Dans la quasi-totalité des poissonneries à Ouagadougou, des poulets congelés importés sont vendus. Malheureusement, ces carcasses de poulets congelés importés ne sont pas sans danger pour la santé des consommateurs. Tel est le constat de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso (LCB). Du reste, cette structure a déjà procédé à l’incinération de centaines de ces poulets. Le président de la LCB, Dasmané Traoré, qui nous a accordé cette interview, dénonce la complaisance du gouvernement, d’autant plus que l’importation est interdite. Lisez plutôt !
L’Economiste du Faso : Depuis quelques jours, les consommateurs se plaignent d’une hausse des prix des produits de grande consommation, quelle lecture faites-vous ?
Dasmané Traoré, président de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso (LCB) : La Ligue des consommateurs du Burkina avait déjà attiré l’attention des autorités sur la flambée des prix observée depuis la sortie du confinement lié à la pandémie de Covid-19. Ces augmentations se sont surtout accentuées durant le premier trimestre de l’année 2021. Effectivement, en janvier 2021, à travers une déclaration, nous avions encore interpellé le gouvernement sur l’augmentation drastique des prix des produits de première nécessité, en particulier, le maïs dont le sac de 100kg coûtait déjà 18.000FCFA.
Il en est de même, au cours de notre conférence de presse du 23 mars 2021. La LCB s’était inquiétée des conséquences de l’augmentation à la pompe de 10 francs sur les prix à la pompe des hydrocarbures sur le prix des produits (déjà hors de la portée de la majorité des consommateurs). Aujourd’hui, le coût des produits de grande consommation comme le maïs, le riz, l’huile … a atteint un niveau jamais égalé depuis 10 ans. En réalité donc, nous avions alerté l’autorité en disant que dans ces conditions, qu’adviendrait-t-il pendant la période de soudure (juin-juillet-août) sur le prix si des dispositions ne sont pas prises ? Des mois après cette alerte, la situation actuelle nous donne raison avec cette augmentation des prix constatée. La situation présente découle aussi du fait que certains commerçants sont dans la logique de « toute situation est une opportunité ». Le manque de rigueur de l’Etat à faire appliquer les textes sur la règlementation de la consommation pousse certains acteurs à fixer les prix à leur guise (créer la spéculation). En plus de tout cela, les consommateurs font face aux produits de contrefaçon et des produits de mauvaise qualité qui inondent les marchés (farine, huile, sel, lait, vinaigre, eau de javel, …).
Pire, les matériaux de construction sont entrés dans la danse avec des alliages, des diamètres et des longueurs ne répondant pas aux normes. C’est ainsi que sur l’immense majorité des fers vendus, vous trouverez des fers de 10 vendus pour des fers de 12, ceux de 8 vendus pour des fers de 10 ainsi de suite, sans compter la longueur qui est en deçà de la normale. En conséquence, des écoles s’écroulent tuant des enfants partis à la recherche de la connaissance ; des centres de santé, des stades, des immeubles et des maisons d’habitation, etc. ne sont pas épargnés. Ce qui est dommage dans ces cas de figure, c’est que les auteurs ne sont souvent pas inquiétés. En effet, pour un enfant parti à la recherche du savoir et qui ne revient pas parce qu’une classe s’est écroulée sur lui, alors, quelque part, quelqu’un n’a pas joué son rôle. En conséquence, les responsabilités doivent être situées et les auteurs (entreprises, bureaux de suivi des travaux, vendeurs de fer, de ciment, etc.) punis conformément à la loi. Cela servira de leçon afin que l’on n’assiste plus à de pareilles situations.
Sur cette préoccupation de qualité des matériaux, que pensez-vous de la tournée du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, Harouna Kaboré ?
Nous avons positivement apprécié la visite du ministre sur le terrain, car cela peut secouer le milieu et dissuader certains opportunistes. Le constat du ministre confirme que le sac de ciment ne répond pas à la quantité indiquée ; les barres de fer ne répondent pas au diamètre indiqué, et la longueur est inférieure à la normale. Par exemple, sur des barres de fer, lorsque le fabricant réduit la longueur de 30 centimètres comme cela est constaté sur le terrain, imaginez après production d’un million de barres ce qui est injustement volé des consommateurs sur le plan financier. Les consommateurs doivent savoir que la longueur normale d’une barre de fer utilisée dans le béton est de 12 mètres au Burkina Faso (fer de 6, 8, 10, 12, ….).
