• 15 milliards FCFA d’effort supplémentaire pour les VDP
• Près de 10 milliards FCFA seront tirés des travailleurs du public
• La contribution du secteur privé estimée à 15 milliards FCFA
Pour une reconquête totale du territoire national, le gouvernement de transition, sous l’impulsion du président du Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, une contribution « obligatoire » des travailleurs a été imposée, à travers le prélèvement de 1% sur le salaire net des travailleurs du public et du privé, de 25% sur les primes au niveau des départements ministériels et des Sociétés d’Etat et des Etablissements publics de l’Etat (EPE), et de 5% sur le salaire des ministres, pour alimenter le Fonds de soutien patriotique (FSP).
Avec ces mesures prises le 5 janvier 2024, la prime des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) passe de 60.000 à 80.000 FCFA et la prime d’invalidité de ces VDP va passer de 1,8 million à 3 millions FCFA et le capital décès va croître de 1 à 3 millions FCFA.
Quelle est la portée de ces mesures fiscales sur les travailleurs et les entreprises ? L’Economiste du Faso a approché le Centre d’information, de formation et d’études sur le budget (CIFOEB). Lisez plutôt !
L’Economiste du Faso : L’effort de guerre se poursuit avec des prélèvements obligatoires, les revenus des salariés sont directement touchés et les salaires et les primes. N’est-ce pas l’échec des contributions volontaires ?
Youssouf Ouattara, Directeur exécutif CIFOEB : Les contributions volontaires sont des contreperformances, parce que la stratégie du gouvernement, en créant le Fonds de soutien patriotique (FSP), était basée sur cette contribution volontaire. Au départ, le gouvernement voulait en faire une mesure d’ordre général, et c’est sûrement après les concertations avec le monde syndical, qu’ils ont décidé de solliciter le consentement des travailleurs pour les 1% ou de manière générale, les contributions volontaires.
Au résultat, même si le FSP a atteint sa prévision qui était de 100 millions FCFA, on se rend compte que le volet contribution volontaire a connu une contreperformance. A un certain moment, le gouvernement pensait qu’il n’allait pas atteindre les résultats prévus, et c’est pour cela qu’il y a eu les deux types de mesures fiscales. Il y a d’abord eu la mesure sur les boissons et d’autres produits et la mesure sur les services de télécommunication. C’est en appréciant l’évolution de la performance du FSP, en général, particulièrement des contributions volontaires, qu’il y a eu l’ensemble de ces mesures complémentaires qui viennent compenser les insuffisances des contributions individuelles. On peut dire que n’eût été ces mesures sur les boissons et autres produits et les services de télécommunication, on aurait été en deçà des objectifs et c’est sûr que le gouvernement ne serait pas en mesure de répondre aux besoins des charges liées au recrutement et au fonctionnement des VDP.
On n’a pas d’objectifs chiffrés pour les 1% et les 25%, n’est-ce pas handicapant en termes de lisibilité (potentiel mobilisable) ?
Le prélèvement constitue une véritable niche, car si on regarde la structure de la performance du FSP à partir des chiffres donnés par le ministère en charge des finances, en novembre 2023, sur 70 milliards FCFA collectés, l’apport des contributions volontaires n’a été que 1 milliard 400 millions FCFA, soit 1,99%. L’essentiel a été apporté par les boissons, les taxes. Il y a toujours une marge, car si on regarde surtout les effectifs de la Fonction publique, le volume de la masse salariale, on peut se dire qu’il y a une marge sous laquelle le gouvernement veut travailler pour pouvoir améliorer la performance de ce Fonds. Pour le Budget 2024, la masse salariale est estimée à 1.022, 444 milliards FCFA, et si on estime que c’est la masse salariale qui sera ordonnancée. On estime également que pour un bulletin de salaire de base, si on va sur l’estimation d’une déduction de 20% de la masse salariale au titre des charges sociales. Sur cette déduction de 20% sur 1.022,444 milliards FCFA, on se retrouvera entre 830 et 900 milliards FCFA et le prélèvement de 1% sur les 800 milliards FCFA, nous avons 8 milliards FCFA. Cela constitue un potentiel pour le secteur public. Le calcul que nous faisons est un calcul de proximité, sinon, la performance pourrait atteindre 9 milliards ou 10 milliards FCFA.
