Le 9 juin 2022, la Banque mondiale publiait officiellement son rapport sur la situation de l’économie du Burkina Faso. Ce document périodique met en évidence les tendances économiques récentes et pose le débat sur des questions de développement pour le pays. A l’occasion du lancement de l’édition d’avril 2022, L’Economiste du Faso a eu un entretien avec deux de ses auteurs, Daniel Pajank (Economiste principal de la Banque mondiale pour le Burkina Faso et co-auteur du rapport) et Kodzovi Senu Abalo (Economiste pour le Burkina Faso (AFW)/ Departement Macro, Comm. Inter., et Investissement (MTI)). Quel est l’intérêt de cette note ? Les options proposées sont-ils des conseils gratuits à l’Etat burkinabè ? Sur la subvention du carburant, quel est l’avis des experts de la Banque mondiale ? Autant de questions auxquelles les experts ont bien voulu partager leur point de vue. Lisez plutôt !
L’Economiste du Faso : Quel est l’intérêt de cette note en termes d’appui financier, ou faut-il considérer ses recommandations et les options proposées comme des « conseils » gratuits à l’Etat burkinabè ?
Daniel Pajank et Kodzovi Senu Abalo (co-auteurs du rapport) : Pour répondre à votre question, permettez-moi de décrire brièvement les 3 principaux produits ou services que la Banque mondiale offre au Burkina Faso. Tout d’abord, nous fournissons des analyses, comme cette note, sur la situation de l’économie. Et nous les économistes pays, ensemble avec nos collègues des autres départements, produisons un large éventail d’études dans tous les secteurs.
Deuxièmement, nous fournissons au gouvernement de l’assistance technique sur la base des analyses menées, de même que des appuis-conseils, souvent fournis par des experts hautement spécialisés qui travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement.
Le troisième service, c’est le financement. Il est important de noter que le financement vient soit en prêt, soit en don. Et le Burkina reçoit la moitié de tout financement en prêt hautement concessionnel, et l’autre moitié en dons. Ces financements sont étroitement liés aux conclusions des analyses et sont accompagnés d’une assistance technique. Ces trois choses sont donc connectées. Nous ne faisons pas de financements sans d’abord prendre le temps d’analyser les choses en profondeur et de proposer des appuis techniques adaptés aux besoins afin d’accompagner au mieux les projets.
Par rapport aux recommandations ou options de politiques publiques, laissez-moi vous donner un exemple concret qui montre comment des recommandations tirées d’analyses peuvent être soutenues par de l’assistance technique et du financement.
L’une de ces recommandations passées portait sur l’amélioration de la viabilité de la dette publique. Au cours des deux dernières années, notre équipe a soutenu la Direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique (DGTCP), notamment, sa Direction de la dette publique (DDP) et d’autres structures connexes, à travers une série d’assistances techniques. Cette action était liée au financement d’un appui budgétaire de 100 millions de dollars. Sur la base de ce travail, et surtout grâce à la volonté affichée du gouvernement, le Burkina Faso est devenu un leader en matière de transparence sur la dette, en fait, désormais le meilleur parmi tous les pays IDA. Cette prouesse est ainsi née de la collaboration entre la Banque mondiale et le gouvernement. Dans la mêlée, le gouvernement a décidé de continuer sur sa lancée, et de désormais publier une déclaration sur les risques budgétaires. La déclaration inaugurale, produite conjointement par les départements de la planification (DGEP), du Trésor (DGTCP) et du budget (DGB), vient tout juste d’être publiée, son objectif étant de contribuer à améliorer la viabilité de la dette.
Et nous sommes en train de fournir plus d’assistance technique pour aller encore plus loin. En bref, on peut retenir beaucoup d’exemples, mais…oui nous sommes là pour accompagner le pays dans sa mise en œuvre d’options de politiques publiques, certaines étant inclues dans ce rapport.
