Supposons que vous ayez un violent mal de tête et qu’un guérisseur traditionnel vous propose une potion à 100 FCFA. Il vous précise également que le produit en question n’est efficace que si vous n’avez pas serré les mains d’une femme enceinte au cours des quinze derniers jours. Dans le même temps, vous savez qu’avec une plaquette de paracétamol à 100 FCFA, vous pourriez guérir votre migraine.
Laquelle de ces deux solutions choisiriez-vous ? La réponse peut paraître évidente. Ainsi, vous opterez pour la solution qui vous conduira à un résultat certain plutôt que de confier votre santé aux bonnes intentions du guérisseur.
En transposant cette anecdote au monde du développement, une question s’impose: les projets et programmes financés pour éradiquer la pauvreté ne devraient-ils pas s’appuyer sur des preuves concrètes plutôt que de s’appuyer sur les seules bonnes intentions des institutions ou sur celles des experts? Ainsi, à l’image de la médecine moderne qui s’est développée au début du XXe siècle grâce à la recherche scientifique, un nouveau courant de l’économie du développement milite pour que les pratiques de développement soient fondées sur des preuves issues de la recherche scientifique.
Pensons aux politiques de soutien au monde agricole. On estime que 70% des ménages pauvres à travers le monde tirent la majorité de leurs revenus de l’agriculture. Selon un récent rapport de la Fao, «plus de 90% des exploitations agricoles (…) peuvent être considérées comme exploitations familiales, cultivant 75% des terres agricoles».1 Malgré cela, faute de statistiques crédibles et de preuves scientifiques, les décideurs peinent à maîtriser tous les tenants et aboutissants de ce secteur pour élaborer des politiques efficaces. Afin d’apporter une contribution à ce débat, nous présentons ici les résultats d’une étude récente sur l’accès au crédit agricole réalisée au Mali.
Plusieurs études ont démontré que quand les producteurs ont la possibilité de faire des investissements supplémentaires, cela peut avoir un impact élevé sur leurs revenus, même lorsqu’il s’agit de petits investissements tels que l’achat d’engrais et de semences améliorées.2
Les institutions de microfinance ont tenté de soulager les contraintes de liquidité des plus pauvres, mais la plupart des ressources dédiées au microcrédit se concentrent sur le financement des petites entreprises en milieu urbain. De plus, le microcrédit standard nécessite des petits remboursements fréquents, ce qui ne facilite pas l’investissement dans l’agriculture où le revenu est perçu de manière forfaitaire une ou deux fois dans l’année.
La recherche scientifique menée par Innovations for Poverty Action (IPA) dans le Sud du Mali s’est penchée sur des produits financiers qui sont conçus pour les agriculteurs, fournissant du capital au début de la saison des semis, et avec un remboursement forfaitaire après la récolte. Une autre caractéristique novatrice est la faible co-responsabilité du groupe et la quasi-absence de subventions. Ainsi, nous avons testé un modèle de prêt agricole d’un genre nouveau, différent de ceux utilisés de par le passé.
L’assignation aléatoire, consistant à déterminer les groupes tests et témoins grâce à un tirage aléatoire, est la méthodologie employée pour déceler l’impact des crédits octroyés.
L’échantillon de cette étude est composé de 198 villages situés dans les régions du sud du Mali. Une importante institution de microfinance, Soro Yiriwaso, a offert un produit de prêt appelé «Prêt de campagne» à 88 villages choisis de manière aléatoire parmi les 198 villages, pour les saisons agricoles 2010 et 2011. Dans ces villages, dits villages tests, les ménages pouvaient obtenir s’ils le souhaitaient un prêt en rejoignant une association communautaire locale. Dans les 110 villages restants, dits villages témoins, aucun prêt n’a été offert. Cela nous permet d’identifier l’effet causal de se voir offrir un prêt de microfinance rurale sur une série d’indicateurs de résultats incluant les investissements en intrants, la productivité et la production agricole. Le montant moyen des prêts était de 32.000 FCFA.
Les résultats de cette expérimentation aléatoire sont très encourageants. Environ 22% des ménages ont choisi d’accepter le prêt dans les villages tests, ce qui est un taux similaire à d’autres contextes de microcrédit. La seule action d’offrir des prêts dans un village a conduit à une augmentation statistiquement significative des investissements en intrants agricoles ainsi qu’en production finale par rapport aux villages témoins. Sur la saison agricole, il a été observé une augmentation des jours de travail familial (8,7 jours), de la quantité d’engrais acquise (2.939 FCFA de plus), d’insecticides et d’herbicides achetés (1.442 FCFA de plus), ainsi qu’une augmentation de la valeur de la production agricole (9.190 FCFA), voir le tableau. Cependant, l’équipe de chercheurs n’a pas détecté une augmentation statistiquement significative des bénéfices, calculés comme différence entre les revenus et les coûts. En conclusion, nous pouvons affirmer que l’octroi de crédits à travers un produit de microfinance ciblé pour les ménages ruraux a permis d’augmenter les investissements agricoles et la production totale au niveau du village.
Ces résultats, ainsi que d’autres tendances que nous avons constatées grâce aux données collectées sur le terrain,3 révèlent les potentialités du microcrédit en milieu rural. Il est raisonnable d’affirmer qu’il existe dans les zones rurales du Sahel une forte demande de liquidité insatisfaite et que les paysans les plus efficaces savent comment mieux mettre à profit chaque franc additionnel qu’ils pourraient obtenir sur le marché. Cela est confirmé par le constat d’autres chercheurs concernant la prévalence de l’usure dans les zones rurales du Mali et du Burkina Faso. Les paysans attendent que les décideurs privés et publics saisissent l’opportunité de les accompagner avec des services financiers ciblés pour qu’ils puissent jouer leur rôle de levier du développement du monde rural.
Par Lori Beaman