Chronique

Nouveau Code général des impôts: une innovation majeure ou une mesure cosmétique ?

Les objectifs de développement affichés par notre pays nécessitent de la part de tous les Burkinabè des réflexions et des actions audacieuses susceptibles de s’écarter des sentiers battus. Il nous faut concevoir une politique de développement qui cadre avec nos visions profondes et qui tire sa justesse et sa cohérence du vécu de notre peuple et des orientations qu’il aura réfléchies et mises en œuvre.
Tous les peuples qui se sont développés ne se sont pas complus uniquement dans un mimétisme, sans aucune attache avec les réalités et le vécu de leurs populations. Après avoir pris conscience de ce qu’ils sont et d’où ils viennent, ils ont pris ce qui est bien chez les autres et en ont fait ce qu’ils en veulent pour eux-mêmes.
C’est ce que Michel Bouvier qualifie de «nécessité d’un enrichissement par les bonnes pratiques mises en œuvre dans le monde ; et donnant lieu, avec intérêt, à un comparatisme sélectif ouvrant sur un savoir local adapté à nos réalités». Cette même audace doit habiter nos cadres et intellectuels, notamment dans le contexte actuel de recherches de ressources pour l’amélioration des conditions de vie de nos populations.

«L’argent est le nerf de la guerre»; ce n’est pas une affirmation creuse, c’est une réalité inébranlable qui fait et défait le monde, qui construit ou déconstruit les cités. Elle devrait être une préoccupation de premier ordre pour permettre d’enclencher le développement véritable de notre pays. Ce qui n’est pas le cas, pour l’instant, au regard des travaux en cours pour la mise en place du document de référence en matière de collecte des ressources: le nouveau Code général des impôts, qui doit être approuvé par le gouvernement, puis transmis aux députés pour adoption. Il pourrait l’être à toutes ces étapes sans ces interrogations essentielles auxquelles nous invitons les différentes parties: qu’est-ce que nous voulons pour nous-mêmes et pour quels objectifs ? Ces objectifs sont-ils pertinents ou en phase avec nos ambitions de développement ? En somme, s’agira-t-il d’une innovation substantielle, d’une avancée majeure ou d’une simple mesure cosmétique ?

Une démarche insuffisamment inclusive ?

L’alternative qui s’offre à tout Etat qui décide d’instituer un Code général des impôts (CGI) est celle entre (i) une réforme technique limitée, plutôt formelle, et (ii) une réforme substantielle saisissant les questions majeures de l’heure afin de purger la nouvelle loi des vieux problèmes que posaient les anciennes dispositions, et de conformer les textes au modèle social et aux orientations économiques définies par le gouvernement. On peut craindre que dans le cas burkinabè, la réforme soit plus de forme que de fond.

Une telle crainte serait d’autant plus légitime que les défis à relever au Burkina Faso sont aussi bien nombreux que cruciaux ; et la démarche adoptée n’est pas forcément à la mesure de ces enjeux.

Il se dessine, en effet, un CGI conçu comme une simple refonte, une simple agrégation des articles des différents codes fiscaux et autres lois non codifiées actuels, saupoudrée de reformulations et/ou corrections de quelques dispositions litigieuses. Sans doute des concertations sont-elles envisagées, mais si les changements introduits sont effectivement superficiels ; celles-ci se limiteront à des cadres restreints. Pis, il n’est pas excessif de craindre que les observations formulées dans ces cadres de concertations ne soient pas prises en compte. Ce ne serait, en effet, pas la première fois qu’une nouvelle loi fiscale serait adoptée dans un cadre qui serait participatif, sans être réellement inclusif. Une chose est en effet de collecter les observations, une autre est de les prendre en compte.
Dans une perspective plus large, en formulant quelques hypothèses, si les Assises nationales sur la fiscalité qui s’annoncent ne sont pas conçues comme un énième rendez-vous folklorique. S’il s’agit de réellement dresser un bilan, d’écouter les griefs qui seront formulés et de repenser en conséquence notre approche et notre rapport à l’impôt, dans un cadre consensuel de tous les acteurs, les recommandations qui en seront issues pourraient avoir à être traduites en réformes législatives. Si ces réformes devaient être importantes, elles pourraient en rajouter à l’instabilité des règles fiscales burkinabè au cas où elles viendraient après l’adoption du CGI. En effet, dans la mesure où l’adoption du CGI se veut la solution pour remédier à cette instabilité, n’aurait-il pas donc fallu attendre la tenue de ces Assises ?

Il convient de souligner que ce ne sont pas les problèmes urgents qui manquent dans la fiscalité burkinabè.