Le rapport dit que les perspectives économiques et de pauvreté sont incertaines, après le récent changement de régime anticonstitutionnel, combiné à une insécurité croissante, à l’impact du changement climatique et aux effets persistants de la Covid-19. Lequel de ces trois facteurs pourrait être déterminant à vos yeux, pour amortir ces perspectives incertaines ?
Je peux même ajouter un 4e facteur, l’inflation, qui a atteint un pic décennal en 2021 et va continuer sur cette montée en 2022, renforcée par les effets de la guerre en Ukraine. Cette inflation, qui est reflétée par une ascension forte des prix des denrées alimentaires, joue négativement aussi bien sur la croissance réelle que sur la pauvreté.
Pour répondre à la question, il faut dire que la plupart de ces facteurs sont liés, et en plus il est difficile de les démêler. Par exemple, les évènements du 24 janvier sont une conséquence plus ou moins directe de la situation d’insécurité croissante que connait le pays.
Pour quand même essayer de faire le classement, je pense que l’insécurité vient comme facteur N°1. Elle a pris de l’ampleur ces dernières années et a des conséquences indéniables sur l’économie. Il y a désormais près de deux millions de personnes déplacées internes, laquelle crise humanitaire a des conséquences négatives liées, entre autres, à la disponibilité et la productivité de la main d’œuvre, notamment, en milieu agricole et rural. Il a un impact négatif sur les superficies agricoles effectivement cultivées, les paysans étant forcés de déserter leurs terres. Cela affecte donc la production agricole et les revenus de beaucoup de ménages. L’insécurité a également un impact sur la consommation : toutes les zones délaissées sont autant de zones qui ne participent plus de façon active à la consommation nationale. Par ailleurs, les populations déplacées se retrouvent souvent avec peu ou pas de revenus, du fait de la perte de leurs emplois.
Le second facteur, qui est donc lié au premier, ce sont les évènements du 24 janvier. La situation a certainement eu un impact négatif sur la mobilisation des ressources concessionnelles. Par ailleurs, et on ne le souhaite pas, elle peut, comme dans le cas du Mali, conduire à des sanctions financières qui vont rendre difficile, voire impossible l’accès du Burkina Faso au marché financier régional, avec tout son corollaire en termes de pressions supplémentaires sur les finances publiques.
Le 3e facteur, c’est le changement climatique. L’agriculture au Burkina Faso est une agriculture de subsistance, dont la performance est par ailleurs très étroitement liée aux niveaux de précipitation, vu la faible mécanisation et le taux, très bas, d’irrigation. C’est donc dire qu’il y a une relation directe entre le changement climatique et la production agricole. Pour vous donner un exemple, la saison des pluies de juillet 2021 a été caractérisée par une mauvaise répartition spatiale : des périodes de sécheresse prolongées et une faible disponibilité en eau dans les réservoirs ont été localement observées dans certaines régions. Cette situation a retardé l’ensemencement et l’entretien des cultures et on estime que les rendements agricoles ont baissé jusqu’à 50 %. Par ailleurs, des épisodes de sécheresse ont persisté dans plusieurs localités, et ce, jusqu’en septembre 2021. En même temps, des inondations dans certaines parties du pays ont causé des pertes de récoltes. Et donc, le facteur climat est essentiel et doit être suivi du fait de son impact très direct sur la performance du secteur primaire, la sécurité alimentaire, et la pauvreté.
Le dernier facteur pour clore ce classement, c’est la Covid-19. Il faut dire que son effet n’est plus aussi fort qu’en 2020. Mais, n’empêche ; elle continue de peser significativement sur la reprise économique globale et le niveau de la demande mondiale. Elle rend également difficile, l’accès à des biens et équipements essentiels, notamment, en provenance de la Chine, ce qui contribue aux pressions inflationnistes sur les marchés internationaux ; autre conséquence liée qui contribue à l’inflation : la congestion sur les chaînes mondiales d’approvisionnement et de logistique. Enfin, la lente reprise économique constatée dans beaucoup de pays développés a entrainé une diminution de l’appétit des investisseurs étrangers, phénomène qui impacte négativement le Burkina Faso, surtout dans les secteurs non miniers.
