Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2018, les normes Bâle II et Bâle III, pilotées par la BCEAO sont passées à la loupe des analystes financiers. Quels sont les coûts de transpositions de ces normes pour les banques elles-mêmes et pour les consommateurs ?
Une esquisse de réponse a été apportée par le cabinet Consulting and Corporate finance (Finactu). Dans un rapport publié en décembre 2018 dont L’Economiste du Faso a obtenu copie, le cabinet affirme que l’entrée en vigueur de Bâle III va coûter 1.000 milliards F CFA pour les banques de la zone franc.
Le cabinet est parti du principe qui veut que lorsqu’un régulateur augmente l’exigence de fonds propres, il augmente mécaniquement l’exigence de rentabilité des banques. Et d’expliquer que cette hausse induit plusieurs hypothèses. Il s’agit soit d’une augmentation du prix des services bancaires (hausse du taux des crédits, baisse de la rémunération de l’épargne, augmentation du prix des services bancaires): ce sont alors les consommateurs qui supportent le coût de la nouvelle règlementation; soit une baisse de la rentabilité effective de la banque: ce sont alors les actionnaires qui supportent; soit, enfin, plus d’efforts de productivité. A ce niveau, ce sont alors les salariés de la banque qui subissent les conséquences ou les usagers à travers des suppressions d’agences qui imposent des modifications des comportements.
Les banques mono-pays sont les plus impactées
Quelle est la méthodologie utilisée pour mesurer le coût de cette règlementation ? Le travail de FINACTU a consisté à comparer, banque par banque, d’une part, le montant actuel des fonds propres pris en compte pour mesurer la solvabilité et, d’autre part, l’exigence de fonds propres imposée par le nouveau dispositif prudentiel publié par la BCEAO. Ce calcul est fait pour chacune des 115 banques de l’UEMOA dont les comptes 2016 sont disponibles et publics. Il permet de mesurer, individuellement et collectivement, le montant des fonds propres additionnels à mobiliser.
De ces calculs, il ressort qu’au total, pour toute la zone franc, les 179 banques doivent mobiliser sur la période 2017-2022, un capital supplémentaire de plus de 1.000 milliards FCFA s’ils respectent les normes de Bâle III.
Du côté de l’UEMOA, l’addition du passage à Bâle III est de 700 milliards, soit 400 milliards au titre de la date butoir du 1er juillet 2017 (passage du capital social 5 à 10 milliards FCFA) et plus de 300 milliards au titre de la transposition dans la règlementation BCEAO de Bâle III.
Des exigences financières élevées, qui font dire à Finactu qu’elles sont hors de portée pour certaines banques. Le rapport explique ainsi que si la décision d’augmentation du capital social à 10 milliards FCFA, effective le 1er juillet 2017, a impacté 48 banques, l’application de Bâle III laisse en situation de déficit de fonds propres 42 banques. «Certaines banques – notamment les banques mono–pays – n’ont pas été en mesure de convaincre leurs actionnaires de réinjecter des capitaux propres avant juillet 2017. Ces banques sont les plus impactées par les réformes: la moitié des banques n’a pas les capitaux propres de 10 milliards FCFA en décembre 2016, et la plupart sont même négatifs du fait de mauvais résultats», peut-on lire à la page 52 du document. Ce sont ces banques, mono-pays qui seront les plus impactées par la réforme, conclut le document.
Résultat, cette exigence nouvelle intervenant dans un continent où les besoins d’investissement sont absolument considérables (déficit budgétaire, infrastructures, etc.), une concurrence redoutable est à craindre, qui devrait peser sur les taux d’intérêt.
Un rapport alarmiste
Pour le cabinet, la course aux fonds propres n’est que la partie émmergée de l’iceberg. La première conséquence directe à cette augmentation des capitaux propres exigée par le passage à Bâle III est une baisse significative du rendement de ces mêmes capitaux propres. FINACTU a calculé qu’avec le niveau de résultat actuel des banques, la simple augmentation des fonds propres imposée par Bâle III diminuera le «Return on equity» (ROE) de 15,4% à 11,4% dans la Zone.
Une baisse de rendements qui frappe plus durement les petites banques mono-pays, qui étaient déjà les moins rentables et qui affichaient le déficit de fonds propres le plus élevé. Avec la réforme, leur rentabilité moyenne atteint péniblement 4,3% et pose un véritable problème systémique. «La conséquence directe de ces constats est que le secteur bancaire de la Zone franc est globalement à la croisée des chemins : soit il devra obtenir de ses actionnaires un investissement supplémentaire considérable et déraisonnablement inintéressant, soit il devra prendre les mesures nécessaires pour augmenter massivement sa rentabilité. Ce constat est bien sûr global, fondé sur les chiffres moyens de la zone : il n’exclut pas que la situation soit excellente pour de nombreuses banques de la zone… et désastreuse pour d’autres», constatent les experts en consulting.
NK
Les changements positifs
L’impératif de rentabilité du capital requis par Bâle III va imposer une révision complète de la productivité du système bancaire, qui passe par la recherche de la taille critique, c’est–à–dire une période de fusions–acquisitions.
A long terme, Bâle III va imposer une sophistication plus importante de l’activité bancaire obligeant ainsi les banques à redoubler d’efforts pour dégager de la rentabilité. Jusqu’à récemment, la rentabilité des banques était artificiellement favorisée par la faiblesse des fonds propres exigés. Avec Bâle III, ce même résultat des banques ne suffira pas à rentabiliser le supplément de capital: l’impératif de rentabilité augmente massivement. Désormais, c’est l’exigence de capital qui va dicter le pilotage de l’activité.
L’étude de Finactu remise en cause
«C’est une étude d’impact et non une étude économétrique. On ne peut pas répliquer le ratio de solvabilité juste sur la base des états financiers publics. Seules les banques centrales sont à même de faire cette étude». Cette intervention est de Aminata Seck M’Bow de la BCEAO lors de la restitution du rapport de Finactu, à Abidjan en décembre 2018. Madame M’Bow a expliqué que le rapport n’avait jamais été validé par la BCEAO ni par son gouverneur et que c’est une information «fausse et donc malhonnête».
De plus, selon elle, les projections de Finactu qui prédisent que 1.000 milliards FCFA seraient nécessaires sont fausses car Finactu ne s’est basé que sur des états financiers et n’a pas la décomposition des fonds propres par banque. Seule la BCEAO a accès aux données privées des banques et a déjà fait une étude d’impact qu’elle a envoyée à chaque banque.