent dans notre société. En écrivant le spectacle, j’ai suivi le courant : « Kossyam » parle de l’insurrection, les conséquences de l’insurrection ont donné « Kossyam 2 », mais faute de moyens, je ne l’ai pas encore mis en scène. Dans « kossyam 3», il est dit qu’il y a des crises partout. En réalité, la question de « Koulouba », je l’ai déjà traitée et comme l’histoire se déroule actuellement, je continue d’écrire. Quand on regarde les différents acteurs et leurs actions, en tant qu’artiste, on trouve beaucoup d’inspiration. Si un jour, j’arrive à mettre en scène ce spectacle, il y aurait beaucoup d’enseignements à en tirer.
L’une des particularités de KPG est son attachement à sa langue natale. Ses images et créations sont d’abord en mooré avant d’être traduites en français, par exemple. Pourquoi cela ?
J’ai commencé mes créations en utilisant ma langue maternelle. La langue maternelle est très riche. On y retrouve beaucoup de poésie, poèmes, métaphores, symboliques,… de sens et d’énergie que nos mots donnent. C’est pourquoi, je réfléchis d’abord dans ma langue avant de traduire en français. Certains trouvent donc la façon d’écrire de KPG très imagée et non conforme à celle de Molière
Par exemple, le mot « bonjour » en français, c’est « Bon et jour », deux mots. Dans ma langue, c’est « Yi beogo », en deux mot aussi mais qui veut dire « sortir demain » et non « bonjour ». Quand on va chercher plus loin, ça ne veut pas dire la même chose qu’en français. C’est cette philosophie que je tente de véhiculer dans mes créations.
Dans la majorité de ses spectacles de conte, on voit que KPG est accompagné de musicien et il chante ses textes. Pourquoi cette option ?
Le conte est un tout. Le conte, ce n’est pas que de la parole, c’est de la mélodie et les mots sont des séquences de mélodies. Quand je convoque la musique dans mon conte, ce n’est pas pour meubler le temps, c’est plutôt des éléments qui viennent consolider les non-dits ou compléter le sens de la parole.
Pouvez-vous nous parler de la famille des forgerons du Burkina Faso et leurs rapports avec les autres familles ?
La société traditionnelle est subdivisée en corps de métier et chaque corps de métier a une tache spécifique et joue un rôle dans le bon fonctionnement de la société dans son ensemble. Dans la hiérarchie même de la société moaga, lorsque les chansonniers ou les griots commencent à parler, ils demandent d’abord la permission à la forge et aux forgerons, ensuite aux nionnionssé ou chefs de terre, aux tengsoba ou chefs de guerre, aux nabissi ou princes, et après suivent les autres communautés qui ne font pas partie des moosé. Etre forgeron, ce n’est pas seulement frapper le fer et modeler la matière. Être forgeron, c’est toute une philosophie autour de laquelle il y a des valeurs qu’on tente de transmettre. C’est être présent à toutes les étapes de la vie, la naissance, les maladies, la mort. Les forgerons sont une famille qui joue le rôle de médiateur dans la société. Lorsqu’on a épuisé toutes les voies de recours face à une situation qui menace l’équilibre ou l’harmonie, on fait appel au forgeron. Mais il n’est pas le juge dans la société et son atelier n’est pas non plus un tribunal et son marteau un maillet. Le marteau du forgeron est à l’image de l’aiguille qui crée, tisse et renforce les liens familiaux et entre les villages.
Aujourd’hui, ces mécanismes traditionnels de résolution de crise ne fonctionnent pas, parce qu’il n’y a pas eu de transmission à la jeune génération. A titre d’exemple, lorsque je me retrouve dans le milieu scolaire avec les enfants pour des spectacles, ils confondent forgeron et sorcier, et pensent que la parenté à plaisanterie est un truc des vieux.
Dans la société traditionnelle aussi, le forgeron ne se marie pas avec les membres de certaines familles, notamment, les Peuls, les Yarcé et dans certaines régions avec les nionnionssé. Dans ces régions, le Centre-Nord, en particulier, les deux sont supposés être du même père, l’un a pris l’esprit nionnionga et l’autre est resté forgeron. Tout forgeron ne doit pas non plus voler du fer.
Comment peut-on rattraper l’erreur de la non-transmission à la jeune génération de ces mécanismes traditionnels de résolution de crise ?
Nous avons proposé « le conte à l’école : canal de transmission et outil pédagogique ». Dans les livres de lecture, il y a une soixantaine de contes, mais lorsqu’on demande à un enfant de raconter une histoire, il en est incapable. La faute revient en grande partie au cadre familial. C’est très rare de voir des parents lire un conte le soir à leurs enfants, alors que le conte développe la faculté cognitive de l’enfant. La reconnexion avec notre culture est la seule chose qui nous permettra de retrouver notre identité.
Le retour que nous avons après nos prestations dans les écoles est que les enfants développent mieux leur oralité, confrontent davantage leur imaginaire avec leur réalité et obtiennent de meilleures notes. Malheureusement, les moyens dont nous disposons ne nous permettent pas de faire encore le tour de maximum d’écoles. En plus du livre, nous avons écrit beaucoup de contes, fait un travail toponymique dans les quartiers qui n’attendent qu’être portés à la connaissance des élèves.