Des questions majeures de l’heure ignorées ?

La réforme est-elle suffisamment orientée ?
Nul ne conteste que l’institution d’un Code général des impôts soit appelée de tous leurs vœux, depuis longtemps, par les contribuables et les spécialistes du domaine de la fiscalité. L’éparpillement des règles fiscales dans des lois diverses n’est en effet pas de nature à rendre la fiscalité accessible au public. Ce n’est donc pas le principe-même de l’institution du CGI qui est en cause, mais le fait que le choix fait semble être celui d’une mesure minimaliste, alors que les enjeux de fond auraient pu être pris en compte afin de produire un texte plus en phase avec les ambitions de développement affichées par le gouvernement.

Il est constant qu’une réforme visant le Code des impôts, dans un contexte de recherches de ressources financières pour la réalisation des objectifs économiques des pouvoirs publics, vise une plus grande collecte de l’impôt. Il est question d’un texte qui s’adresse au grand public auprès duquel une méthodologie sera mise en œuvre pour collecter les ressources. Dans cette optique, il faut sortir de cette conception antagoniste et désuète d’un rapport de forces à mettre en œuvre pour collecter les ressources financières pour faire une nouvelle offre humaniste aux acteurs économiques. Il s’agit pratiquement de s’inscrire dans un contrat social visant à présenter aux populations ce qui est attendu en matière de collecte des ressources et ce qui est offert au résultat. Il faut fixer des objectifs pour tous, notamment sur les seuils de collecte à atteindre sur le plan économique et les investissements structurants qui vont s’y rattacher dans un délai rigoureusement déterminé; mettre en place donc un document qui puisse être un outil de communication entre l’administration et les contribuables en réservant une place importante au dialogue et au résultat. À travers le CGI, on doit percevoir des changements qui montrent qu’on s’est vraiment engagé à cultiver le consentement volontaire à l’impôt. A titre d’exemple, des changements dans le régime fiscal des petites entreprises doivent être marqués par plus de clarté, de simplicité, de transparence et d’équité.

La réforme est-elle suffisamment ambitieuse ?
Le caractère ambitieux de la réforme doit transparaitre dans le document qui est présenté à l’approbation des représentants du peuple et non se cantonner aux corrections de fautes et aux reformulations de textes déjà existants. Le nouveau texte apportera-t-il fondamentalement du nouveau depuis les premiers textes des années 1960 ? En tout état de cause, des interrogations importantes restent toujours pendantes :

Que faut-il faire  face à la prolifération du secteur informel sur le domaine public sans aucune contribution aux ressources de l’Etat ? Une réflexion ne doit elle pas être menée dans ce sens dans l’optique de l’élargissement de l’assiette fiscale ?

Que faut-il faire  face aux difficultés manifestes à appréhender le secteur agricole, notamment l’«agro-business» ?

Les léthargies de l’administration, avec des délais hors normes pour exécuter sa part de mission, notamment pour la délivrance des attestations de retenues à la source. En effet, ce document qui est exigé par l’administration pour faire valoir les acomptes d’impôts est délivré au compte-goutte et dans des délais extraordinairement longs.

Les organismes de recours du contribuable contre l’arbitraire de l’administration : quelle est la place de l’opérateur économique dans ce texte qui le concerne, où en sommes-nous avec les organes susceptibles de protéger le payeur de l’impôt des dérives de l’administration? Quelles sont les obligations que se fixe l’administration pour son efficience au regard des longs délais qu’elle s’octroie pour répondre aux demandes d’informations des acteurs économiques ? Qu’est-ce qui est dit sur la léthargie de l’administration, notamment dans le traitement des documents administratifs qui doivent être remis au contribuable ? Pourquoi ne pas faire en sorte de rechercher un équilibre imparfait entre l’administration et le contribuable dans le cadre d’un organe conjoint d’examen de certaines réclamations ou de griefs faits à l’administration qui est animée par des hommes ?

Que faire pour cerner la multitude de numéros de registre de commerce délivrés, mais invisibles de l’administration fiscale ? Le secteur informel, lui encore, refuge pour les contribuables clandestins, qu’en est-il ?

La nouvelle législation a-t-elle suffisamment anticipé afin d’accueillir les outils modernes de gestion de l’administration des impôts ? Qu’en est-il de la question de la dématérialisation de certaines obligations fiscales, de sorte à désengorger l’administration des actes prenants et sans valeur ajoutée sur la collecte des ressources fiscales ? La dématérialisation des attestations de retenues à la source et de certains autres documents portant tout simplement des cachets et des signatures électroniques.

