Dans un contexte marqué par la quête de la souveraineté politique et économique des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), et sous l’impulsion des activistes panafricanistes, le débat sur la souveraineté monétaire refait surface depuis un certain temps.
L’option pour l’union monétaire
Deux arguments majeurs militent en faveur de la création d’une union monétaire, à savoir la promotion du commerce et des flux financiers entre pays de l’Union et le maintien de la crédibilité de la Banque centrale dans sa maîtrise de l’inflation.
Dans une union monétaire, la politique monétaire et de change est commune, alors que les situations conjoncturelles peuvent être différentes. C’est présentement le cas de l’UEMOA où les pays du Sahel (le Mali, le Niger et le Burkina Faso) sont confrontés au terrorisme avec son corollaire sur les déficits budgétaires et la crise humanitaire sans précédent.
En outre, ces pays sahéliens qui disposent d’une saison sèche et d’une saison pluvieuse ont des critères qui convergent mieux par rapport à ceux des pays côtiers qui disposent de deux saisons sèches et de deux saisons pluvieuses et des débouchés maritimes.
Il serait difficile d’exiger des pays sahéliens et des pays côtiers d’avoir les mêmes critères de convergence macroéconomique qui d’ailleurs, n’ont pas de fondements économiques.
Il convient de noter que les Unions n’ont pas le même régime de changes : l’UEMOA et la CEMAC sont dans le rattachement conventionnel, l’Union des Caraïbes orientales est dans la caisse d’émission, tandis que l’Union monétaire européenne est dans le flottement libre.
Au regard des insuffisances constatées avec l’UEMOA et la CEMAC dans le rattachement conventionnel, si l’union monétaire est retenue, l’AES pourrait opter pour la caisse d’émission ou le flottement libre, voire dirigé.
L’option pour une zone monétaire
Au cas où l’AES souhaiterait rester dans la zone « franc » avec sa nouvelle monnaie, plusieurs changements sont possibles :
– le changement du nom de la zone « franc » qui va regrouper en plus de l’UEMOA (sans les pays de l’AES), la CEMAC et l’AES ;
– l’abandon du compte d’opérations et la représentation de la France dans les Conseils d’administration ;
– la flexibilité du taux de change ;
– la suppression de l’exigence d’unanimité pour un changement de parité ;
– l’abandon du change fixe, ce qui signifie aussi abandon de souveraineté, car le choix du niveau du taux de change ne serait plus de la responsabilité des Etats mais des Banques centrales (BCEAO, BEAC, Banque centrale de l’AES) ;
la création de marges et le changement de l’ancrage : un panier de monnaies qui prend en compte la nouvelle dynamique de coopération.
Les zones monétaires ont essentiellement trois (03) caractéristiques : la parité fixe entre les monnaies de la zone ; l’accord de coopération monétaire prévoyant une mise en commun partielle ou totale des réserves extérieures et éventuellement une plus grande liberté des changes à l’intérieur de la zone (ce qui n’est pas le cas dans la Zone franc).
Une zone monétaire qui va regrouper les Unions monétaires, l’UEMOA (sans le Burkina Faso, le Mali et le Niger), la CEMAC et l’AES pourrait être envisagée, avec en ligne de mire, les changements ci-dessus énumérés.
Par contre, une zone monétaire de l’Alliance des Etats du Sahel où chaque pays dispose de sa monnaie n’est envisageable que lorsque ces Etats décident de trouver une puissance économique étrangère qui sera le prêteur de dernier ressort, car ni le Burkina Faso, ni le Mali ou le Niger ne peut jouer un rôle de prêteur en dernier ressort. En outre, étant donné les crises multidimensionnelles que traversent ces pays, il n’est pas évident que des monnaies nationales puissent résister.
Quelle devise pour l’ancrage de la nouvelle monnaie de l’AES
Il existe deux modes de rattachement : le rattachement de la monnaie à une devise et le rattachement à plusieurs devises connues sous le nom de « panier de devises ».
Le choix de la devise de rattachement est fonction des partenaires commerciaux.
