Tribune

Financement rural et investissement agricole au Mali

Andrew Dillon, professeur agrégé de recherche, Northwestern University
Andrew Dillon est un économiste du développement dont les recherches portent sur la façon dont l’amélioration de la productivité augmente le bien-être dans les pays en développement et sur les méthodes et mesures que les économistes du développement appliquent pour estimer les relations causales. Ses recherches actuelles se concentrent sur les investissements améliorant la productivité que les ménages agricoles peuvent faire dans la santé et la nutrition, les nouvelles technologies agricoles et l’éducation. Ses projets en cours sont mis en œuvre avec le gouvernement, des entreprises du secteur privé et des ONG au Burkina Faso, au Mali et au Nigeria. Une grande partie de son programme de recherche est soutenue par la collecte de nouvelles données d’enquêtes multi-thèmes auprès des ménages. Il a contribué à la conception et à la supervision de plus de 30 nouvelles enquêtes au cours des 8 dernières années. Andrew Dillon est professeur agrégé à la Kellogg School of Management et au Global Poverty Research Lab de la Northwestern University. Il est responsable de l’Initiative sur les méthodes de recherche d’IPA et conseiller scientifique pour le Bureau régional Afrique de l’Ouest d’IPA.
Nicolo Tomaselli, est économiste de formation avec un focus sur l’Afrique de l’Ouest francophone. Il est actuellement Directeur de recherche à l’Université de Zurich, pour le Center for Child Well-being and Development, où il coordonne le développement de projets et les protocoles de recherche. Il a été directeur et représentant pays pour Innovations for Poverty Action Burkina Faso, Mali et Côte d’Ivoire. Avant cela, il a travaillé pour diverses NGOs et INGOs telles que Frères des Hommes, Eurodad, et UNDP. 

Utilisation de l’engrais au Mali – Les études scientifiques suggèrent que le calendrier affecte la demande des agriculteurs en engrais. Plus précisément, les programmes qui offrent aux agriculteurs la possibilité d’acheter des coupons pour de l’engrais ensuite livré gratuitement pendant la saison de plantation peuvent en augmenter l’utilisation. Dans les études précédentes d’Innovations for Poverty Action (IPA) au Kenya et au Burkina, les agriculteurs à qui cette option fut proposée étaient plus susceptibles d’acheter des engrais que ceux qui se sont vus offrir la possibilité de l’acheter pendant la saison de plantation, quand les ressources financières du ménage se font rares. Les coupons œuvrent tel un engrenage vertueux incitant les agriculteurs à acheter des engrais pour l’avenir, suivant leur demande future.
Des études suggèrent que les agriculteurs sont plus susceptibles d’acheter des engrais juste après la récolte qu’au début de la saison de plantation. S’il est clair que le choix du “bon moment” est important, on en sait moins sur les raisons de ce choix. Deux explications sont possibles. D’abord, les agriculteurs peuvent ne pas avoir l’argent ou l’accès aux prêts pendant la saison de plantation pour acheter des engrais. Une autre explication serait que les agriculteurs peuvent avoir les moyens d’acheter de l’engrais, mais ils sont plus disposés à payer pour cela à certains moments qu’à d’autres.

 


L’étude d’IPA – Au Mali, les chercheurs travaillent à évaluer l›importance relative de ces deux facteurs (liquide disponible et calendrier) dans les décisions d’achat des engrais par les agriculteurs. Plus précisément, il s’agit de tester l’efficacité des foires à intrants et des mécanismes d’engagement précoces sur l’adoption des engrais. Outre IPA, les chercheurs travaillent avec deux partenaires locaux. Soro Yiriwaso est une institution de microfinance qui s’engage dans le crédit agricole, qui opère au Mali depuis plus de 15 ans et a une forte présence dans le Sud et l’Ouest, où se déroule cette évaluation. L’Union nationale des distributeurs d’intrants agricoles (UNRIA) promeut l’approvisionnement en intrants du marché intérieur. L’UNRIA est la principale association nationale qui donne accès aux intrants – y compris les engrais, les semences améliorées, les pesticides et l’équipement – pour les petits agriculteurs et joue un rôle actif dans la politique agricole.
Cette étude a lieu auprès des ménages ruraux des régions de Koulikoro et Sikasso au sud du Mali, elle porte sur les cercles de Kangaba, Banamba, Koutiala et Bougouni. Dans ces régions, les commerçants d’intrants agricoles, les fournisseurs de crédit et les agriculteurs sont souvent incapables de connecter et de coordonner leurs activités au moment où les agriculteurs doivent pouvoir accéder à des prêts pour pouvoir acheter des engrais.

