Deux cas distincts de plusieurs années ouvrent de nouvelles pistes de recherche pour les scientifiques. En douze ans, deux personnes ont connu une rémission durable du VIH-1, le virus à l’origine du Sida. C’est ce qu’ont annoncé des chercheurs, mardi 5 mars, dans la revue spécialisée Nature (en anglais). «En parvenant à une rémission sur un deuxième patient tout en utilisant une approche similaire, nous avons montré que le ‘patient de Berlin’ [du nom du premier cas] n’a pas été une anomalie», s’est félicité Ravindra Gupta, professeur à l’Université de Cambridge et principal chercheur à l’origine de cette découverte. Franceinfo fait le point sur cette nouvelle avancée médicale.
Pourquoi peut-on parler de rémission ?
La rémission du «patient de Berlin» remonte à 2007. Celui-ci a reçu cette année-là, deux greffes de moelle osseuse et des cellules souches de donneurs ayant une mutation génétique rare qui empêche le VIH de s’installer. «Au bout de 600 jours, la charge virale est devenue indétectable. Son taux d’anticorps a baissé à un niveau témoignant de la disparition du virus», rappelle Le Monde.
Le deuxième cas, connu comme «le patient de Londres», n’a pas montré de signes du VIH depuis près de 19 mois. «Il est trop tôt pour dire qu’il est guéri», prévient le chercheur Ravindra Gupta. «En parvenant à une rémission sur un deuxième patient tout en utilisant une approche similaire, nous avons montré que le ‘patient de Berlin’ n’a pas été une anomalie».
Quel est le traitement habituel pour le Sida ?
Des millions de personnes infectées par le VIH à travers le monde contrôlent cette maladie à l’aide d’une thérapie antirétrovirale (ARV), mais ce traitement ne débarrasse pas les patients du virus. «En ce moment, la seule façon pour traiter le VIH est par l’administration de médicaments qui contiennent le virus et que les gens doivent prendre toute leur vie», développe Ravindra Gupta.
Mais sur les 37 millions de personnes qui vivent avec le virus dans le monde, seules 59% d’entre elles bénéficient d’ARV. Près d’un million de personnes meurent chaque année d’affections liées au VIH. Par ailleurs, une nouvelle forme de VIH résistante aux médicaments représente une préoccupation grandissante.
En quoi consiste ce nouveau traitement ?
En résumé, les deux patients – celui de Berlin et celui de Londres – ont subi des transplantations de moelle osseuse pour traiter des cancers du sang, en recevant des cellules souches de donneurs porteurs d’une mutation du gène du CCR5, qui n’est présente que chez 1% de la population mondiale. Celle-ci empêche le VIH de s’installer. Dans le détail, le «patient de Londres» a été diagnostiqué comme atteint du VIH en 2003. Il a suivi une thérapie antirétrovirale depuis 2012. Plus tard, la même année, il a été diagnostiqué comme atteint d’une forme avancée de la maladie de Hodgkin, un cancer du système lymphatique. Il a alors été transplanté en 2016, et a subi une chimiothérapie.
Le «patient de Berlin», soigné pour une leucémie, avait, lui, subi deux transplantations ainsi qu’une irradiation sur l’ensemble du corps (plus agressive que la chimiothérapie du «patient de Londres»).
Quel est le rôle de cette mutation génétique ?
Le VIH-1 utilise, la plupart du temps, le gène CCR5 comme récepteur. La mutation de ce gène empêche donc le virus de pénétrer dans les cellules hôtes, ce qui rend les porteurs de cette mutation résistants au virus.
De la même façon que pour le cancer, la chimiothérapie peut être efficace contre le VIH, puisqu’elle tue les cellules qui se divisent. Mais c’est le remplacement des cellules immunes par celles qui n’ont pas le récepteur CCR5 qui semble être clé pour prévenir la réapparition du VIH après le traitement.
Après le transplant de moelle osseuse, le «patient de Londres» a suivi la thérapie antirétrovirale (ARV) pendant seize mois, puis le traitement a été interrompu. Des tests réguliers ont confirmé que la charge virale du patient était indétectable depuis.
Ces transplantations peuvent-elles être un remède ?
Non. Le Professeur Ravindra Gupta et son équipe soulignent que la transplantation de moelle osseuse, une procédure dangereuse et douloureuse, n’est pas une option viable pour le traitement du VIH. C’est également une procédure coûteuse. Autre obstacle : il faudrait trouver des donneurs exactement compatibles dans la minuscule proportion de personnes – la plupart d’origine nord-européenne – qui présentent la mutation CCR5.
En quoi cela représente une avancée ?
Ce deuxième cas de rémission et probable guérison à la suite d’une telle transplantation va aider les scientifiques à réduire le nombre de stratégies de traitement. «On peut essayer de déterminer quelle part de la transplantation a fait la différence pour permettre à cet homme de cesser de prendre ses médicaments antiviraux», explique Sharon R. Lewin, directrice de l’Institut Doherty et professeur à l’Université de Melbourne.
«Ces cas nous aident à imaginer ce qui pourrait être fait dans le futur», ajoute Docteur Mike McCune, Conseiller principal en santé mondiale à la Fondation Bill et Melinda Gates, interrogé par le New York Times (en anglais). «Je me sens responsable d’aider les médecins à comprendre comment cela s’est passé afin qu’ils puissent développer la science», a confié le «patient de Londres», qui a voulu rester anonyme, au quotidien américain. Apprendre qu’il pouvait être guéri à la fois du cancer et de l’infection à VIH était «surréaliste» et «accablant», a-t-il ajouté. «Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait un remède de mon vivant».
NK