Tenant compte des principaux partenaires commerciaux de l’AES, on a deux options :
– le rattachement de la nouvelle monnaie à une devise : au regard des principaux partenaires de l’AES et dans la perspective de la nouvelle dynamique de coopération, il serait judicieux qu’elle soit rattachée à la future monnaie des BRICS. D’où la double incertitude : incertitude pour la future monnaie des BRICS et incertitude pour la nouvelle monnaie de l’AES qui ne sont pas encore créées. L’avantage du rattachement à une devise est la stabilité du cours de change vis-à-vis de la monnaie de rattachement et de celles qui lui sont rattachées ;
– le rattachement à un panier de monnaies : tenant compte des principaux partenaires de l’AES, le Yuan, le Rouble, le Roupie, l’euro et le dollar sont potentiellement les devises de rattachement de la nouvelle monnaie.
Quel régime de change pour la future monnaie de l’AES
Le choix du régime de change dépend du statut de la monnaie. Il existe trois cas de figure : la monnaie nationale, la monnaie multinationale (union monétaire) et la dollarisation de l’économie.
Le Fonds monétaire international distingue dix catégories de régimes de change auxquelles sont associés divers indicateurs de politique monétaire. Ces dix catégories de taux de change sont regroupées dans le cadre d’une classification binaire : change fixe et change flottant.
Le choix entre le change fixe et le change flottant réside sur les priorités qui sont différentes :
– le change fixe, en optant pour un ancrage de la monnaie sur une autre devise, poursuit deux objectifs majeurs : favoriser le commerce avec l’extérieur et la stabilité monétaire ;
– le change flottant est une adaptation automatique du taux de change aux déséquilibres de la balance des paiements.
Le contexte de la politique monétaire est différent, en raison des caractéristiques des deux régimes.
Dans le régime de change fixe, le cours de change peut être « administré » ou « de marché ». Dans un régime de change fixe, il est difficile d’avoir une politique monétaire indépendante et une mobilité parfaite des capitaux. L’UEMOA et la CEMAC appliquent le régime de change fixe qui les prive d’un instrument de politique commerciale.
Dans un régime de change flottant, les variations dépendent des modalités du régime que sont :
• les conditions de modification de la parité ;
• le mode de rattachement à une ou plusieurs devises ;
• la dimension des marges d’intervention de la Banque centrale sur le marché des changes.
Ces trois facteurs de variation se combinent.
L’union monétaire serait la meilleure option pour l’AES à cause de la mutualisation des risques qui permettent la viabilité de la monnaie commune. Si l’UEMOA, avec son régime de change fixe, n’a pas permis aux pays membres d’atteindre les objectifs de développement et dans l’hypothèse de l’option d’une union monétaire de l’AES, alors il pourrait être judicieux d’expérimenter un nouveau régime de change : la caisse d’émission ou le flottement libre. o
KAMBOU BERNABE OLLO, Economiste senior
Chaque option a ses avantages et ses inconvénients
Les caractéristiques d’une caisse d’émissions sont la parité fixe vis-à-vis d’une devise, considérée comme inamovible, et la monnaie centrale est émise seulement en contrepartie de l’achat de devises.
Les avantages de la caisse d’émissions ont la forte crédibilité de la parité et de la stabilité de la valeur de la monnaie. Les inconvénients portent sur le risque de déflation et de crise bancaire en l’absence de crédit de la Banque centrale aux banques commerciales. En outre, la modification de la parité est impossible, sauf en cas de changement de régime.
Le flottement libre est beaucoup adapté aux pays développés à cause de la crainte de ne pouvoir défendre la parité. La triste expérience du Nigeria qui, suite à la baisse importante du prix du pétrole, a connu trois (03) changements de régime de change en une année, notamment, en 2016, en est une illustration parfaite. Toutefois, tenant compte des principaux partenaires commerciaux de l’AES en Afrique et au regard du faible niveau des échanges intracommunautaires au sein de l’UEMOA, une union monétaire pourrait ne pas trop impulser les échanges commerciaux entre les pays de l’AES qui ont des tendances économiques similaires, alors qu’elle engendrerait des coûts de transactions avec les partenaires traditionnels. D’où l’intérêt d’être prudent et d’approfondir les réflexions et les réformes avant toute initiative de création d’une nouvelle monnaie de l’Alliance des Etats du Sahel.


