• Le gouvernement doit tout faire pour réussir les COVED
• Le ministre en charge de l’administration doit prendre le pool de la dynamique territoriale
• Du succès des garde-fous dépend le succès des COVED
Une équipe de L’Economiste du Faso s’est entretenue avec Youssouf Ouattara, ancien administrateur civil, et l’écrivain Yentema David Thiombiano, au sujet des Comités de veille et de développement (COVED), institués par décret et entérinés par la Loi n°003-2023/ALT du 25 mars 2023. L’historique de ces instances de veille citoyenne, les motivations des autorités de la Transition, ainsi que les enjeux de leur mise en œuvre ont été à l’ordre du jour de ces rencontres.
Avec la crise sécuritaire que vit le Burkina Faso, on constate que c’est à la base que les incidents et les évènements sécuritaires se déroulent, estime l’administrateur civil, Youssouf Ouattara, par ailleurs Directeur exécutif du Centre d’information, de formation et d’étude sur le budget (CIFOEB). C’est pourquoi, il est d’une nécessité impérieuse pour l’Etat, de définir une architecture territoriale pour être présent à la base, d’où la création de Comités de veille et de développement (COVED). Pour Youssouf Ouattara, ces structures à la base vont refléter l’orientation idéologique et politique des autorités au niveau national. Et il suffit de s’inspirer de l’historique de ces instances au niveau local pour s’en convaincre, soutient-il.
« Pendant la Révolution, poursuit-il, le CDR était quelqu’un qui sait ce qui se passe dans le quartier ou dans le village. Vous avez beau envoyer des policiers, des gendarmes, il y a des choses qui vont toujours leur échapper, parce que ce sont des étrangers, alors que ceux-là sont de la localité, ils connaissent le langage ouvert, le langage gestuel, ils sont dans l’intimité de leurs concitoyens et peuvent tirer les renseignements nécessaires aux politiques centrales ».
Un point de vue partagé par l’écrivain et inspecteur de l’enseignement primaire, Yentema David Thiombiano, qui estime aussi que l’initiative s’inspire, entre autres, des expériences des CDR pendant la Révolution et des Conseils villageois de développement (CVD).
Youssouf Ouattara souligne qu’à la fin de la Révolution, les CDR, en devenant Comités révolutionnaires sous la période de la rectification, ont été un peu vidés de leur substance. C’est avec la décentralisation qu’on a réfléchi à mettre en place d’autres mécanismes, à travers les Conseils villageois de développement (CVD), pour compléter le dispositif de décentralisation et de développement local. « Mais là également, la dimension de construction de l’Etat, à travers sa fonction de surveillance et de maitrise de l’information territoriale, a été délaissée. On n’a cru qu’il suffisait d’offrir la décentralisation pour qu’on ait un Etat gouverné et parvenir au développement. Non, la dimension de capture et de traitement de l’information est très importante. Malheureusement, le dispositif que nous avons bien souvent, c’est quand les incidents deviennent des crises que l’Etat est au courant et généralement, c’est très tard », a-t-il déploré.
Il s’est dit convaincu que c’est cette incapacité à pouvoir anticiper qui a occasionné la crise et qui l’a même aggravée. Il fonde l’espoir qu’avec les COVED, l’Etat puisse évaluer régulièrement la dynamique des évènements à l’échelle locale et leurs implications. Il s’est voulu on ne peut plus précis, en considérant l’exemple de beaucoup de partenaires au développement qui, dans leurs interventions, collectent aussi des informations qui leur permettent de comprendre la dynamique des évènements et éventuellement anticiper chez eux ou dans leur rapport avec le pays. C’est pourquoi, Youssouf Ouattara estime que chaque jour, le ministre en charge de l’administration territoriale doit avoir sur sa table, les tendances synthétisées de la dynamique territoriale. « Ça doit faire partie de l’une des premières tasses de café qu’il doit prendre chaque matin ».
Prêchant dans la même chapelle, David Y. Thiombiano a évoqué l’exemple de l’organisation sociale au Rwanda, qui fait que l’Etat central est au courant de tous les incidents sociaux ‘’jusque dans les moindres faits et gestes des citoyens’’. Il soutient que le lancement des COVED et leur mise en place ont même beaucoup trainé.
A l’en croire, lorsqu’un régime a envie de changer quelque chose de manière fondamentale et en profondeur dans le peuple, où se trouve toute la gangrène, c’est dans les premières heures qu’il met en place des instruments à la base qui vont œuvrer au changement de mentalités. « Le Président Thomas Sankara, avec les CDR, l’a compris et je peux dire que tout ce que le CNR a eu comme acquis, c’est grâce aux CDR », a-t-il soutenu. Il ajoute que le Président Saye Zerbo a également tenté de mettre en place des comités de veille pour le redressement national sans y parvenir.
Le Législateur veut empêcher un détournement des COVED par les politiques
Parmi les risques qui peuvent entamer le bon fonctionnement des COVED, il y a le risque d’une récupération de ces comités par les politiciens, comme cela a été le cas avec les CVD. Un risque perçu par le législateur qui a interdit les éléments de ces comités de faire partie d’un parti politique. Il exige d’un élément qui souhaite s’y engager, la démission pure et simple des instances des COVED. Une disposition salutaire pour Youssouf Ouattara, qui estime tout de même que d’autres risques non moins importants existent, comme les cas d’abus. Il suggère que l’Etat traite ces cas avec anticipation, parce qu’ils vont altérer la confiance et la collaboration des populations. « Aussi, sur le terrain, il y a souvent des contaminations. Si dans le village A, les membres du comité ont commencé à faire tel type de chose qui les arrange, le village B risque d’imiter et après, ça devient comme une règle ». L’autre risque, pour Youssouf Ouattara, est relatif à l’aspect financier. Il estime qu’ils doivent disposer au moins de fonds de fonctionnement pour pouvoir être productifs. David Y. Thiombiano, pour sa part, estime que si la prise de disposition est ratée, les COVED vont échouer et cela va beaucoup jouer sur l’image du régime. Il souhaite qu’on fasse appel aux personnes ressources, juristes, chefs coutumiers, les anciens CDR et que l’accent soit mis sur leur encadrement.
Etienne LANKOANDE (Collaborateur)
Encadré
« Il faut aller à la rencontre des populations des territoires que l’on administre », soutient Youssouf Ouattara
Youssouf Ouattara est le Directeur exécutif du CIFOEB et donne des cours en affaires publiques à l’ENAM. Il est administrateur civil de formation et a exercé auparavant comme Secrétaire général de Mairie durant trois ans, puis comme Préfet pendant neuf mois. Il s’est ensuite spécialisé en affaires publiques, à l’Université de Missouri, aux Etats-Unis, et depuis lors, il s’intéresse aux questions de gouvernance publique et d’administration.
Son conseil en matière d’administration est que l’autorité ait le tact de se déplacer vers les populations pour susciter en elles le sentiment d’appartenance à la Nation. Il informe que le Président Thomas Sankara a fait le tour du Burkina pour rencontrer les populations, c’est pourquoi, il a réussi la mobilisation populaire. Le Président Saye Zerbo aussi, en un laps de temps, a parcouru une grande partie du territoire, selon lui. Mais cela ne se limite pas au président, précise-t-il, c’est y compris ses représentants qui sont les Gouverneurs, les Hauts-commissaires et les Préfets. « Vous ne pouvez pas rester dans votre chef-lieu et dire que vous administrer votre localité, il faut trouver des formules pour être présent auprès de votre population, c’est ce qui va créer la confiance entre les acteurs locaux et les représentants de l’Etat », a-t-il souligné.o