La Société de transformation des fruits et légumes de Loumbila (STFL) a non seulement été mal planifiée, mais elle a été aussi très mal gérée. Le dernier rapport de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC), portant sur des investigations menées en 2015 dresse l’inventaire des actes de mauvaise gestion, pointe la responsabilité de Denise Françoise Kambou/Nabalama, la toute première directrice générale entre mars 2009 et septembre 2013, et accuse le laxisme des autorités de tutelle et des structures de suivi de l’époque.
A la STFL, la mission de l’ASCE-LC, en 2015, visait à contrôler la gestion du projet d’implantation de l’usine. Plus précisément il était question de s’assurer de la qualité des études sur la matérialisation du projet et par la suite de sa bonne exécution. En rappel, la société, créée en 2009, devait démarrer ses activités de production en 2014. Mais à cette échéance, le projet accusait non seulement un gros retard, mais en plus, il devait faire face à de vraies équations engendrées par la mauvaise gestion.
Des problèmes pour lesquelles aucune solution n’était prévue dans le plan initial. Les investigations entreprises par l’ASCE-LC et l’Inspection générale des finances devaient donc faire le point.
«Le projet d’implantation de la STFL a été mal planifié et exécuté. La première directrice générale n’a pas géré le projet avec efficacité. Les contrôles au niveau du ministère de l’Economie et des Finances qui devraient permettre la maîtrise et le pilotage du projet n’ont pas fonctionné», indique le rapport de l’ASCE dans sa synthèse concernant le cas STFL.
Pour l’Autorité supérieure de contrôle, ces fautes de planification et de gestion ont conduit l’Etat à injecter plus de 6,1 milliards de FCFA (juin 2015) au lieu de 769 millions de F CFA dans le projet, au titre de la contrepartie nationale. Le rapport explique que le ministère de l’Economie et des Finances (MEF) a autorisé les déblocages sans justificatifs. Un laxisme? Il ajoute que le suivi du projet par le Conseil d’administration (CA) et la direction générale a également été insuffisant. Ce, en raison du manque d’autorité du CA, d’une part et d’une «direction générale intimidante», d’autre part.
Les constats des manquements au niveau de la STFL sont de plusieurs natures. De façon précise, il y a eu «un non-respect de la réglementation en matière de recrutement des premiers directeurs généraux», «la mauvaise gestion du personnel recruté dès le départ de façon complaisante». Ces fautes sont imputées au ministère chargé de l’Industrie de l’époque. Quant au MEF, il a surtout autorisé «l’utilisation des ressources à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été consenties».
Par la suite, il y a eu de la complaisance dans le contrôle. Ce qui a permis de continuer les décaissements injustifiés. La personne la plus incriminée par le rapport de l’ASCE-LC est la première DG, Denise Kambou. Le rapport l’accuse d’avoir bénéficié «d’un double paiement de rémunération pendant sa période de direction».
Ces salaires indument perçus sur le budget de la STFL s’élèvent à plus de 10,7 millions de F CFA (plus 11,5 millions si on inclut les indemnités). Sans tenir compte des besoins de la STFL, la première DG a également loué un véhicule à 50,2 millions de F CFA. Pareil pour un camion-citerne dont l’ASCE-LC estime que «la location à plus de 12,6 millions est injustifiée et constitue un gaspillage de ressources».
Outre ces cas, il est reproché à Mme Kambou «la disparition d’un salon de 1,5 million de F CFA». Elle est aussi accusée d’avoir effectué «des paiements de dépenses sans pièces justificatives» pour un montant d’environ 480 millions de F CFA.
La même faute est reprochée à sa successeuse, Kadiatou Boyarm/Haïdara (septembre 2013 –janvier 2015), pour un montant 32, 8 millions de F CFA. Au titre des «dépenses non éligibles et inopportunes», c’est la somme de 17,1 millions de F CFA qui a été découverte. Il y a aussi des manquements sur «le non-respect des procédures de passation de marchés», «des exécutions de contrats gré à gré de plus d’un milliard», etc. Sur l’ensemble de ces constats, l’ASCE-LC recommande de faire rembourser, par les personnes incriminées, les sommes irrégulières. A elle seule, la première DG devrait rembourser environ 2,1 milliards de F CFA. Pour ce qui concerne la suite de la démarche pour l’opérationnalisation de la STFL, l’ASCE-LC fait des recommandations dont certaines d’entre elles sont caduques aujourd’hui avec la mise de la société sous administration provisoire depuis le 31 mars 2017, sur décision du Conseil des ministres.
Le régime d’administration provisoire est prévu pour les sociétés d’économie mixte «en cas de difficultés graves de nature à compromettre la continuation de l’activité d’une société de ce type». Il suspend les organes comme le Conseil d’administration et place l’Administrateur provisoire comme seul maître.
Au terme de son mandat, celui-ci doit proposer un projet de plan de redressement. Mais le cas de la STFL un vrai bourbier pour lequel il faudra une volonté politique et des moyens conséquents pour dégager son horizon.
Karim GADIAGA
Il faudra une vraie volonté politique
En plus de travailler à l’apurement du passif, notamment les dettes, l’Administrateur provisoire (AP) devrait également parvenir à préserver le matériel et autres biens de la STFL soumis aujourd’hui à la saisine, par voie d’huissiers commis par des créanciers de la société. Au bout, il devrait proposer le meilleur scénario pour la privatisation, déjà actée, de la STFL. Mais le chemin s’annonce très difficile pour Issaka Souwerma, officiellement installé le 24 avril 2017.
Il faudra certainement l’implication réelle des plus hautes autorités pour que le processus soit un succès. Déjà, il a fallu plusieurs interventions du procureur près du TGI de Ziniaré pour empêcher des saisies par des créanciers qui ne cessent de se présenter. Des attributaires de marchés inachevés et des prestataires, tous impliqués dans des montages financiers complexes où les protagonistes se doivent mutuellement de l’argent, attendent que la STFL leur paie.
De son côté, la STFL tente vainement de recouvrer ses dettes ou ses biens détournés. Rien que le remboursement des montants déterminés par le rapport de l’ASCE-LC aurait pu suffire à relancer la Société de transformation des fruits et légumes de Loumbila.