Le mécanisme de compensation entre les impôts de même nature, notamment les retenues à la source, pour permettre aux entreprises de consommer rapidement les crédits d’impôts et éviter les frustrations qui naissent du sentiment d’une confiscation organisée par le trésor public sur les biens privés.

Les défis de sécurisation de la TVA commandent la prise de mesures relatives à la maîtrise des exonérations ou plus précisément de la dépense fiscale. Ils prennent de plus en plus des proportions inquiétantes qui faussent le libre jeu de la concurrence en raison du phénomène de la rémanence de la taxe (dérogation au principe de neutralité de la TVA entrainant l’incorporation de la charge de TVA supportée en amont dans les charges de l’entreprise ; ce qui augmentera les coûts de production et même la perte de compétitivité du produit ainsi exonéré).

La réforme doit avoir pour objet d’apporter un plus dans les ressources de l’Etat en procédant à la fois à l’élargissement de l’assiette et à la facilitation des actes de payement de l’impôt. Si tel n’est pas le cas, nous serons dans l’illusion d’une réforme qui n’en est pas une.


 

La réforme doit être partagée

Elle est tellement importante qu’elle ne peut pas être seulement l’œuvre de quelques experts éclairés. Il faut partager la réforme avec tous les acteurs directs et périphériques concernés, les opérateurs économiques, les élus nationaux et les élus locaux, les agents de l’administration directement concernés, les conseillers fiscaux et toutes les bonnes volontés. Et cela, à priori et non à posteriori.

Une telle démarche permet de partager l’idée de l’effort demandé et de préparer à la contribution par ce sentiment d’être partie prenante d’une nouvelle charte de la réforme. Il faut partager l’idée dans le cadre d’un débat national qui éclaire par des réflexions diverses et divergentes qui accoucheront de bonnes pratiques assises sur la vision des acteurs ou, peut-être même, sur leurs attentes.

Dans cette optique, il est bon de réfléchir à la mise en place d’un conseil présidentiel (ou premier ministériel) pour la fiscalité regroupant toutes les compétences économiques du public et du privé et les professions de conseil liées à l’activité économique (experts comptables, comptables, conseillers fiscaux, avocats, économistes et enseignants d’universités, anciens responsables des services fiscaux et agents de l’administration fiscale) pour constituer ce cadre permettant d’approfondir les études sur l’impact des mesures fiscales sur l’entreprise et sur le budget de l’Etat.

En somme, il est bon de signaler que la réussite de toute politique fiscale et l’entrain des citoyens à s’acquitter de leur devoir fiscal présupposent que le redevable de l’impôt consente à l’impôt librement et qu’il soit convaincu de sa justesse, de son caractère équitable et de la bonne utilisation des ressources collectées. Les absences d’infrastructures de base doivent constituer la base du contrat que l’Etat doit passer avec les citoyens. Nous allons, par exemple, faire des caniveaux pour empêcher que la survenance des pluies soit un calvaire pour les citoyens dans toute la ville ; que les burkinabè puissent vraiment se soigner et se nourrir correctement ; que les enfants puissent aller dans des écoles décentes dans lesquels les enseignants ne seront pas gênés de parler de l’hygiène et de la propreté.

Il ne faut pas donner l’impression de tâtonner
Les actions qu’on pose aujourd’hui doivent annoncer et préparer des actions futures. Autrement, on ne devrait pas finaliser les plans stratégiques des régies avant celui du ministère ; ni finir les plans stratégiques et le CGI avant d’organiser les Assises nationales sur la fiscalité.
Si l’objectif visé dans le cadre de l’adoption du CGI est de réformer la fiscalité et non simplement de faire un regroupement des textes existants, une démarche participative et inclusive doit être adoptée afin de recueillir et de prendre en compte les observations et les suggestions de tous ceux qui participent à la collecte des ressources fiscales. Une telle démarche aura le mérite d’aboutir à l’adoption d’un document complet qui réponde au besoin de stabilité et de clarté de la loi fiscale.
En guise d’ultime conclusion, nous voulons offrir à la méditation ce constat implacable du marquis d’Audiffret, grand défenseur devant l’éternel de la fortune publique qui disait : «L’administration des finances est de toutes les parties du service public celle qui touche le plus immédiatement aux divers intérêts de la société […] Elle produit le bien-être ou le malaise des peuples ; elle affermit ou ébranle les trônes, par une influence plus prompte et plus sensible encore que celle qu’exercent les combinaisons de la politique. Et quand le désordre des finances est à son comble, une révolution menace la société… ».

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