• Fin de la vente des terrains nus
• Pas plus de 5 ha par promoteur
• Des Burkinabè attendent l’application
C’est une loi qui ne manquera certainement pas d’être gravée dans les annales de l’Assemblée législative de transition (ALT), tant elle était attendue par les populations. La nouvelle loi sur la promotion immobilière a été votée à l’unanimité, le 20 juin 2023, en séance plénière. Ce fut en présence de plusieurs membres du gouvernement, dont le ministre de tutelle, celui en charge de l’urbanisme et de l’habitat, Mikaïlou Sidibé.
Les observateurs et les analystes sont unanimes : l’ancienne loi, qui date de 2008, était source de toutes dérives, ou du moins, ses failles étaient largement exploitées par les promoteurs immobiliers. Tant et si bien que des sociétés faisaient plutôt de la spéculation foncière, en vendant des parcelles nues, surtout après avoir accaparé de grandes superficies.
En outre, ces sociétés se substituaient à l’Etat et aux collectivités territoriales pour organiser des opérations de lotissement, sans parfois tenir compte de l’exigence pour les Communes de disposer d’un document de planification urbaine.
Pour tout dire, le secteur de la promotion immobilière avait fini par être gangréné par ce que d’aucuns considèrent comme de « l’anarchie », avec un nombre de sociétés passé de 9 en 2009 à environ 275 en 2022. Les données sur la seule Commune de Ouagadougou sont saisissantes. Rien que dans le Grand Ouaga, les sociétés de promotion immobilière ont mobilisé plus de 30 000 hectares de terres, l’équivalent de 600 000 parcelles de 300 m2 chacune. Or, ces sociétés n’ont pu réaliser que quelque 5000 des 40 000 logements de cet ambitieux programme du gouvernement lancé en 2016.
Quoi de plus normal que les députés se soient accordés sur la nécessité d’assainir le secteur. C’est pour cela que les cinq Commissions parlementaires, à commencer par la Commission des Affaires générales, institutionnelles et de droits humains (CAGIDH), affectataire du dossier du jour, ont émis des avis favorables pour l’adoption de la loi.
Comme il fallait s’y attendre, la loi votée a vite suscité des commentaires au sein de l’opinion. Karim Tiendrébéogo, commerçant, estime que le vote de la loi n’avait que trop tardé. « Si on ne prenait pas de garde-fous, le problème qui nous guettait est pire que le terrorisme que nous vivons aujourd’hui. La preuve est que les litiges liés au foncier, du fait même des promoteurs immobiliers, commençaient à être récurrents », explique le commerçant qui ajoute à cela la raréfaction des terres cultivables et de pâturages du fait de la promotion immobilière telle que pratiquée jusque-là. Mohamed Lamine Touré, un autre commerçant, est du même avis. Il apprécie surtout la limitation des superficies aux fins de promotion immobilière à 5 hectares. Au-delà, il suggère la limitation- même du nombre de sociétés de promotion immobilière, afin d’améliorer le suivi de leurs activités. Pour Issa Simporé, commerçant, « l’accaparement des terres et leur spéculation ont jusque-là été du fait de l’absence d’une politique efficace du logement. « L’accaparement des terres et leur cession par les propriétaires terriens sont dus au fait que des citoyens veulent des parcelles et que l’Etat n’en attribue pas », estime ce commerçant. Pour lui, la loi devait plutôt interdire l’activité de promotion immobilière et conférer à l’Etat la responsabilité de prendre à bras-le- corps l’apurement du passif foncier, car, dit-il, « même si la législation recadre l’activité des promoteurs immobiliers, ceux-ci vont continuer à construire des logements inaccessibles pour le Burkinabè au revenu moyen. Pour avoir une parcelle aujourd’hui, il faut disposer, au bas mot, de 2 à 5 millions FCFA», déplore-t-il.
Cette loi va-t-il justement aider à apurer le lourd passif foncier que traine le Burkina depuis plusieurs années et désamorcer la bombe sociale ? Au terme du vote, le ministre Mikaïlou Sidibé y a répondu en ces termes : « On peut dire qu’on a identifié et maîtriser une composante de la bombe sociale, parce qu’avec cette loi, nous allons résoudre une partie de la question foncière ».
Que deviendront les propriétaires terriens ? Quel sort pour les populations résidant dans des zones sans agréments ou obtenus par la suite ? Si le ministre de l’Urbanisme a rassuré que la loi ne concernait que les terres urbaines, elle vise, par ricochet, à protéger les terres rurales et que les propriétaires terriens n’étaient nullement visés, certains, comme Mohamed Lamine Touré, pensent qu’il n’est pas souhaitable que la loi soit rétroactive, afin qu’elle n’entraine pas des « dégâts collatéraux ».
La loi est, certes, votée, mais il reste son application. « On va passer très vite à l’application et cela va passer par l’adoption de décrets d’application, mais également une campagne intense de communication et de sensibilisation des acteurs du secteur », a indiqué le ministre de l’Habitat. Mohamed lamine Touré veut rester méfiant. Pour justifier cette méfiance, il dit se rappeler les propos d’un expatrié disant que la loi au Burkina peut être achetée en la contournant tout simplement. Le président de l’ALT, Ousmane Bougma, comme d’autres députés, a placé son espoir en la bonne foi du gouvernement et tous les acteurs de la chaîne d’application.
Béranger Kabré
Encadré
Ce qui change avec la nouvelle loi
Pour être adopté, le projet de loi a sans doute convaincu l’ensemble des 70 votants du jour par les innovations qu’elle comporte. Il faut déjà retenir que la promotion immobilière a été redéfinie et exclut dorénavant, les promoteurs immobiliers privés des opérations d’urbanisme, notamment, le lotissement ou la restructuration. Désormais, le promoteur immobilier, qui ne peut plus être qu’une personne morale, ne peut qu’édifier, améliorer, réhabiliter ou étendre des constructions sur des terrains urbains aménagés. Par ailleurs, les dispositions relatives à la coopérative d’habitat ont été revues, faisant passer les coopératives à des mutuelles, soumises aux dispositions du règlement relatif à la règlementation de la mutualité sociale au sein de l’UEMOA, mais doivent aussi disposer d’un agrément technique de mutuelle de logement social, pour pouvoir exercer.
La nouvelle loi stipule, en outre, que les projets immobiliers ne peuvent plus être réalisés que dans les Communes disposant de documents de planification urbaine. Une autre innovation majeure est l’obligation mise à la charge du promoteur immobilier, dans le cadre de son projet immobilier, de réaliser préalablement, un minimum d’investissements acceptés par l’Administration, avant de pouvoir obtenir une cession définitive des terrains. Pour ce faire, le promoteur immobilier bénéficiera, dans un premier temps, d’une cession provisoire, pour commencer ses travaux. Une option qui procède d’une démarche prudentielle pour contraindre le promoteur à réaliser des logements et d’éviter qu’il ne soit tenté par la simple exploitation spéculative de la propriété foncière qui lui aura été conférée.
Il faut également noter que désormais, les superficies aux fins de promotion immobilière sont limitées. Les sociétés ne pourront plus réaliser de projet immobilier que sur un terrain urbain n’excédant pas cinq hectares. Si l’ancienne législation ne prévoyait pas de peines privatives de liberté, il faut maintenant compter avec la nouvelle. Au titre des sanctions financières, les quanta ont également augmenté en ce qui concerne les amendes.o