Daniel Brown est un journaliste français ayant travaillé à RFI et actuellement enseignant universitaire. Du 29 au 31 janvier 2018, il était à Dakar en tant que formateur principal des journalistes de la CEDEAO en investigation en journalisme économique, dans cadre de la formation organisée par l’ambassade des Etats-Unis.
L’Economiste du Faso, qui a participé à cette formation, a recueilli son point de vue sur l’évolution des médias en Afrique et le devenir du journalisme face à la montée des réseaux sociaux.
L’Economiste du Faso: Comment analysez-vous l’évolution des médias en Afrique ?
Daniel Brown, enseignant universitaire: Les médias en Afrique sont globalement sains. On a connu une génération de médias qui ne pouvaient pas s’exprimer. Mais, actuellement, on trouve des médias qui racontent l’Afrique de l’intérieur, alors que pendant longtemps on a assisté à une sorte d’exotérisme où des journalistes débarquaient de l’Occident et pensaient détenir la vérité. J’ai beaucoup parcouru des pays africains ; certains pays ont beaucoup plus évolué que d’autres dans ce sens. Même des pays qui ont une tradition de censures ont connu du jour au lendemain des révolutions. Un des meilleurs acquis de ces révolutions, c’est la libre expression médiatique. Il faut rappeler qu’aujourd’hui le Burkina, au 42e, rang est mieux placé dans le classement mondial de la liberté de la presse en 2017 de Reporter sans frontières (RSF) que les Etats-Unis qui sont au 43e rang en la matière. Les femmes ont un rôle dans l’avenir médiatique. Elles doivent faire partie de cette nouvelle vision des médias. Pour cela, il faut encourager la présence féminine dans les médias.
Quel message avez-vous fait passer durant la formation ?
C’est d’avoir les mêmes reflexes du journalisme traditionnel ; c’est-à-dire la rigueur, le scepticisme, le croisement constant des informations qui doivent dominer le travail de tout journaliste. Le journaliste a besoin de diversifier ses sources, de rester loin du pouvoir politique et de mériter ce label de contre-pouvoir. Mais, on remarque qu’il y a une certaine paresse qui s’installe chez certains journalistes qui ne vont plus sur le terrain, alors que rien ne peut remplacer la présence sur le terrain. Cette paresse a un grand danger, parce qu’elle peut conduire au mimétisme et à un regard uniforme des médias sur le monde.
Je crains que, de plus en plus, les journalistes ne restent monolithiques. Qu’ils ne fassent de plus en plus recours à l’autocensure, au conformisme, au fanatisme; surtout avec le développement de la lutte antiterroriste.
Pour moi, le plus grand terrorisme, c’est le crime à col blanc. Tout ce que les Paradises Papers et les Panama Papers ont révélé comme avarices, comme crimes financiers qui coûtent des vies à des communautés entières. On devait se pencher sur cette forme de terrorisme. Même là, si on suit les influences, les genèses et l’argent qui finance ces groupes terroristes dont on parle maintenant, on trouvera que c’est beaucoup plus complexe et troublant et proche de certains pouvoirs politiques en place.
Les médias ont des ressources fabuleuses qu’ils exploitent cependant très mal. On a vu des livres comme Democracy’s Detectives de James T. Hamilton qui prouvent que le journalisme d’investigation a un avenir. Il ne peut que bénéficier à l’économie et la bonne santé des Etats. Il faut encourager le journalisme d’investigation, parce qu’on y gagne plus et à tous les niveaux. Malheureusement, les journalistes n’ont pas le temps de bien faire leur travail, de découvrir ce qui est caché.
Comment envisagez-vous l’avenir du journalisme avec l’avènement des réseaux sociaux ?
L’internet est une révolution technologique et un outil incroyable, et il doit être utilisé en toute intelligence. Cette prudence est déjà observée dans le journalisme traditionnel. Les réseaux sociaux donnent une ouverture sur le monde et une opportunité pour le journaliste d’entendre les sans-voix. Mais, il doit savoir prendre ce qui est bon ; faire attention aux excès, à la rumeur qui se propage sur les réseaux sociaux et qui peut être très dangereux pour la société.
Nous sommes en phase d’apprentissage et de balbutiements avec cette révolution technologique. Mais, des techniques et des outils existent pour filtrer les fausses nouvelles, les vérifier et les recouper. Je vous cite 3 exemples anecdotiques de diffusion de fausses informations. Primo : les E-mails de Hilarie Clinton ont fait basculer une élection aux Etats-Unis. Secundo : des mensonges qui montraient des photos d’émigrés pique-niquant dans des cimetières en France. Tertio : nous avons vu les tentatives de montrer un deuxième tireur impliqué dans une tuerie qui a fait 58 morts à Las Vegas. Heureusement, il existe des techniques de détection de ces fausses informations. L’avenir du journaliste se trouve donc dans l’investigation.
L’opinion ne croit-elle pas plus à tout ce qui est publié sur les réseaux sociaux que dans les médias ?
Ce n’est peut-être pas la même vérité dans d’autres pays, mais en France d’où je viens, ce n’est pas toujours vrai. Récemment, en France, une étude a montré que beaucoup de personnes accordent une préférence aux actualités diffusées à travers les radios, ensuite dans la presse écrite, à la télévision et en dernière position sur internet. 90% des personnes, en France, se tournent vers les médias traditionnels. Pourtant, il y a 2 ou 3 ans, la préférence était portée sur internet. On se rend compte que les citoyens semblent avoir pris conscience qu’ils doivent s’informer auprès des professionnels qui s’expriment beaucoup mieux par les médias traditionnels que sur ces nouveaux médias. Ces nouveaux médias, comme les réseaux sociaux, doivent être utilisés pour le social, l’informel, la famille.
Le reflexe du journaliste d’investigation doit être partagé par tout journaliste. Je suis de ceux qui ne comprennent pas pourquoi tous les journalistes ne font pas le même travail de recoupements, de vérifications des informations ; même s’ils sont soumis à des contraintes de temps et d’espace. Le journaliste d’enquêtes refuse cela, et tout média doit s’y conformer pour prendre le temps de proposer des publications de qualité.
Interview réalisée par Elie KABORE