• Il ne faut pas nous déposséder de nos missions
• On a besoin de l’Etat, mais pas comme acteur
• On n’a pas d’autonomie
Ibrahim Sanfo est le président de l’interprofession de la filière anacarde. Il est également responsable du cadre de concertation des interprofessions. Rencontré à Bobo-Dioulasso, lors de la 5e rencontre Etat/secteur privé, il revient sur les difficultés de la filière et les préoccupations des acteurs en termes d’autonomie.
Vous sortez des concertations Etat/ secteur privé, que retenez-vous de l’édition 2023 de cette rencontre ?
Ibrahim Sanfo, président de l’interprofession de la filière anacarde: Nous avons salué la tenue de cette édition qui, comme les autres, permet aux acteurs du privé de s’exprimer sur leurs préoccupations et de chercher ensemble avec l’Etat les solutions pour le développement du pays.
Cependant, nous avons peur de la routine. Les recommandations sont toujours faites et leur pertinence démontrée, mais il n’y a pas suffisamment d’actions derrière pour la mise en œuvre (NDLR : Pour 2021, 58% de mise en œuvre). Cela donne l’impression de faire du surplace, alors que nous sommes dans des secteurs d’activités dynamiques et qui changent d’année en année. Si la mise en œuvre des réformes ne suit pas, on est vite dépassé en termes de compétitivité face à la concurrence sous-régionale et internationale. C’est un plaidoyer que nous faisons pour que la feuille de route issue des recommandations soit mise en œuvre et réalisée au maximum. Il y va de l’intérêt même des concertations.
Quelles ont été les préoccupations posées par les acteurs de votre filière ?
La filière rencontre des difficultés dans sa chaîne de valeur, notamment, un défi de marchés. Vous le savez, avec l’interprofession et les structures d’appui, le focus est mis sur l’augmentation de la productivité des vergers. Une chose est d’avoir le produit, une autre est d’avoir le marché. Et comme nous ne sommes pas les seuls producteurs de la sous-région. La Côte d’Ivoire produit plus d’un million de tonnes. Un autre gros concurrent, c’est le Cambodge, avec plus d’un million de tonnes également. On a des coûts de production élevés qui nous obligent à travailler sur le matériel végétal pour augmenter les rendements, et en plus, nos concurrents ont une qualité de noix meilleure à nous. Si la production est très bonne chez les concurrents, nous risquons d’en pâtir.
Ce sont des défis importants que nous devons gérer dans l’intérêt de toute la filière. Il nous faut également trouver une solution à la transformation sur place des amandes, dans le cadre de la promotion du consommons local. Seulement 1% de la production est transformée et consommée sur place.
Il est vrai qu’a priori, ce n’est pas un produit accessible pour les plus démunis, mais il faudra justement envisager des stratégies dans ce sens. Une clé pour y arriver est de revoir les coûts de production à la baisse et cela est lié au rendement des vergers.
La campagne dernière, on était à 200 mille tonnes, pour celle qui est en cours, nous n’avons pas encore des estimations stabilisées. Ce qui est constant, c’est que la production augmente d’année en année, avec de nouvelles zones de production.
Vous êtes le président du comité interprofessionnel de la filière anacarde, tout va-t-il bien au sein de l’interprofession ?
Je dirai oui. Nous fonctionnons selon la loi 050 qui dit que le comité doit être composé des maillons de la chaîne des valeurs (production-transformation-commercialisation/exportation). Cette loi met l’accent sur le maillon production sans lequel les autres ne sont pas viables. Nous avons donc un maillon production fonctionnel depuis 2013, alors que l’interprofession a été mise en place en 2015. Nous fonctionnons très bien, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de difficultés. Il s’agit, notamment, de la mise en œuvre de nos actions pour animer et développer la filière.
La loi 050 nous a assigné un certain nombre de missions. Outre la défense des intérêts de nos membres, il y a en bonne place le développement de la filière anacarde, la fixation des prix de vente au kg à chaque campagne et l’élaboration de stratégies entrant dans le cadre de la promotion et le développement de la filière. Nous constatons aujourd’hui que tout cela est pris en otage par le CBA qui, selon notre entendement au départ, devait être une autorité de régulation qui devait venir accompagner les acteurs et exécuter et se substituer à ces derniers. Nous avons connu l’Etat dans son rôle d’accompagnant pour renforcer les capacités des acteurs et leur permettre de faire face à leur destin. Actuellement, c’est l’Etat qui est à la manœuvre sur l’ensemble des segments, alors qu’il n’est ni producteur, ni commerçant, ni exportateur. Nous contribuons au dispositif pour la fixation des prix, mais ce n’est pas nous qui fixons ces prix. On nous a opposé une loi sur la concurrence qui ramène cette prérogative au ministère du Commerce.
Vous avez rappelé vos missions, comment les financez-vous ? Avec le prélèvement fait sur la noix ?
L’idée au départ, c’était d’en faire un outil de développement de la filière. Les fonds constitués devaient financer des activités allant dans ce sens. En 2018, nous avons mis en place le schéma répartir une partie du fonds à la recherche et une partie au ministère de l’Agriculture pour le renforcement du système de production, une partie au Commerce pour le volet industrialisation pour équiper les transformateurs, les Finances également prenait une partie. 80% revenaient à l’interprofession et les 20 % pour le budget de l’Etat. Ce modèle a été revu au profit du CBA qui nous octroie aujourd’hui des subventions qui nous permettent juste de fonctionner. On ne peut pas financer des actions d’envergure avec ça. L’interprofession et ses maillons ont été dépossédés de leurs missions. C’est le CBA qui juge de la pertinence des actions à financer. On a une mission de fonctionnement.