Celle des tubes carrés ou ronds est de 6 mètres. Ce que nous avons observé sur le terrain, c’est que cette habitude de vol au niveau des barres de fer est en passe de devenir légale. Les tôles aussi subissent le même sort sur l’épaisseur qui ne respecte aucune norme également au point que celles-ci ressemblent à des feuilles de « nîme ». Il faut que l’Etat siffle la fin de la récréation et sanctionner convenablement les fautifs de façon à décourager cette pratique malsaine mettant en danger la vie des consommateurs. Dans tous les cas, lorsque les consommateurs constatent que les barres de fer ne respectent aucunement la norme, ils peuvent saisir l’Agence burkinabè de normalisation, de la métrologie et de la qualité (ABNORM).
La visite inopinée du ministre qui doit se répéter a aussi mis à nu le fait que les sacs de riz sont toujours en deçà de la quantité mentionnée sur l’emballage. C’est également une réalité que vivent les consommateurs et cela ne date pas d’aujourd’hui. Les sacs de riz de 50 kg pèsent 50 kg sur la balance, car certains commerçants introduisent des objets pour soutirer une certaine quantité qui peut aller de 2 à 5kg parfois. Imaginez un commerçant qui soutire 5 kg par sac. Alors, sur 1.000 sacs de riz, cela lui fait 5.000 kg volés du consommateur. La vigilance des consommateurs est sollicitée sur ces cas. Aussi, certaines stations d’essence ne servent pas exactement la quantité exigée par litre. Nous avons reçu des plaintes à cet effet et plusieurs stations d’essence ont été sous-scellées après contrôle par l’ABNORM. A ce niveau encore, pour peu qu’il manque 2 millilitres pour faire un litre, lorsque la station commercialise un million de litres, cela fait combien de litres volés encore une fois aux consommateurs ?
Ouagadougou commence à être inondé des carcasses de poulets congelés douteuses. En avez-vous été saisi ?
L’importation et la vente des carcasses de poulets congelés sont interdites au Burkina Faso. Or, tous les jours, ils sont vendus et consommés par les Burkinabè. Lors de la dernière incinération des carcasses de poulets congelés, il était écrit sur les emballages « Made In Russia ». A supposer que l’emballage traduise la réalité, imaginez un navire qui quitterait ce pays aussi distant pour traverser les océans indiens et atlantiques avant de se retrouver sur les côtes de l’Afrique occidentale ou alors il passerait par l’océan indien, la mer rouge, la méditerranée et l’atlantique pour ensuite traverser des pays voisins avant que le produit ne se retrouve au Burkina.
Qu’après cette distance, la carcasse de poulets soit vendue sur le marché autour de 1.700 FCFA l’unité, il faut reconnaître qu’il y a problème. Le transport plus le coût de l’élevage pour être vendu à ce prix, il faut être réaliste et reconnaître que c’est du poison à la recherche d’incinérateurs. Pour preuve, nous ignorons les protocoles sanitaires appliqués à ces élevages ainsi que les conditions dans lesquelles ces animaux ont été élevés. Ces carcasses de poulets congelés devraient être incinérées à leur niveau et vu que cette pratique va leur revenir chère, ils préfèrent l’envoyer ici et les vendre à vil prix pour que nous l’incinérions dans nos estomacs. Du reste, la loi au Burkina interdit l’importation de ces carcasses de poulets congelés. Si cette importation continue, c’est parce que simplement le consommateur burkinabè ignore les dangers encourus en consommant ces carcasses de poulets. C’est pourquoi, pour sauver des vies, nous demandons aux consommateurs de signaler tout cas suspect à la Ligue des consommateurs du Burkina, au commissariat, à la gendarmerie, à la Douane et à la Direction générale des Services vétérinaires ou ses représentations.