Afin de réaliser cette étude, l’équipe a organisé 120 foires aux intrants pendant la saison agricole 2018-2019. Des foires anticipées ont été organisées en février, juste après la fin de la récolte, et lorsque les producteurs ont des liquidités. Une seconde vague de foires « classiques » a été planifiée en juin. En plus de nombreuses données administratives provenant des foires et des contrats des crédits, une enquête de référence et une enquête de suivi ont été menées en décembre 2017 et juillet 2019 pour mesurer l’impact du projet.

Frise chronologique de l’intervention menée durant la saison agricole 2018-2019

L’expérimentation – Pour comparer l’impact de l’amélioration de l’accès aux intrants et au crédit, les chercheurs ont assigné par tirage aléatoire 140 villages à différents groupes, comprenant 20 villages chacun, et caractérisés par l’offre aux paysans d’un différent produit financier. Ces produits varient en fonction du calendrier des foires aux intrants agricoles et de la disponibilité de crédit.

La collecte de données – Au moyen d’enquêtes et de données administratives, les chercheurs ont mesuré l’effet des dispositifs d’engagement et des offres de crédit sur les achats d’intrants, la superficie des terres cultivées, la main d’œuvre et la valeur des récoltes. Soro Yiriwaso a fourni des données administratives sur l’historique de crédit, le contrat de crédit, les remboursements et les taux de défaut. De son côté, l’UNRIA a fourni des données administratives sur les bons de commande et la livraison des intrants agricoles. Les chercheurs ont examiné également si les impacts diffèrent pour les femmes et les hommes.
Avec la collaboration d’Anna Quarrey, IPA FWA Policy & Project Development.

 

Encadré

Situation agricole au Mali

Au Mali, l’agriculture représente 35% du produit intérieur brut (PIB) et occupe 80% de la population. C’est donc un facteur clé de la sécurité alimentaire des populations. Selon les moyennes quinquennales (2014–2018), l’insécurité alimentaire aiguë a quadruplé pendant la période de soudure par rapport à la période post-récolte. Ainsi, la FAO estime qu’il est indispensable de soutenir les ménages d’agriculteurs et de pasteurs pendant la saison de soudure et d’investir dans le secteur agricole afin d’atténuer la détérioration de l’insécurité alimentaire des populations au Mali. L’utilisation d’engrais peut permettre aux agriculteurs d’accroître la productivité de leurs terres.

 

Encadré

LES RESULTATS

• Les produits testés ont amélioré l’accès aux intrants agricoles au Mali.
• Les foires avec un prépaiement de 50% découragent les commandes par rapport aux autres produits.
• Les foires avec prépaiement de 10% favorisent les commandes par rapport aux autres produits.
• Les agriculteurs sont très sensibles aux montants des paiements anticipés.
• Les foires avec acomptes de 10% augmentent le montant des commandes et modifient le type de clients.
• Les foires classiques avec offres de crédit augmentent le nombre de contrats et attirent davantage de femmes.
• Le crédit augmente la participation aux marchés des intrants, dans tous les cas.
Il apparaît donc que les foires ouvrent de nouveaux marchés aux agro-commerçants de UNRIA et permettent à Soro Yiriwaso de gagner de nouveaux clients grâce à un produit financier relativement sûr (soit un taux de remboursement de 100%).

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