A la faveur de l’émission «Tapis rouge» de la Radio nationale, Boukary Kaboré dit le «Lion», colonel à la retraite, ami du défunt Thomas Sankara, était face aux confrères Boureima Djiga et Prosper Dah le 21 février dernier à Koudougou. Retour sur certaines questions dignes d’intérêt posées au président du Pund.
– Avec le recul, ne vous sentez-vous pas responsables de la mort de Thomas Sankara, vous et le Bia, pour n’avoir pas pu assurer sa sécurité à la hauteur de son rang ?
Boukary Kaboré «Le Lion» : Le premier responsable de la sécurité de Thomas Sankara, c’était Blaise Compaoré. Moi, j’étais son adjoint. Blaise commandait le Centre national d’Entraînement (Cnec) de Pô et moi, le Bataillon d’infanterie aéroportée (Bia) de Koudougou. Dans la sécurité de Thomas, j’avais 45 éléments et la majorité était ceux de Blaise. Nous n’avons pas pu éviter ce qui est arrivé. Qu’est-ce qu’on pouvait faire pour sauver quelqu’un qui voulait se suicider ?
– Etait-il donc au courant du coup d’Etat ?
Il était au courant. On a tout fait, mais Thomas Sankara a refusé. J’ai tout fait, mais il était catégorique : on ne touche pas à Blaise. On pouvait faire quoi en ce moment? Je suis content qu’on parle du dossier Thomas pendant que Blaise est toujours vivant. Si ce que je dis est faux, il peut téléphoner pour démentir. C’était mon premier souci, que Blaise soit vivant quand on allait parler de ce dossier. Sankara était catégorique. Il nous disait ceci : « Laissez Blaise nous tuer et les gens vont parler demain de ce que nous avons fait». Je lui ai dit ceci : «Non, si tu veux mourir tu vas mourir seul».
– Mais quelle solution lui aviez-vous proposée ?
L’arrestation pure et simple de Blaise. Sankara pensait qu’on allait le buter, alors que non !
– Pourquoi avez-vous fui le 27 octobre 1987 ?
Je n’ai pas fui. J’ai préféré m’écarter pour ne pas engendrer un carnage.
-Malgré tout, il y a vos hommes qui ont été tués…
Oui, mais dix hommes par rapport à 10.000 personnes ? Je pensais que c’était moi qu’on cherchait. C’est pourquoi, je m’étais écarté et j’ai demandé à mes éléments de déposer les armes. Il n’y avait donc pas d’affrontement à Koudougou. On a pris les gens et on les a tués froidement.
C’est la méchanceté pure et simple. Ce n’est pas seulement à Koudougou qu’on a tué froidement. Ils sont partis à Bobo, en 1988, ont accusé des gens et en ont tués sept dont le capitaine Sanogo et sa femme. Thomas est mort avec 12 personnes. On vient à Koudougou et comme on n’a pas pu tuer le «Lion», on a fusillé onze personnes dont six officiers. Un an après, on va encore puiser sept éléments à Bobo pour les tuer.
– Comment jugez-vous la marche de la transition ?
Moi, j’aurais préféré un régime d’exception. En trois mois, on balaie tout et les gens allaient venir s’asseoir proprement. C’est ça que le peuple voulait. Maintenant, vous utilisez des textes pour martyriser le peuple. Pendant ce temps, les voleurs courent. Vous voyez maintenant ? Quand on s’est fait de l’argent sur le dos du peuple, on se lève pour briguer la magistrature suprême. Regardez comment ça grouille. Si on avait balayé, tout cet argent allait revenir dans nos caisses et on allait voir si ces derniers allaient venir en caleçon pour dire qu’ils sont candidats. Il faut la dictature du peuple. On a volé le peuple, ce peuple doit réclamer son dû. Le peuple est sorti pour ça. La première mission de la transition devait être de lancer un mandat d’arrêt contre Blaise. Blaise doit revenir tout de suite. Lui-même s’attend à revenir. On doit le juger.
– Que pensez-vous de la situation du Rsp ? Dissoudre ou ne pas dissoudre ?
C’est exactement comme l’histoire de la transition. On a commis l’erreur de reconduire la Constitution. Si on a reconduit la Constitution, cela veut dire que les institutions restent en place. C’est là que je dis qu’on a compliqué la vie de notre président, Michel Kafando. On doit lui permettre une marge de manœuvre. Mais là où il est, il ne peut pas prendre de décision.
Le Rsp est un autre problème. Bien avant qu’il ne parte, Blaise a tout miné au Burkina. Je le dis parce que l’armée est tellement désorganisée qu’il y a un problème de commandement en son sein. Il faut d’abord que le commandement de l’armée soit véritablement rétabli.
Quand cela va intervenir, le problème du Rsp trouvera solution. Dans tous les pays du monde, la nomination d’un général est laissée à la discrétion du chef de l’Etat. Mais ce dernier ne doit pas être suffisamment idiot pour ne pas comprendre que c’est en pointillés qu’il doit comprendre que cette nomination doit obéir à l’intérêt de la nation. Si c’est fait dans ce cadre, l’armée reste l’armée. Mais si c’est fait dans un cadre népotique, l’armée meurt en même temps. Et c’est cela que nous avons actuellement dans notre armée.
– Pensez-vous qu’il faut ouvrir la tombe de Thomas Sankara ?
Nous sommes des Africains et il y a les coutumes. La tombe d’un martyr peut-elle être touchée? Faut-il aller ouvrir cette tombe? Faisons donc très attention. Qu’est-ce qu’on va faire des os de celui qui est décédé ? Si vous engagez la procédure de l’exhumation du corps, je ne suis pas sûr que son aboutissement nous trouve vivants parce que cela peut prendre 30 ans. Il y a d’abord les milliards qu’on va dépenser pour les blancs qui vont venir bouffer ça ici. Laissez Sankara reposer tranquillement et proposons autre chose.
– Avez-vous une proposition ?
On met d’abord Blaise en prison ainsi que ceux qui ont tué Sankara et qui sont vivants. Sankara était un héros et normalement, on doit prendre un décret à cet effet. En ce moment, on prend quelque chose de colossal pour associer à son nom. Au Pund, on n’en a pas discuté, mais je propose qu’on prenne l’aéroport et on le baptise «Aéroport international Thomas Sankara de Ouagadougou». Et c’est réglé !
La Rédaction
(avec Rtb)