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Afrique subsaharienne : Circonscrire les risques

Le ralentissement de la croissance économique en Afrique subsaharienne s’explique principalement par la baisse des prix du pétrole et de certaines matières premières, entrainant des conséquences futures sur les échanges commerciaux et le système financier par le canal de la transmission des chocs. Dans cette interview, Mame Astou Diouf Sow, représentante résidente du FMI, revient sur les outils que les pays ont à leur disposition pour atténuer les risques et les politiques économiques conseillées par le FMI.

L’Economiste du Faso: Quels sont les principaux facteurs qui expliquent ce ralentissement de la croissance en Afrique sub-saharienne (AfSS) ?  
Mame Astou Diouf Sow, représentante résidente du FMI: La baisse de la croissance économique en AfSS est principalement tirée par le ralentissement dans les pays exportateurs de matières premières, en particulier ceux qui exportent du pétrole. Ces pays ont subi en 2016 un choc négatif important des termes de change, encore plus important que durant les années précédentes. La hausse des coûts de financements sur les marchés internationaux et d’autres facteurs domestiques spécifiques comme les troubles politiques et les problèmes de sécurité y ont aussi contribué pour certains pays. Ainsi, les pays exportateurs de pétrole ont enregistré en moyenne une croissance négative en 2016. Les autres pays ont enregistré une croissance plus faible que leur moyenne de 2010-2014, mais qui est cependant restée positive. En particulier, la croissance des pays pauvres en ressources naturelles reste robuste autour de 5%. Il faut aussi noter que, d’après les estimations préliminaires, plusieurs pays ont su garder des croissances fortes, notamment la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, l’Ethiopie et le Sénégal, à plus de 6%, et le Burkina, à 5.4%. Ces estimations seront affinées au cours des mois à venir.

Dans l’environnement dégradé que vous décrivez, quelles sont les conséquences à court terme pour les pays de la zone FCFA ?   
Il faut distinguer la zone CFA de l’Afrique de l’Ouest, l’UEMOA, et celle de l’Afrique centrale, la CEMAC. Les pays exportateurs de pétrole de la CEMAC ont été très touchés par la chute du cours mondial du baril. Lors du sommet extraordinaire des chefs d’Etat du CEMAC du 23 décembre à Yaoundé, à laquelle Mme Lagarde, Directrice générale du FMI, a participé, les pays de la CEMAC ont annoncé souhaiter le soutien du FMI pour les aider à restaurer les équilibres macroéconomiques. Par contraste, les pays de la zone UEMOA sont moins touchés. Bien qu’exportatrice de matières premières comme l’or par exemple au Burkina Faso et au Mali, et l’Uranium au Niger, l’UEMOA est moins dépendante de ces exportations que l’est la CEMAC. Bien sûr, certains pays ont aussi été plus touchés que d’autres, mais généralement dans une moindre mesure. De plus, la plupart des pays de la zone UEMOA sont des importateurs nets de produits pétroliers et ont donc bénéficié de la chute des cours du pétrole qui a compensé les autres effets potentiellement négatifs, notamment dans la balance des paiements et le budget (avec la baisse des subventions liées au pétrole). Les estimations du solde du compte courant au Burkina Faso, par exemple, montrent une amélioration en 2016.
Par contre, il faut noter que dans les deux zones Francs, l’inflation a pu être maitrisée mieux que dans les autres pays de l’AfSS en général, grâce à l’ancrage du taux de change. En termes de conséquences futures, il faudra être vigilant sur l’impact potentiel de la transmission des chocs à travers les échanges commerciaux et le système financier. On note par exemple des anecdotes disant que certaines parties du Niger importent maintenant du bétail du Nigeria, car avec la dépréciation du Naira, les prix au Nigeria, sont plus intéressants. Pour le système bancaire, on note une augmentation des crédits en souffrance, ce qui pourrait mettres en difficulté certaines banques panafricaines. Sur le marché régional des titres, une baisse de liquidité des banques pourrait affecter le refinancement des bons et obligations publics et des titres privés.

