Depuis le 23 avril dernier, l’ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina, Me Mamadou Traoré, est incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA) et ce en rapport avec le putsch manqué de septembre 2015. Ceci fait suite à une demande du doyen des juges d’instruction du tribunal militaire de Ouagadougou, adressée au Procureur général près la Cour d’Appel de Ouagadougou.
Depuis cette date, des voix s’élèvent pour dénoncer un vice de forme dans la gestion de cette affaire. Le Procureur général, Laurent Poda, a-t-il tordu le cou aux textes, notamment l’alinéa 2 de l’article 6 du règlement n°05-2014/UEMOA, pour autoriser «d’arrêter, d’inculper, d’entendre et de détenir» l’ancien Bâtonnier?
Face à la presse le 4 mai dernier, Laurent Poda a tenu à rappeler le contenu de cet alinéa 2 afin que tous soient situés. L’alinéa 2 de l’article 6 indique que: «Ils (les avocats) ne peuvent être entendus, arrêtés ou détenus, sans ordre du Procureur général près la Cour d’Appel ou du président de la Chambre d’accusation, le Bâtonnier préalablement consulté». Pour le Procureur général, c’est cette voie qu’il a suivi en adressant une correspondance au Bâtonnier en exercice, Me Mamadou Savadogo, le 30 mars 2016.
La réponse de ce dernier ne s’est pas fait attendre. En effet, le 1er avril 2016, le Bâtonnier Savadogo répondait au Procureur en ces termes: «Le but du législateur UEMOA à l’article 6 du règlement n°05/CM/UEMOA est de permettre au Bâtonnier de s’assurer que les poursuites pénales qui peuvent être engagées contre un avocat ne cachent pas une entrave à l’exercice de sa profession ou une atteinte à son indépendance.
L’exercice de ce contrôle n’est possible au Bâtonnier que s’il a connaissance des faits matériels reprochés à l’avocat. N’ayant aucune connaissance de ces faits, je ne suis pas, en l’état, à mesure d’exercer ce contrôle.
Je vous saurai gré de me communiquer les éléments de faits qui incriminent Maitre Traoré Mamadou, afin de me permettre d’en aviser». C’est suite à cette lettre du Bâtonnier en exercice que le Procureur près la Cour d’Appel de Ouagadougou a répondu favorablement le 1er avril 2016 à la demande du doyen des juges d’instruction du tribunal militaire en ces termes: «Par la présente, je vous donne l’ordre d’entendre, d’arrêter et ou de détenir maître Traoré Mamadou, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina Faso».
Pourquoi, malgré la réponse négative du Bâtonnier le Procureur a quand même ordonné d’arrêter Me Mamadou Traoré? Réponse du Procureur général: «La réponse du Bâtonnier ne me lie pas». En l’absence de faits, pourquoi avoir agi ainsi et surtout ne s’étant pas assuré que cette affaire n’a pas un lien avec la profession d’avocat?
A ce sujet , Laurent Poda se réfère au contenu de la demande du tribunal militaire: «De l’instruction du dossier «Commissaire du gouvernement contre Diendéré Gilbert et autres», poursuivis devant notre juridiction pour attentat à la sûreté de l’Etat et plusieurs autres infractions commises le 16 septembre et jours suivants à Ouagadougou , il appert (ndlr, il résulte) des indices graves et concordants susceptibles de motiver l’inculpation de Maître Traoré Mamadou (…) pour attentat à la sûreté de l’Etat, association de malfaiteurs, complicité d’enlèvement et de séquestration, complicité d’actes de terrorisme, complicité de crime contre l’humanité, complicité de meurtre, complicité de coups et blessures volontaires, complicité de dégradation volontaire aggravée de biens, ensemble et de concert avec Diendéré Gilbert et autres».
Et le Procureur général de se demander: «Attenter à la sûreté de l’Etat est-il lié à la profession d’avocat?» Et de renchérir: «L’avis du Bâtonnier ne me lie pas». Selon le Procureur général, l’alinéa 2 de l’article 6 du règlement UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA l’oblige simplement à consulter le Bâtonnier sans toutefois que sa réponse puisse lier sa décision. Pour lui, le contraire aurait eu pour conséquence une atteinte grave à l’indépendance de la justice. En clair, le Procureur général près la Cour d’Appel de Ouagadougou affirme avoir agi dans son bon droit. Pour Laurent Poda, son action a été guidée d’une part par le respect de la légalité et d’autre part par sa conviction que nul n’est au-dessus de la loi.
Ainsi, conclut-il, lorsqu’un citoyen est mis en cause, l’utilité et la nécessité de s’expliquer devant la justice commandent qu’il y réponde, et cela quelle que soit sa qualité.
Alexandre Le Grand ROUAMBA
Tentative d’entente entre le Procureur et le Bâtonnier ?
Au cours de la rencontre avec la presse, le Procureur général a confié ceci: «J’ai eu un entretien (le 2e) avec le Bâtonnier (ndlr, en exercice) le 21 avril 2016. Il m’a informé de ce qu’il avait lu dans la presse qu’un mandat d’arrêt aurait été émis contre l’ancien Bâtonnier, puis m’a laissé entendre que ce dernier était présent à Ouagadougou. Que si celui-ci a pu être absent du territoire par moment, cela est dû au fait que lui Bâtonnier l’a chargé de certaines missions à l’étranger. Il a poursuivi en me précisant que l’objet de leur audience (il était accompagné d’une de ses consœurs) était de me demander en tant que Procureur général de plaider auprès du doyen des juges d’instruction militaire, pour qu’au cas où maître Mamadou Traoré venait à être inculpé, qu’il ne soit pas mis sous mandat de dépôt. Je lui ai fait savoir mon opinion sur l’indépendance du juge lorsque celui-ci est saisi d’un dossier et je lui ai néanmoins promis de transmettre sa doléance au juge d’instruction; et je l’ai fait».