Ce que vous dites est grave, car ces poulets avariés peuvent être source de maladies telles que le cancer…
Puisque nous ignorons les conditions dans lesquelles ces poulets ont été élevés, par conséquent, c’est possible qu’à travers cette chair, l’on retrouve des débris de substances nocives à la santé. A terme, les consommateurs peuvent développer des maladies et nous nous retournerons encore vers ces pays importateurs pour acheter des remèdes. Ce sera une forme de dépendance qui se crée et qui se maintient du fait de la non-fermeté de nos pays à empêcher cette importation.
Mais ces carcasses de poulets congelés franchissent les frontières sous le nez et la barbe des autorités…
Oui, quelle que soit la porosité de nos frontières, les quantités qui entrent ne sauraient passer inaperçues des autorités. La quasi-totalité des poissonneries de notre pays vendent les carcasses de poulets congelés parce que les consommateurs les achètent moins cher et ignorent les dangers qu’ils encourent en les consommant. Si personne ne les achète, aucun commerçant n’aura intérêt à en importer. C’est au consommateur lui-même de régler la commercialisation des produits sur le marché.
Le ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat a suspendu la délivrance des autorisations spéciales d’exportation (ASE) du mil, sorgho, niébé et maïs, suite à un constat d’un dysfonctionnement dans l’utilisation de ces autorisations. Un commentaire ?
La suspension de la délivrance des autorisations spéciales d’exportation (ASE) des céréales locales existait depuis janvier 2021. Ce communiqué ministériel montre que le précédent n’a pas été respecté. Pire, ce nouveau communiqué ne traduit-il pas un aveu d’impuissance de l’Exécutif à faire respecter la loi par les exportateurs ? De telles situations confortent la LCB sur le manque de rigueur et de fermeté dans la protection du consommateur.
Certains acteurs craignent des ruptures des stocks dans les différents magasins du pays ?
Ces craintes sont fondées, d’autant plus que les quantités sur le terrain ne sont plus importantes. Il y a même des retentions de céréales. Il faut que l’Etat soit très regardant sur cette retention des céréales qui peut créer de façon artificielle une pénurie et sortir le produit après pour se faire une plus-value importante. Nous saluons à cet effet les efforts consentis par le gouvernement en multipliant sur le terrain, les boutiques SONAGESS qui soulagent un tant soit peu le consommateur. Seulement, nous regrettons que cet effort arrive tard, car ces boutiques seraient installées depuis janvier, la spéculation n’aurait pas atteint ce niveau de sévérité pour le consommateur. Nous demandons alors à l’Etat d’accélérer l’ouverture des boutiques sur l’étendue du territoire et d’éviter les ruptures parfois prolongées, car c’est le moment ou jamais où les consommateurs ont besoin de céréales.o
Interview réalisée par Ambèternifa Crépin SOMDA
Encadré
Bilan de l’opération de contrôle des prix
Pour faire face à la hausse des prix de produit de grande consommation et lutter contre la fraude et la contrefaçon au Burkina Faso, le MICA a initié une opération de contrôle des prix, de la qualité. Du bilan des opérations fait le 22 juillet 2021, il ressort ceci :
– la suspension de la délivrance des autorisations spéciales d’exportation (ASE) des céréales locales depuis le 1er janvier 2021;
– le relevé hebdomadaire des prix et des stocks en vue de s’assurer de la disponibilité des produits de grande consommation et de suivre la tendance des prix;
– l’intensification des opérations de contrôle des produits de grande consommation ;
– entre janvier et mi-juillet 2021, 18.428 commerçants et des unités industrielles contrôlés ;
– 1.154 tonnes de fer à béton non conformes, toutes catégories confondues, 109.371 feuilles de tôles non conformes, toutes catégories confondues, et 2, 25 tonnes de produits alimentaires périmés ont été saisies par les services de contrôle du ministère ;
-la suspension de l’exportation des céréales a permis d’arrêter aux frontières 94 camions qui transportaient 3.760 tonnes de céréales.
Source DCPM/MICA