Quels sont les outils que les pays ont à leur disposition pour atténuer les risques que vous décrivez, quels sont les «tampons», les mesures qui peuvent être utilisés? Et quelles politiques économiques sont conseillées par le FMI ? 
Les outils pour se prémunir contre les conséquences de ce ralentissement régional ou pour redresser la barre, pour les pays les plus touchés, différent suivant les situations.
Pour les pays qui souffrent de larges déséquilibres macroéconomiques, un rééquilibrage est nécessaire, utilisant comme leviers la politique fiscale et la politique monétaire. Ce rééquilibrage devrait cependant être fait de façon à ne pas réduire encore plus la croissance. Par exemple, en protégeant les dépenses d’investissement tout en veillant à leur efficacité maximale, ainsi qu’en préservant les programmes de soutien aux populations les plus défavorisées par l’amélioration leur ciblage. Pour les autres pays de l’AfSS, la prudence est de mise, en particulier pour les pays qui ont beaucoup utilisé leurs marges de manœuvre. J’entends par cela les pays qui ont par exemple eu de larges déficits budgétaires durant les dernières années, avec une forte hausse de la dette publique ou une détérioration de leur solde courant extérieur. Ou encore les pays qui ont bénéficié de taux d’intérêt bas de leur banque centrale et où des poussées inflationnistes ou une détérioration de la solidité du système financier se font sentir. L’objectif est surtout de s’assurer de maintenir la stabilité macroéconomique et de conserver l’engouement des investisseurs en les rassurant sur la qualité des politiques macroéconomiques mises en œuvre.  Dans la zone UEMOA, par exemple, la BCEAO a procédé à un relèvement de taux d’intérêt en décembre, donnant le signal aux marchés et aux opérateurs économiques. Le durcissement de l’environnement économique renvoie aussi au respect des normes communautaires dont l’objectif est de solidifier la résilience de la zone. Pour tous les pays, la mise en œuvre de réformes est nécessaire, par exemple, en augmentant l’efficacité des marchés pour soutenir l’épanouissement du secteur privé et de la croissance. Ou encore contenir les dépenses publiques non efficaces en limitant les subventions non ciblées. A noter que ces réformes ont un coût réduit pour la population, car ne touchant pas les plus démunis.

Le Burkina Faso semble tirer son épingle du jeu malgré une croissance régionale en baisse. Quel accompagnement du FMI pour la mise en œuvre du PNDES ?
Le FMI accompagne continuellement les objectifs de développement du Burkina Faso, y compris ceux du PNDES, à travers plusieurs fonctions. D’abord, à travers le programme de Facilité élargie de crédit (FEC) en cours. Dans ce cadre, le FMI soutient les objectifs du gouvernement, d’une part financièrement, et d’autre part, techniquement, de par les discussions autour du cadrage macroéconomique, des politiques macroéconomiques et des réformes structurelles envisagées par le gouvernement, entre autres. Ensuite, à travers le développement des capacités. Ceci inclut l’assistance technique délivrée par les départements spécialisés qui sont à Washington D.C, mais aussi par AFRITAC Ouest, notre centre d’assistance technique qui se trouve à Abidjan. Le développement des capacités inclut aussi des formations, notamment (mais pas seulement) aux fonctionnaires de l’administration fiscale. Le FMI a aussi détaché au profit du Burkina Faso une experte fiscale pour une durée de 2 ans.
Par ailleurs, je compte renforcer l’appui du bureau local dans ce cadre par des activités comme le séminaire auquel vous avez assisté et qui se veut le début d’une série d’échanges qui sera organisée régulièrement sur des thèmes analytiques pertinents pour le pays.
Enfin, le soutien du FMI se fait à travers un accompagnement de tous les jours, de par notre rôle de conseil aux autorités, chaque fois que sollicité. Le personnel du bureau local, y compris moi-même, et les équipes au siège sont engagés à la réussite de cette mission.

Entretien réalisé par NK


Mame Astou Diouf Sow, représentante résidente du FMI

Je suis d’origine sénégalaise. Employée au FMI depuis près de 10 ans, j’ai travaillé dans trois départements différents, y compris plus récemment au département de stratégie, politique et revue où j’étais spécialiste en politiques de surveillance et experte en secteur extérieur (c’est-à-dire, par exemple, les questions de balance des paiements et taux de change) pour le Sri Lanka et la Lettonie. Il faut également noter que ceci est la deuxième fois que je couvre le Burkina Faso, car j’ai fait partie de l’équipe pays de Washington, il y a quatre ans de cela.
J’ai également écrit et co-écrit beaucoup de papiers de recherche, notamment un publié en 2016 sur comment relever le défi du financement des investissements nécessaires au développement du Burkina Faso. Par contre, ce que beaucoup ne savent pas, c’est qu’au-delà d’être macro-économiste, j’ai un penchant pour l’économétrie non paramétrique et les questions de développement. Ma thèse de doctorat est d’ailleurs une combinaison de ces deux domaines.

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