Donc, l’interprofession ne peut pas initier et financer des projets au profit de ses membres…
C’est cela. Si on veut faire des acquisitions, il faut passer par CBA sous la forme d’un appel d’offres, par exemple. Ce que nous acteurs estimons pertinent peut ne pas l’être à leur niveau. On n’a pas d’autonomie. Malgré les milliards rapportés par la filière, il y a toujours des problèmes, parce que les acteurs ne sont pas écoutés. Peut-on faire le bonheur des gens à leur insu ? Quand on associe les gens aux réflexions, il ne faut pas se limiter aux préoccupations, ces acteurs ont aussi des solutions. Mais, dans la mise en œuvre, on se rend compte que c’est autre chose qu’on nous propose. Nous sommes comptables d’avoir accepté d’aller à ces discussions.
Quelles solutions pour régler ce problème de collaboration entre CBA et l’interprofession ?
On a besoin de l’Etat pour les chantiers de développement de la filière, mais pas comme acteur direct. CBA doit être un régulateur, il doit participer à assainir la filière et laisser l’interprofession et les maillons et les partenaires techniques être des acteurs sur le terrain du développement. Ici, tous les ministères sont impliqués : l’Environnement pour la séquestration du carbone, l’Agriculture qui forme et organise les agriculteurs, le volet transformation que gère le Commerce, etc.
Actuellement, CBA est le maître absolu de la filière. Il faut donc une ouverture, sinon cela donne l’impression que la filière est prise en otage.
Mais CBA a un Conseil d’administration, vous n’y êtes pas représentés pour décider de ce qui vous intéresse ?
Le Conseil est composé de 9 membres, dont quatre acteurs directs. Les décisions du Conseil d’administration sont validées par le ministère de tutelle (Commerce et Finances), ce qui veut dire que le Conseil n’est pas totalement autonome.
Sur le fameux prélèvement, vous aviez interpellé le Premier ministre sur la constitutionnalité du prélèvement sur l’anacarde et vous demandez également qu’on vous reverse votre part de prélèvement avant l’adoption de la nouvelle règlementation…
En tant qu’interprofession, c’est le plaidoyer que nous privilégions, mais comme ça n’avance pas, ce n’est vraiment pas simple. Les dossiers sont en cours. On attend de voir ce que cela va donner. On s’est senti obligé d’agir de la sorte pour qu’au moins nos intérêts soient préservés. Il y a eu des pressions sur ces dossiers.
Je vous donne un exemple. L’étude architecturale de la Maison de cajou, voulue par les acteurs, a été bouclée. Le budget arrêté. Cette activité est bloquée, alors que sa mise en œuvre allait permettre de rationnaliser la subvention qu’on nous octroie chaque année pour le fonctionnement. Tous les maillons se retrouveraient dans un seul bâtiment, avec un personnel administratif commun. Cela permettrait plus tard, de réduire les charges de fonctionnement et d’utiliser nos subventions pour financer de petites activités de façon autonome.
Prenons l’exemple de « Défi anacarde », qui a travaillé dans les Hauts-Bassins et dans la Comoé, avec une vision production-transformation. Ce projet a accompagné des femmes pour l’accès à la terre. Il est arrivé à terme. Nous en tant qu’acteurs, on aimerait poursuivre sur les traces du projet, parce que les résultats sont bons. CBA pourrait bien utiliser les ressources de la filière pour cela, non ?
C’est au regard de tout cela que nous avons demandé de nous rétrocéder notre part de fonds collecté, au vu de l’arrêté de 2018, pour qu’on puisse aussi travailler. C’est notre droit sur les 80%. CBA, sur les 4 ans de gestion, ce que nous voyons, ce sont des études et des missions pour le moment.
En tant que responsables de la filière, c’est notre devoir d’attirer l’attention sur ce qui ne marche pas. L’Administration, peut-être tire son compte, mais la filière n’avance pas. Il y a plus de 45 000 ménages qui vivent de l’anacarde, plus de 10.000 commerçants et une dizaine d’unités de transformation qui emploient des jeunes, c’est très important de résoudre les problèmes.
Entretien réalisé par AT
Encadré
La loi sur les filières porteuses.
Le diagnostic et les solutions du gouvernement
Les filières se butent à de nombreuses difficultés, liées surtout à la commercialisation et à la transformation des produits :
– la faible organisation du marché, marquée par la persistance des achats bords-champs et les achats sauvages ;
– la difficulté d’accès aux financements conventionnels ;
– l’absence d’une règlementation adéquate.
Face à ces difficultés, le gouvernement envisage un cadre juridique et institutionnel adapté pour résoudre structurellement les problèmes rencontrés, à travers une loi organisant la commercialisation et la transformation des produits des filières porteuses au Burkina.
L’avant-projet de loi en cours d’élaboration prévoit :
– l’institution d’un agrément en qualité d’acheteur de produits des filières porteuses ;
– l’instauration d’une autorisation spéciale pour chaque opération d’exportation ;
– l’instauration de prélèvements de redevances sur les volumes des exportations, en vue de financer les activités de promotion et de développement des filières ;
– la création d’une structure de régulation pour mieux suivre les activités des interprofessions, harmoniser et coordonner les interventions des différents acteurs directs et indirects dans les filières concernées.
Pour la filière anacarde et sésame, les choses sont en avance. C‘est ainsi que du côté de l’anacarde, le Conseil burkinabè de l’anacarde (CBA) a été mis en place « pour mieux accompagner le développement des différents maillons de la filière anacarde. Les ressources du CBA sont constituées essentiellement des prélèvements effectués (entre 25 et 35 FCFA/kg).
80% de ce montant est reversé au CBA et 20% à l’État. Le montant total recouvré sur la période 2018-2019 était d’environ 6 milliards FCFA. o