L’inflation est un élément nouveau, dans la mesure où les prix s’enflamment, ce qui est devenu une donne essentielle pour toute la politique de l’Etat va se mettre en place. Dans ce contexte, vous prévoyez quand même 4% de croissance. N’êtes-vous pas un peu optimistes par rapport à la situation du Burkina.
Permettez-moi de remettre cela dans son contexte. Avec une croissance de 4,8% (projetée pour 2022), équivalent à un accroissement du revenu par habitant de 1,9 %, il faudrait au Burkina Faso presque 40 ans pour doubler son niveau de revenu par habitant, et il lui faudrait à peu près 60 ans pour atteindre le niveau actuel de la Côte d’Ivoire. Vous voyez donc que les 4,8% ne sont pas si élevé que ça. Il faudrait donc que le Burkina Faso fasse beaucoup mieux, et nous savons tous que le pays a les moyens de faire mieux. Nous travaillons actuellement sur une étude dédiée à la croissance économique qui sera finalisée, en collaboration avec le gouvernement et le monde académique, dans le courant de l’année. Cette étude proposera des options concrètes en matière de politique de développement afin que le Burkina Faso puisse accélérer sa croissance et la rendre beaucoup plus inclusive et plus résiliente.
Pour revenir à la question, mettons les choses en perspectives : notre projection est bien en deçà de celle du gouvernement qui table sur 6,7%. Ce qui montre que nous sommes quand même assez prudents. Et cette prudence s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs.
Le premier, ce sont bien sûr les effets de la guerre en Ukraine, avec son impact inflationniste, notamment, sur le prix de biens d’importation essentiels (denrées alimentaires, hydrocarbures, énergie), et l’accès difficile aux intrants agricoles qu’elle entraine.
Le deuxième facteur, c’est l’aggravation de la situation sécuritaire dans certaines zones du territoire, avec ce que cela implique comme conséquences sur l’offre de travail et les superficies mises en valeur pour la production agricole.
En troisième point, il faut reconnaitre que la conjoncture sociopolitique au Burkina est assez incertaine, et cela peut, dans le court terme, avoir un impact négatif sur l’investissement privé, y compris en provenance de l’extérieur.
Le Burkina Faso fait face à la flambée des prix des hydrocarbures sur le plan international. Une de vos options pour rationaliser les dépenses publiques est d’éliminer ou réduire, à terme, les subventions énergétiques. Le sujet est sensible et touche presque tous les secteurs de l’économie. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette option serait-elle efficace pour l’économie du Burkina Faso?
Cette question de la subvention énergétique est un sujet difficile, pas seulement au Burkina Faso. Elle engendre des débats dans beaucoup de pays, en Europe aussi d’ailleurs. On peut explorer 3 différentes dimensions au niveau de la question. Premièrement, ces subventions profitent souvent beaucoup plus aux riches, car ils sont ceux qui consomment le plus de carburants, à travers des biens comme les voitures, les groupes électrogènes, etc. Nos analyses montrent qu’une réduction de ces subventions, suivie d’une canalisation des gains fiscaux vers les pauvres à travers des subventions ciblées, contribuerait à réduire de façon significative la pauvreté, sans pour autant induire des coûts additionnels pour le contribuable. D’un point de vue social, c’est une bonne chose à faire.
Deuxièmement, ces subventions énergétiques contribuent à plus de consommation d’énergies fossiles, ce qui aggrave le changement climatique dont le Burkina Faso souffre déjà, énormément. C’est vrai que le pays a lui seul ne va pas arrêter le changement climatique, mais il peut, en réduisant les subventions énergétiques, ensemble avec d’autres pays, augmenter la pression sur les plus grands émetteurs.
