Tribune

Chroniques du Blatterball

LONDRES – La Coupe du monde vient de s’achever avec son panache habituel et une grande partie du monde, comme d’habitude, n’a pas pu s’empêcher de se laisser emporter par toute cette excitation : ce qui est exactement le résultat escompté par Sepp Blatter. Blatter, le président de la Fifa, l’entité organisatrice de la coupe, tient à ce que la joie d’un mois de jeu efface la corruption, les magouilles et le tout dernier scandale sur la billeterie, qui ont ébranlé son mandat. Les choses ont bien changé depuis 1998, quand Blatter est entré en fonction. Les médias sociaux n’existaient pas et Internet n’était pas encore devenu un moyen de diffuser les opinions de ceux qui n’ont pas voix au chapitre et des démunis. Sans parler de la culture de l’activisme salarial et de la responsabilité sociale des entreprises, avec l’ampleur qu’ils ont de nos jours. Comme l’ont découvert BP, GM et la Royal Bank of Scotland, le monde regarde, parle et n’est plus disposé à accepter l’ancienne manière de faire des affaires. Le code de conduite sur le terrain (où l’on s’attend à ce que les joueurs donnent le meilleur d’eux-mêmes en vertu des règles claires, rapidement appliquées par des arbitres indépendants) est fondamentalement la même chose que ce que nous attendons des instances dirigeantes en dehors du terrain. En ce sens, la Fifa n’est pas un cas particulier : toutes les organisations à but non lucratif et à but lucratif partout dans le monde sont censées respecter ce code de conduite. Et c’est pourquoi les problèmes de la Fifa sont peu susceptibles de s’estomper. Il faut les aborder de front, faire table rase de ses dirigeants et opérer une refonte complète de ses structures de gouvernance. La Fifa est aussi complexe que n’importe quelle grande multinationale publique ou privée : sa réaction doit refléter cette dimension. Tout d’abord, la Fifa doit introduire des membres du Conseil réellement indépendants dans le processus de gouvernance : ceux qui poseront les questions qui fâchent et défieront les cadres de l’organisation. Une gouvernance exercée uniquement par les membres de l’association n’a pas fonctionné et, en encourageant un manque de transparence, a pu rendre la Fifa encore plus vulnérable aux problèmes auxquels elle est à présent confrontée. Aucune organisation qui détient autant d’influence et d’importance publique ne devrait être en mesure de fonctionner comme une boîte noire. De même, la Fifa doit instaurer et respecter une limitation plus claire de la durée du mandat pour le président et pour les membres de son conseil d’administration, à commencer par Blatter, avec effet immédiat. Un système d’équilibre des pouvoirs plus efficace ne sera pas facile à mettre en place : mais il ne se produira pas du tout sans champions. Avant le début de la Coupe du Monde, certains représentants des associations membres de la Fifa ont pris la parole pour s’opposer au statu quo. Il s’agit à présent de tenir parole. Il y a d’autres lueurs d’espoir. Dans le monde des entreprises à but lucratif, les investisseurs sont de plus en plus exigeants quant à de meilleures normes de gouvernance d’entreprise, et de conseils d’administration plus diversifiés comprenant des membres indépendants. Ils jouent un rôle beaucoup plus actif et public en se prononçant contre les pots de vin, la corruption et les rémunérations excessives, en faveur de la responsabilité sociale des entreprises et de pratiques professionnelles équitables. Si leurs appels restent lettre morte, ils peuvent s’exprimer lors de l’assemblée générale annuelle, ou bien exprimer leur mécontentement. Les sponsors de la Fifa doivent mettre la Fifa face à ses responsabilités. Et certaines voix commencent timidement à se faire entendre. Si cela ne se produit pas, les sponsors risquent de s’exposer à une réaction en retour des consommateurs : la mauvaise réputation de la Fifa pourrait déteindre sur leurs marques. Les consommateurs n’ont jamais été aussi informés qu’aujourd’hui et peuvent eux aussi exprimer leur mécontentement. Toutefois, en fin de compte, le changement commence au sommet. Pensez à ce qu’un changement de leadership a fait pour l’Eglise catholique romaine : le Pape François Ier est en train de transformer une institution pensée pour être si byzantine, opaque et intraitable, que le changement y paraissait tout simplement impossible. Si l’Eglise catholique est capable de changer, l’église du football le peut aussi. On peut en tirer un autre enseignement: un bon leadership consiste aussi à savoir quand démissionner. Si Blatter tient sincèrement à la Fifa, il sait que rester en place pourrait entrainer l’organisation encore plus loin dans le discrédit, endommager tout son positif de contributions et peut-être le forcer à partir avec sa réputation entachée. Voici la légende d’une photo de Blatter en page six du rapport financier 2013 de la Fifa : « Nous sommes parvenus à des niveaux très élevés de responsabilité, de transparence et de contrôle financier. » Le problème, c’est que personne n’y croit. La Fifa a désespérément besoin de restaurer sa crédibilité auprès du public. Cela ne se produira qu’une fois les changements nécessaires effectués au sommet et au sein de toute l’organisation.


 

Le futur de la Fifa

La Fifa a deux problèmes. Le premier est un manque manifeste de conformité à l’égard des pratiques commerciales généralement reconnues. Certaines allégations de malversation allaient des matches truqués et de la corruption parmi les membres du Comité exécutif de la Fifa, jusqu’à des questions sur la manière dont le Qatar a été choisi pour accueillir la Coupe du monde en 2022. Le deuxième problème est sans doute plus grave, car il s’agit d’un épiphénomène : les dommages qu’un comportement contraire à l’éthique a causé à l’idéal de fair-play. Quand les gens voient une institution qui se rapporte à quelque chose qui les passionne manquer publiquement au respect de règles simples, ils perdent confiance non seulement en cette institution, mais aussi en l’idée que la bonne gouvernance soit réalisable en tant que telle. Le message envoyé et compris est que certaines institutions (de toutes sortes) sont à l’abri des regards et peuvent jouer selon leurs propres règles.

Copyright: Project Syndicate, 2014. www.project-syndicate.org

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