• Une volonté de compter sur soi-même
• Des choix délicats
• Le sens des limites
Une crise, dit-on, est souvent un moment de grandes décisions. Sous le prisme du péril sécuritaire qui étreint le Burkina Faso depuis huit ans, les autorités de la Transition ont fait l’option d’opérer une nouvelle dynamique dans la quête de souveraineté. La décision d’acter le départ des forces françaises basées à Ouagadougou et l’élargissement de partenariats avec d’autres pays répondent, entre autres, à cet impératif. Le hic est que l’on appelle un autre partenaire à venir prendre la place qui lui revient au Burkina. Cette manière d’appréhender la question de la souveraineté suscite des appréhensions somme toute légitimes. Avec quels résultats au final ?
Les autorités de la Transition sont animées d’une volonté de compter sur leurs propres forces pour endiguer la crise sécuritaire et humanitaire à laquelle est confronté le Burkina. La décision d’acter le départ de la force française Sabre de 400 effectifs, basée au quartier Kamboinsin, au nord de Ouagadougou, épouse ce schéma. L’argumentaire développé par le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo, sur le plateau de la Télévision nationale démontre à souhait cette logique de compter sur soi-même avant tout.
Même si le titre 3 de l’Article 16 de l’accord relatif aux éléments des forces armées françaises intervenant au Burkina Faso pour la sécurité au Sahel de 2018 stipule que « chaque partie peut dénoncer le présent accord par le biais d’une notification écrite », il reste que désormais qu’entre le Burkina et la France, l’on tend vers une redéfinition des rapports de coopération. Dans tous les cas, cette décision allait intervenir d’une manière ou d’une autre, d’autant plus qu’une sorte de gentlemen agreement semble lier les manifestants opposés à la présence militaire française au Burkina et les autorités de la Transition.
Ainsi, le 26 janvier, Paris, dans un communiqué, informe que « nous avons décidé de rappeler notre Ambassadeur à Paris pour mener des consultations sur l’état et les perspectives de notre coopération bilatérale… ».
En effet, en dépit de la décision qui a suspendu les activités des partis politiques et des organisations de la société civile, ces derniers ont continué d’exprimer leur ras-le-bol contre la présence militaire française sans être inquiétés. Le désamour actuel entre le Burkina et la France puise à la fois sur plusieurs tableaux.
Une certaine politique française avec des réflexes de l’époque coloniale a persisté dans les rapports entre l’Hexagone et ses ex-colonies, en dépit de l’évolution du monde. Au nom de ses intérêts, la France a, quelque part, protégé des régimes en Afrique qui ont relégué au second plan les vraies préoccupations de leurs populations. Aujourd’hui, ils sont nombreux ces panafricanistes de circonstance qui exploitent cet état de fait pour dénoncer la coopération française en Afrique. Sur fond d’un populisme calculé, certains dirigeants n’hésitent pas à saisir au bond les manifestations anti-françaises pour asseoir leur pouvoir.
D’autre part, le reproche est fait à la France d’être présente militairement au Sahel depuis plusieurs années sans véritablement apporter une plus-value conséquente à la lutte contre le terrorisme qui déstabilise bon nombre d’Etats. Autant de raisons qui sont plus ou moins avancées pour dénoncer un partenaire qui ne ferait pas assez pour voler au secours de pays en péril. Il est donc temps qu’il s’en aille, afin que d’autres puissent occuper la place et faire le boulot. Par ailleurs, la France donne l’impression de ne pas prendre en compte ce changement de paradigme le plus souvent imposé par une société civile africaine de plus en plus exigeante en matière de transparence dans la gouvernance.
Dans tous les cas, le Burkina doit impérativement compter sur ses propres forces dans ce défi sécuritaire, avant de compter sur un hypothétique appui d’un partenaire, fût-il de longue date. La réorganisation de l’armée, l’offensive engagée contre les groupes armés terroristes et la mobilisation des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) aux côtés des Forces de défense et de sécurité s’inscrivent dans cette démarche de compter sur soi-même pour panser ses maux.
Toutefois, ce choix de reconsidérer un certain nombre d’accords avec la France doit se faire en toute lucidité, avec un sens aigu de la responsabilité et de la prise en compte des critiques formulées çà et là. Il faut agir avec tact pour que le Burkina ne devienne pas un terrain d’affrontement des intérêts de partenaires qui se vouent aux gémonies. L’histoire de la guerre froide entre le bloc Est et Ouest est illustrative à plus d’un titre. Au cours de cette période sombre, beaucoup de pays africains (République démocratique du Congo, Angola, Nigeria…) ont servi de théâtre d’opérations meurtrières aux principaux acteurs de cette guerre froide.
Jérôme HAYIMI
Encadré
La priorité demeure la reconquête du territoire national
Le nouveau paradigme de partenariat que les nouvelles autorités veulent instaurer mérite d’être conduit dans les règles de l’art. Qu’entend-on par souveraineté, lorsqu’on appelle un autre pays à venir prendre la place qui lui revient au Burkina ? Que veut-on au juste dans le renforcement des partenariats avec certains sans ouvertement éclairer la lanterne de l’opinion publique ? Inutile de rappeler qu’aucun pays ne viendra aider le Burkina de façon altruiste dans cette épreuve qu’il affronte. Il serait également superflu de croire que l’on peut s’affranchir en tombant naïvement dans les bras d’un autre sans un minimum de clairvoyance. La crise sécuritaire et humanitaire, qui a eu pour corollaire l’instabilité institutionnelle dans notre pays, charrie des passions, mais il convient de savoir prendre la mesure de la situation en étant réaliste. C’est ayant le souci d’avancer avec tout le monde et de rassembler tous les Burkinabè autour du défi commun que l’on saura résister à la tempête. Il est illusoire de succomber au mythe du héros solitaire ou de l’homme providentiel pour espérer l’éclaircie. Seule une démarche réflexive, constructive et inclusive permettra de dégager les pistes à même de ramener la quiétude dans le pays.
C’est pourquoi, il sied de ne pas perdre le sens des limites. Jusqu’à preuve du contraire, la priorité des priorités au Burkina à l’heure actuelle demeure la reconquête du territoire national et le retour des personnes déplacées internes dans leurs localités respectives. Ce serait une erreur de vouloir ouvrir d’autres fronts qui pourraient nous détourner de l’objectif premier.
Une chose est sûre, la France a pris la décision de retirer ses troupes comme l’ont souhaité les autorités burkinabè. Ce qui veut dire, nous n’aurons plus d’excuses pour dire que la présence de la force Sabre entrave la mise en œuvre de certaines actions.o