Troisièmement, l’actualité remet ce sujet à l’ordre du jour ; parce que la guerre en Ukraine a provoqué une hausse des prix mondiaux de l’énergie, je pense que nous sommes d’accord qu’il sera très difficile d’arrêter ces subventions dans le court terme.
Notre proposition est de travailler avec le gouvernement sur une évaluation objective de l’effet de ces subventions, afin de parvenir éventuellement à un plan pour contrôler dans un premier temps, et réduire ensuite ces subventions qui, encore une fois, sont socialement et écologiquement non favorables.
Interview réalisée par AT
Encadré
La question de la masse salariale revient
L’une des options de la Banque mondiale dans le rapport est de limiter les recrutements. Comment créer des emplois dans un tel contexte ? Explications.
« C’est une excellente question, car elle nous fait réfléchir à qui, dans une économie, doit créer le plus d’emplois : est-ce le secteur privé, ou alors le secteur public ? Vous savez, au Burkina Faso, l’emploi dans le secteur public a fortement augmenté depuis 2014. Aussi, les salaires et autres indemnités payés aux fonctionnaires ont fortement augmenté. Le secteur public, qui emploie environ 220.000 personnes, ce qui ne constitue que 1% de la population (environ 2% de la population active), a absorbé à lui seul environ 60% des recettes fiscales de l’Etat en 2021 pour ces salaires et indemnités, ce qui ne laisse que très peu de ressources pour financer les autres besoins de développement, y compris en matière d’investissement. Bien sûr, l’Etat fait appel aux dons et à la dette, mais cela laisse aussi entrevoir une dépendance accrue aux financements extérieurs, de même qu’un risque élevé d’endettement. Vous comprenez donc que le système actuel n’est pas soutenable. Ce que nous recommandons, c’est de réduire le rythme des nouveaux recrutements dans les secteurs non prioritaires, de travailler à rationaliser les dépenses liées aux effectifs existants, tout en continuant à reformer afin de mobiliser plus de ressources domestiques.
Nous pensons aussi que le secteur privé offre un plus grand potentiel de création d’emplois, ce qui nous ramène à la nécessité pour le gouvernement de continuer et même de renforcer les réformes sur le climat des affaires, le contenu local, l’offre de formation locale, et de contribuer, à travers des investissements stratégiques, à la création de chaînes de valeurs nationales, notamment, dans le secteur de l’agro-industrie et dans le secteur du numérique.
Encadré
Le numérique comme moyen de résilience économique
« C’est une excellente question. Le monde entier a été confronté à cette même problématique avec la Covid-19. C’est-à-dire, à quel point la communication virtuelle a acquis de l’importance. Pensons à un agriculteur qui reçoit les prévisions de précipitations à travers son téléphone mobile. Cela peut améliorer sa planification et contribuer à diminuer ses pertes de récoltes. Par ailleurs, la technologie digitale réduit l’asymétrie d’information. Si on n’a pas les outils nécessaires, il faut faire une confiance aveugle aux autres, et ce n’est pas toujours la meilleure des choses à faire. Par exemple, en ce qui concerne les précipitations, l’agriculteur sera obligé de faire confiance aux autres. Mais s’il (ou elle) dispose d’outils digitaux, il sera connecté et obtiendra les informations de lui-même. Il peut aussi obtenir directement les prix pratiqués sur différents marchés dans sa région, à travers des plateformes dédiées. Par conséquent, il pourra prendre des décisions plus avisées, réduire ses coûts de transaction, et obtenir de meilleures opportunités de marché.
Au Burkina Faso, il y a une grande opportunité pour les entreprises d’accélérer leur croissance à travers l’adoption d’outils digitaux, y compris les services financiers digitaux, ce que font d’ailleurs déjà beaucoup de pays. C’est pour cela que nous avons dédié la deuxième partie de la note de cette année sur le sujet du développement numérique.»