A la UneDBS

Cancers infantiles: « Le lieu de naissance ne doit pas condamner le patient »

Dr Isabelle Villadary dirige le programme Cancer de l’Enfant à Foundation S, la branche philanthropique du Groupe Sanofi. Elle a pris part au forum international sur « les cancers de l’enfant en Afrique, défis et perspectives », tenu à Rabat (Maroc), le 22 février dernier. Pour la Fondation, la lutte contre l’abandon des soins est l’une des priorités de l’année 2023 dans les pays où elle intervient sur le continent. Entretien.

 L’Economiste du Faso : Pour la plupart des familles africaines, apprendre que son enfant est atteint de cancer signifie presqu’une condamnation à mort. Que relevez-vous sur le terrain ?

Isabelle Villadary (directrice du programme Cancer de l’Enfant à Foundation S, Groupe Sanofi) : Votre question m’inspire plusieurs commentaires : pour n’importe quelle famille et pour un enfant, c’est dévastant d’apprendre ce diagnostic. Mais la survie est possible, il n’y a pas de fatalité. Dans les pays développés à haut revenu, le taux de survie d’un enfant atteint d’un cancer est de 81%, et pour certains types comme le cancer de la rétine, il s’élève à 100%. Le facteur décisif du pronostic, c’est moins le fait de rencontrer cette maladie plutôt que l’endroit où l’on est né. Là, vous comprenez pourquoi Foundation S se concentre sur les enfants vivant dans les pays à moyen ou faible revenu, où le taux de survie tombe à 20%, voire 10%. Si Foundation S se focalise sur ces pays, c’est pour contribuer à donner la même chance de survie à un enfant, quel que soit son lieu de naissance. Celui-ci ne doit jamais condamner un patient.

Comment lutter contre le phénomène d’abandon des soins très répandu en Afrique ?

Soyons modestes, il n’y a pas de remède miracle à ce phénomène. Il faut chercher à comprendre les raisons qui sont parfois simples mais souvent multifactorielles. Les connaître permet alors d’agir, car les réponses ne sont pas les mêmes selon s’il s’agit d’un défaut d’explication ou de compréhension des conséquences de l’arrêt, s’il s’agit de raisons économiques, s’il s’agit de croyances en d’autres solutions ou encore d’un éloignement trop important entre les soins et le lieu de vie.

Peut-être que les parents n’ont pas pris conscience de la nécessité absolue d’un traitement ou que l’enfant habite à 5 jours de marche de la structure de prise en charge de sa maladie. Selon les cas, la réponse ne peut pas être la même.

Des facteurs socioculturels peuvent également entrer en jeu. Prenons le cas du cancer de la rétine. L’acceptation de l’ablation de l’œil est de l’ordre de 60-65% en Amérique latine, contre 30% dans certaines contrées d’Afrique. En fonction des cultures, l’atteinte à l’intégrité corporelle n’a pas la même conséquence, ni la même acceptation, malgré les progrès réalisés en matière de prothèses. Dans certaines sociétés africaines, cet élément peut conduire jusqu’à l’abandon des soins. Par ailleurs, par son impact financier, le traitement chirurgical est souvent un facteur important de l’abandon, parce que dans nombre de pays, cela signifie la ruine de la famille.

Les besoins sont tellement immenses dans les pays africains. Sur quelles bases sélectionnez-vous les programmes éligibles à votre soutien ?

Nous procédons par un système d’appel à projets autour de quatre ou cinq thématiques. La nouveauté au niveau de Foundation S est qu’elle choisit une ou deux thématiques prioritaires sur lesquelles elle concentre son énergie. Nous pensons que cette approche permet d’avoir plus d’impact sur le terrain. En 2023, nous nous concentrerons sur la lutte contre l’abandon des traitements et la formation du personnel de la santé, médecins et paramédicaux. A la suite de l’appel à projets que nous avons lancé fin septembre 2022, nous avons reçu 73 propositions, dont 25 provenant du continent africain. Sachant que nous nous appuyons également sur notre partenariat stratégique avec le Groupement franco-africain d’oncologie pédiatrique.

 Que vous racontent les professionnels de santé des difficultés qu’ils affrontent au quotidien dans la prise en charge des enfants cancéreux ?

Ces difficultés sont diverses. Elles sont parfois multifactorielles et dépendent du système de santé dans lequel l’on exerce. Ces contraintes sont différentes d’un service d’oncopédiatrie à l’autre. Par exemple, des médecins vous disent qu’ils manquent de lits dans leur service. Ils se battent tout simplement pour maintenir la capacité d’accueil de jeunes patients, car les besoins sont tels que l’oncopédiatrie peut passer parfois au second plan dans la politique de santé. Pour d’autres, il peut s’agir de l’accès aux médicaments, à la radiothérapie ou la manière d’informer les familles de la maladie de leur enfant, afin de les convaincre d’entamer le parcours des soins, etc.

L’éloignement des familles est aussi un vrai problème, car dans beaucoup de pays, les structures de prise en charge des enfants se trouvent dans les grandes villes. Cela nous impose d’innover en se coordonnant avec tous les acteurs de manière à faire faire une partie de la prise en charge au niveau des services de soins primaires les plus proches de l’enfant. Cela évite de longs trajets pour rejoindre l’unité tertiaire qui se trouve souvent dans la capitale. Cela permet de limiter le risque d’abandon des soins, car le déplacement jusqu’à la structure des soins implique qu’un ou plusieurs membres de la famille sacrifient une semaine de travail. L’autre avantage tient au fait qu’en communiquant avec les services de soins primaires pour prendre en charge l’enfant malade, vous formez le personnel qui, demain, détectera précocement les signes cliniques du cancer.

Propos recueillis par Saad Amin BENKIRANE

 

Encadré

Les programmes de My Child Matters

Depuis la création du Programme My Child Matters en 2005, 28 projets sur les 83 au total ont été conduits en Afrique, principalement subsaharienne.

24 candidats parmi les 73 nouvelles propositions sont des équipes d’Afrique.

Les sujets principaux de ces projets sont très divers, en premier lieu, l’accès au soin et la formation des personnels de santé, mais aussi la prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs.

Par ailleurs, il existe un autre programme My Child Matters dédié aux infirmières. Depuis sa création en 2015, c’est 14 projets en Afrique sur les 35 qui ont été soutenus et dans cette catégorie, les projets sont principalement tournés sur la formation.

Commentaires

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page