Tribune

Le «Sukuk marocain», un modèle pour l’Afrique – Par : Boubkeur Ajdir

L’ÉMISSION du premier Sukuk souverain du Maroc, tant attendue par le secteur financier du Royaume, a eu lieu en octobre 2018. Si l’attente fut longue selon certains observateurs, ce temps était absolument nécessaire. Cet évènement marque dans le même temps une date historique pour le marché de la finance participative au Maroc mais aussi pour le continent africain, eu égard aux nombreux défis relevés par les autorités marocaines.

  1. 1. Une sécurité juridique indispensable aux

Si plusieurs pays africains ont précédé le Maroc en matière d’émission de Sukuk souverain, l’expérience du Royaume est passée par des étapes structurelles que les voisins n’ont pas encore franchies. L’un des principaux challenges à relever consistait à instaurer d’abord un ancrage règlementaire juridique solide tout en l’inscrivant dans les mécanismes de la titrisation, déjà connus par la place financière. La tâche n’était pas simple car il fallait impérativement éviter de se précipiter en se contentant de répliquer le modèle des pays du Golfe. Ce dernier, en réalité, n’était pas transposable, tant l’approche anglo-saxonne du droit se distingue de l’approche civiliste. La loi marocaine relative à la titrisation a été bien «pensée». Les prochains textes, en cours d’élaboration en vue de compléter la règlementation, viendront la renforcer.

  1. 2. Une émission garantissant une sécurité «chariatique»

D’un autre côté, et comme chacun sait, un instrument financier, quel qu’il soit, ne peut prétendre être «charia compatible» sans se soumettre à un examen à travers le prisme du droit musulman des affaires et de sa jurisprudence. Dans ce contexte, la Commission de la finance participative du Conseil supérieur des oulémas a d’abord dû s’approprier le sujet, le comprendre dans toutes ses dimensions juridico-éthiques et économiques, l’analyser dans ses moindres détails avant de se prononcer sur sa conformité aux préceptes de la charia. Les oulémas ne se sont pas contentés d’émettre une opinion de principe sur un concept, ni sur un simple schéma (comme on pourrait parfois le croire), mais ils ont scruté le montage dans tous ses contours juridique, financier, comptable et transactionnel. Enfin, s’il était nécessaire de réunir

«sécurité juridique et sécurité chariatique», tant pour l’Etat – l’émetteur – que pour les investisseurs, il fallait encore donner un sens économique à cette opération en trouvant l’équilibre nécessaire sur le plan pure- ment financier. Il a fallu, par conséquent, mettre en place une structure de Sukuk qui assure un rendement aux investisseurs tout en protégeant leur capital. La tendance du marché étant plutôt orientée vers la prudence, une structure trop risquée ne pouvait s’envisager. Les autorités ont alors retenu une structure classique de type Ijara ayant comme sous-jacents l’usufruit d’actifs im- mobiliers faisant partie du domaine privé de l’Etat. Le rendement annuel espéré s’élevant à 2,66% l’an est issu des revenus locatifs, pour une maturité de cinq années. Les investisseurs ne s’exposent à aucune surprise et prennent le risque de défaut de l’Etat marocain. Le premier certificat de Sukuk souverain du Maroc a été sursous-crit 3,6 fois. Les banques conventionnelles ont également été très attirées par ce papier puisqu’elles représentent 39% des investis- seurs qui y ont souscrit.

Les banques participatives mais égale- ment les assets-managers, les assureurs et futurs opérateurs Takaful disposent main- tenant d’un instrument qui vient diversifier leur univers d’investissement qui, à ce stade, reste encore limité. On retrouve cette situation dans d’autres pays africains.

Les autorités du Royaume n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin et comptent poursuivre leurs efforts en vue du renforcement du cadre règlementaire. L’objectif étant d’élargir le champ des possibles pour l’ensemble des typologies de Sukuk qu’ils soient à vocation d’investissement ou de financement tel que le prévoit la loi. Les banques participatives, qui font face à des tensions sur leurs liquidités, pourraient bien être tentées par des émissions de Sukuk pour financer leur développement ou renforcer leurs fonds propres.

A plus long terme, le marché pourrait même voir émerger d’autres instruments financiers permettant à l’Etat de lever des fonds sans s’appuyer sur les mécanismes de la titrisation, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays par exemple, avec «des bons du Trésor participatifs».

L’Economiste Edition N° 5468

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