Ensuite, si on prend le secteur privé et on prélève aussi 1% dans ce secteur, je pense qu’on va se retrouver avec 15 milliards, plus 2% sur les bénéfices nets des entreprises. Il faut rappeler que le gouvernement a augmenté les primes des VDP de 30%, exactement 20.000 FCFA de plus pour chaque VDP. Leurs primes vont passer de 60.000 à 80.000 FCFA. Le Premier ministre, lors de sa sortie devant l’Assemblée législative de transition, a estimé l’effectif des VDP à 60.000 et chaque VDP à 240.000 FCFA de plus sur sa rémunération annuelle. Pour simplifier les calculs, on mettra 250.000 FCFA. Cette somme multipliée par 60.000 VDP représente 15 milliards FCFA.
L’estimation de l’effort supplémentaire pour prendre en charge les VDP est d’environ 15 milliards FCFA. En prenant une mesure d’ordre général de prélever les 1% sur l’ensemble des salariés, le gouvernement va atteindre son objectif.
En instaurant une obligation de contribuer, le gouvernement dispose de chiffres pour calculer le potentiel à encaisser. Cela permet d’avoir une prévisibilité de cette recette pour pouvoir faire face à la charge liée à l’augmentation des primes.
Maintenant, il y a un enjeu beaucoup plus social et politique. C’est pour cela que la mesure de prélever les 1% doit être analysée profondément. Pour moi, le gouvernement dispose toujours de l’instrument budgétaire pour faire payer. L’instrument budgétaire, c’est un moyen par lequel le gouvernement décide de diminuer certaines dépenses et de faire des arbitrages.
La ponction sur les primes ne va-t-elle pas impacter la motivation des agents publics ?
Je pense que c’est la même question psychologique que les 1%, et cela dépend de comment les acteurs considèrent le prélèvement. Si certains le considèrent comme une sanction par le gouvernement, évidemment que ça va conduire à un mécontentement. Mais c’est une mesure d’autorité qui s’applique à tous les travailleurs. Ce que je crains plutôt, c’est qu’est-ce que ça peut induire en termes de comportement de certains agents qui sont sur des segments de recouvrement, quel sera alors leur comportement en termes d’éthique et de déontologie vis-à-vis de la mesure ?
Par exemple, vous prenez un agent qui a une prime de 2.000.000 FCFA par an, donc avec la mesure, on va prélever 500.000FCFA, ce qui représente une grosse somme en moins. Cet agent, nous ne le souhaitons pas, peut développer des initiatives pour rattraper ce manque ou même trouver d’autres mesures de compensation. Pour éviter tout cela, le CIFOEB prône la mise en place de mécanismes de transparence, l’intégration maximale des technologies dans le système de gouvernance, la réduction du pouvoir discrétionnaire des agents publics dans certaines mesures. De façon générale, les Burkinabè ne s’opposent pas à ce qu’ils assument eux-mêmes la charge de facture de la défense du pays, mais ce qui est une préoccupation, c’est la question d’équité. Est-ce que cette charge est équitablement portée sur les citoyens de manière générale, ensuite, ceux qui gouvernent font-ils suffisamment d’effort pour recouvrer là où il faut recouvrir, pour aller chercher suffisamment de ressources là où il faut, en s’attaquant aux mauvaises gouvernances, afin de disponibiliser les ressources et pouvoir faire face au problème ?
Propos recueillis par AT, ACS et retranscrits par Issaka DIALLA (Stagiaire)
Encadré
Le prélèvement sur les entreprises
2% des bénéfices des entreprises sont également touchés par l’effort de guerre, avez-vous une idée des modalités de versement des ressources pour le Fonds de soutien patriotique (FSP) ?
« Le dispositif prévoit que l’administration fiscale sera mise à contribution, parce que les autres impôts sont recouverts par les administrations fiscales. A cette occasion, l’administration fiscale va devoir recouvrir aussi les 2% au titre du FSP qui seront affectés à cette recette.
C’est sur les prélèvements de 1% que des interrogations se posent. A ce niveau, plusieurs options existent. Le reversement peut se faire au niveau de l’administration fiscale, lors de la déclaration des IUTS et au niveau des banques. Il faudra toujours trouver la formule la moins chère pour l’administration de ces 1%.
L’option bancaire est réalisable, parce que les données bancaires constituent des sources d’information pour l’administration fiscale et ces deux structures peuvent collaborer de manière à ce que le prélèvement soit efficace et moins onéreux.
Au niveau des entreprises, la difficulté de prélèvement sera au niveau de ces dernières qui sont plus ou moins dans la clandestinité. Sinon que pour toutes les entreprises déclarées, le gouvernement possède tous les mécanismes pour les faire payer », explique Youssouf Ouattara, Directeur exécutif du CIFOEB.o