Les approches et les initiatives personnelles ne peuvent véritablement porter fruit que derrière un vrai engagement politique. Par exemple, le nouveau système éducatif demande de laisser l’enfant s’exprimer, rêver, créer, s’évader…, ce sont des choses que je fais depuis longtemps en Europe. Mais dès que tu fais une telle proposition ici, la première question qu’on te plaque à la figure : « Il vient de quelle université ? Il a quel diplôme ? ». En Europe, les gens m’appellent pour que je vienne donner des cours sur l’oralité, la forge, mais ici, certains ne le feront jamais, parce qu’ils sont dans leur carcan qui n’a rien à voir avec notre vie quotidienne. Il est important qu’on redéfinisse notre éducation en fonction de nos besoins, en fonction des réalités de notre pays, en fonction des valeurs que nous voulons donner à nos enfants.
Le 06 mars dernier, le gouvernement a institué la Journée des coutumes et des traditions. C’est la date du 15 mai de chaque année qui a été retenue pour la célébration du culte ancestral.
Quelle lecture KPG a de la consécration de cette journée. ?
On aurait dû le faire à la proclamation de l’indépendance, mais mieux vaut tard que jamais. Merci au gouvernement de transition d’avoir institué cette journée et à tous ceux qui ont plaidé pour qu’on puisse l’avoir. Cette journée vient résoudre plusieurs problèmes qu’on a cités. Elle permettra aux dépositaires de la tradition d’avoir un cadre pour la transmission des savoirs. Quand on est Africain, on doit être fier de l’être ; ce qui ne veut pas dire de rejeter les autres mais d’être fier de soi-même.
Si tu es assis et ton fils passe son temps à faire l’éloge du voisin comme un bon père, si tu es malin, il faut changer ta façon d’éduquer ton fils et tes approches avec ton fils.
Aujourd’hui, aucun peuple ne veut ressembler à un Africain. Il n’y a que nous qui voulons tout le temps ressembler aux autres. C’est l’occasion de magnifier nos héros. Je le dis déjà mais aujourd’hui plus qu’hier, je clamerai : « Soumahoro Kanté, l’ancêtre méritant, repose en paix ». Je pense à Béhenzin qui a lutté pour notre souveraineté cultuelle. Je rends hommage à Naaba Wobgo qui a lutté pour notre dignité. Yendabli…. Toutes ces personnalités qui ont réussi à être et rester dignes, intègres, malgré les difficultés de l’époque. Ils sont fiers dans leur tombe et leurs ossements craquent de bonheur en disant : « Bénédictions à tous ces fils qui font en sorte que notre culte et notre culture puissent demeurer pour toujours ».
Certains s’attendent à voir du folklore mais qu’ils déchantent. En ayant une journée consacrée à nos traditions, nous allons désormais élaborer un manifeste ou des textes pour encadrer ou recadrer toutes les communautés qui sont dans le culte ancestral.
Comment sera célébrée cette fête à votre niveau ?
Nous avons invité les forgerons du Burkina à une réflexion autour de la forge le 11 mai 2024. Dans l’atelier de savoir-faire, il y a trois types de savoir-faire forger : il y a ceux qui meublent leur vie avant de la forger, ceux qui font le choix de la forger avant de la meubler et il y a les forgerons de la vie et des meubles. Nous qui sommes partie prenante de la dernière catégorie, nous allons nous retrouver pour voir quel type de vie et de meubles nous voulons forger pour notre société. A travers cette philosophie, nous allons magnifier la forge et nos ancêtres méritants, car on nous a toujours dit que l’activité principale d’un forgeron, c’est d’accentuer son pouvoir d’aider à cultiver l’harmonie.
Le 15 mai également, nous allons nous joindre à l’ensemble pour faire la fête dans le but de magnifier nos héros, de dire gloire à nos ancêtres méritants, et de dire gratitude à Sooré, c’est-à-dire, la voie lactée où tous les êtres sont passés pour atteindre la terre et les autres quartiers de l’univers, gratitude aussi à l’entité mère, gardienne de cette voie qui transmet toutes les énergies capables de nous ressourcer et de pouvoir nous aligner avec les règles de l’univers.
Et pour finir cet entretien…
Vous savez, l’Homme est maître de la parole lorsqu’elle est en lui mais il devient son esclave lorsque la parole sort de sa bouche. Cette parole est comme de l’eau versée, une fois à terre, c’est difficile de la ramasser. La langue qui est chair qui coupe toujours la viande qui est os. Si dans cette interview, des gens trouvent des choses qui les offensent, qu’ils sachent que ce n’est pas cela l’objectif d’un forgeron. Un forgeron est là pour rassembler. Chaque fois que quelqu’un parle, il faut toujours le situer dans son contexte pour pouvoir le juger. Notre objectif est que le Burkina Faso retrouve sa quiétude d’antan, c’est avoir des espaces pour transmettre des choses que nous pensons utiles pour nos enfants, les générations futures.
La Rédaction