Une start-up française et trois étudiants en design ont trouvé une solution pour le moins originale au recyclage d’ordinateurs. Ils ont créé «Jerry», des ordinateurs fabriqués à partir d’anciens composants et installés dans des bidons plastiques. Leur association, « Jerry Do It Together », propose désormais des ateliers dans des pays en développement. Pour que tous, citoyens comme ingénieurs, créent le Jerry dont ils ont besoin.
À première vue, Jerry n’a rien d’un ordinateur classique. Il ressemble surtout à un bidon que l’on utilise pour transporter de l’eau. Une fois ouvert, c’est un tout autre objet qui se présente à nos yeux. Les composants essentiels d’un Mac ou d’un PC sont bien présents. Carte mère, disque dur – tout y est.
Ce bidon pour le moins particulier, souvent customisé, est un ordinateur de base, fait de plastique et de composants d’ordinateurs recyclés. À la fois serveur et ordinateur, Jerry contient un système open source, Linux, qui permet à ses utilisateurs d’installer – et d’inventer – les logiciels qu’ils désirent. Partager des documents, se connecter à Internet, envoyer des messages de rappel : ce bidon s’adapte aux besoins de tous.
Dans la ville de Bouaké en Côte d’Ivoire, un Jerry local envoie ainsi des messages aux patients atteints de tuberculose afin de leur rappeler, chaque jour, de suivre leur traitement.
Un accès écologique et pédagogique à l’informatique
L’idée est née en 2010 d’une collaboration entre Hedera Technology, une start-up française cherchant à mettre au point des serveurs écologiques, et trois étudiants de l’ENSCI, l’École nationale supérieure de création industrielle. Ils sont partis d’un constat très simple : le fait que l’empreinte écologique d’un ordinateur a surtout lieu lors de sa production.
La création d’un ordinateur classique requiert en moyenne 240 kilos de combustibles, 22 kilos de produits chimiques et 1,500 kilos d’eau, selon un rapport de l’université des Nations Unies. Hedera s’est ainsi associée avec l’ENSCI pour créer un produit qui serait à la fois écologique et accessible aux plus démunis – les populations rurales des pays en développement.
Le groupe décide d’opter pour un matériel léger, facilement transportable et résistant à la pluie ou la boue. Une quinzaine de prototypes sont mis au point en un an. Un seul sera retenu : Jerry. « L’idée d’un bidon nous est venue comme cela », se souvient Jérémie Bourdoncle, PDG d’Hedera Technology. «Avec un matériau que vous trouvez partout, vous pouvez désormais construire un ordinateur».
Une fois le prototype lancé, Romain Chanut, alors stagiaire au sein d’Hedera, décide de créer l’association « Jerry Do It Together » pour développer le projet. Il lance un blog pour diffuser le mode d’emploi d’un Jerry, en France et à l’étranger. L’objectif ? Permettre à des personnes éloignées des technologies de créer elles-mêmes, avec un simple PDF, leurs ordinateurs.
En seulement trois ans, dix pays ont rejoint le mouvement – sept au cours des 12 derniers mois. Qu’ils soient citoyens ou développeurs confirmés, les participants se réunissent autour d’ateliers « Jerry », où ils apprennent, ensemble, à construire des ordinateurs dans des bidons. Plus qu’un simple groupe intéressé par l’idée, ils sont une vraie communauté – soudée autour d’un nom, le « JerryClan».
Un ordinateur plus «do-it-together» que «do-it-yourself»
Le projet «Jerry Do It Together» porte bien son nom : il s’agit avant tout d’un produit «fait ensemble». Certes, Jerry peut se construire seul, chez soi, rapidement. Mais pour Romain Chanut, il doit être construit par et pour une communauté. «Nous voulons que nos ordinateurs viennent des gens, qu’ils varient selon les besoins des populations qui les créent», insiste le co-fondateur du projet.
Le premier Jerry africain est ainsi né deux mois après le lancement du blog de l’association. Convaincu par le projet, Florent Youzan, un ingénieur informatique ivoirien, s’est empressé de lancer les premiers ateliers «Jerry» en Côte d’Ivoire. Lançant le premier «JerryClan» du continent, il a permis à des villageois, loin de tout accès à l’informatique, de créer des ordinateurs pour leurs communautés.
Certains d’entre eux se sont servis de Jerry pour lancer M-Pregnancy, un logiciel permettant aux femmes enceintes de recevoir des conseils et des rappels de leurs rendez-vous médicaux via des sms. Des patients souffrant de diabète ou de la turberculose ont pu bénéficier d’un service similaire, un Jerry leur envoyant des sms de rappel pour qu’ils prennent leurs médicaments. D’autres, enfin, envoient des messages pour localiser une pharmacie de garde ou une déchetterie.
«Ces ateliers nous ont prouvé qu’il ne faut pas avoir beaucoup d’argent pour innover», explique Yéo Soungari, étudiant en informatique en Côte d’Ivoire et l’un des créateurs du logiciel Jerry pour les personnes atteintes de tuberculose. «Mes parents n’ont pas les moyens de m’acheter un ordinateur. Je peux désormais me débrouiller grâce à ce que j’ai appris avec le JerryClan».
Peu à peu, des développeurs et citoyens ivoiriens ont amené l’idée des ateliers Jerry au Togo, puis au Mali, au Sénégal ou au Tchad. Le projet s’est diffusé à travers l’Afrique de l’Ouest, créant au passage une véritable communauté d’aficionados. Aujourd’hui, il existe entre 80 et 90 Jerry dans le monde, en Afrique mais aussi à Detroit, Dallas ou Paris. Plus de 150 ordinateurs ont ainsi pu être recyclés. Les Jerrys, eux, s’améliorent de jour en jour. «Les innovations imaginées par nos utilisateurs, en Côte d’Ivoire ou en Algérie, par exemple, nous ont aidés à améliorer le produit», constate Romain Chanut. «Grâce à eux, nous sommes parvenus à mettre au point de nouveaux outils et matériaux».
Militant pour le logiciel libre au Cameroun, Serge Sonfack a pour projet de créer des Jerry et d’en faire don à des écoles, des orphelinats ou des hôpitaux. «Mais nous avons besoin de plus de matériel et de soutien», insiste-t-il.
Yéo Soungari a lui aussi fait face à ces difficultés en Côte d’Ivoire. Parfois, le matériel recyclé est trop vieux pour être utilisé, ou il manque encore aux utilisateurs quelques pièces pour créer un Jerry complet. Mais comme le dit l’étudiant en informatique ivoirien, «chaque difficulté de la vie est une idée d’entreprise».
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