• 2022, un gâchis
• Reconquête du territoire
• Le pari de la cohésion
L’année 2022 aura battu le record de l’instabilité politique au Burkina. Deux coups d’Etat ont été perpétrés en l’espace de huit mois. Le président démocratiquement élu, Roch Marc Christian Kaboré, le Lieutenant-Colonel, Paul Henri Sandaogo Damiba, et le Capitaine Ibrahim Traoré se sont respectivement succédé à la tête du pays en 2022. Le pays qui ploie sous la férule d’une crise sécuritaire depuis huit ans est au bord de l’implosion du fait de la fragilisation du tissu social. Les Burkinabè ont-ils conscience du désastre qui menace de les engloutir ? Ont-ils pris de bonnes résolutions en ce début d’année 2023 pour affronter les défis qui s’amoncellent ? Un changement de cap s’impose pour que la tendance s’inverse.
Les anti-putsch ont dû boire du petit lait en scrutant les derniers jours de l’année 2022. Le constat leur aura donné raison qu’un coup d’Etat, quelles que soient les raisons de sa survenue, n’est pas la solution pour la stabilité d’un pays. Les putschistes du 24 janvier 2022, qui ont joué la carte de la dégradation de la situation sécuritaire et du désespoir des populations pour déposer le président démocratiquement élu, Roch Marc Christian Kaboré, ont finalement déçu. Le « sauveur », le Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, ne s’est pas révélé à la hauteur de la mission. Tombé très tôt dans l’engrenage des délices du pouvoir et des mirages de l’autosatisfaction, il a vite fait de reléguer au second plan le défi prioritaire, à savoir la lutte contre l’hydre terroriste, pour s’adonner à un mélange de genres. Résultat, le pays qui, au regard de l’état fragile dans lequel il se trouvait, a été épargné de sanctions d’instances régionales et internationales, va subir tout de même l’incurie de son propre dirigeant. Huit mois après, les frères d’armes du Lieutenant-Colonel Damiba, ayant constaté ses dérives, vont le déposer un certain 30 septembre 2022. L’auteur du second coup de force, le Capitaine Ibrahim Traoré, qui avait affirmé ne pas être intéressé par le pouvoir, sera confirmé à la tête de l’Etat, à l’issue des Assises nationales. Le discours de rupture du Capitaine Traoré à propos du délitement dans lequel se trouve le pays a réveillé les consciences. L’ampleur de la crise multidimensionnelle, masquée par une incurie patente d’une classe politique indifférente et d’une société civile opportuniste et avide d’espèces sonnantes et trébuchantes, a été mise au grand jour enfin. Certes, les évènements du 30 septembre 2022 ont quelque peu permis de tenir, mais le tout demeure fragile, tant les risques de déstabilisation sont prégnants. En clair, 2022 a été un véritable gâchis pour le Burkina, d’autant plus que le péril sécuritaire et le surenchérissement du coût de la vie se font de plus en plus lancinants. L’économie baigne dans une morosité indicible. Dans ce brouillard d’incertitudes, comment espérer l’embellie appelée de tous les vœux ?
On attend du nouveau président un leadership responsable, rigoureux, pondéré, ouvert à toutes les sensibilités. Un pouvoir issu d’un coup d’Etat traine à son pied le boulet de l’illégalité, même si sous nos latitudes, le Conseil constitutionnel a réussi la prouesse d’adouber des putschistes. Il importe donc aux autorités de la Transition de savoir se mettre au-dessus de la mêlée pour conduire le pays à bon port. Pour éviter les erreurs de leurs prédécesseurs, le Capitaine Traoré et son gouvernement devront faire preuve d’ingratitude à l’égard de leurs soutiens inconditionnels dont l’activisme débordant pourrait fragiliser leur capital de confiance. En laissant ces thuriféraires transfigurés par des considérations irrationnelles agir en toute impunité, il y a un gros risque de détourner l’attention de l’opinion sur les vraies préoccupations.
Des Burkinabè, las de voir leur pays étripé par des truands, ont répondu favorablement à l’opération de recrutement de 50 mille volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Ils sont prêts à tous les renoncements pour que survive la patrie. Ce qui invite les autorités à mieux se concentrer sur les priorités qui demeurent la reconquête de l’intégralité du territoire national et le retour des personnes déplacées internes dans leurs localités respectives. Au seuil de la nouvelle année, l’élan doit être orienté vers des initiatives qui fédèrent les énergies, qui participent à bâtir des digues contre la division.
De ce fait, il est attendu de la fermeté à l’encontre de ces voix discordantes qui s’élèvent pour stigmatiser certains Burkinabè. Le pays des Hommes intègres est riche de sa diversité, elle ne saurait être instrumentalisée par des « gourous » qui, sous le couvert d’une appartenance exaltée, prêchent au fond pour leur propre ego. Laisser la graine de la division prendre racine au sein des populations, c’est conspirer à la victoire des terroristes. En ces temps d’ambiguïté, il faut éviter de perdre le sens des limites. Chacun, dans sa particularité, devrait comprendre que son existence est intimement liée à celle des autres. Les querelles de chapelles doivent être bannis à tous les niveaux. Et les autorités gagneraient à rassurer l’ensemble des Burkinabè sur l’impérieuse nécessité de transcender les contradictions sciemment entretenues par certains qui trouvent intérêt dans la perpétuation de la crise. Le lien social qui se désagrège dangereusement du fait des propos haineux et des discours de courte vue distillés par des gens de mauvaise foi, mérite d’être reconstruit. Pour cela, il faudra une bonne dose de hauteur de vue, un sens aigu de la lucidité de la part de tous, à commencer par la classe dirigeante. Le pays est au bord de l’implosion, parce qu’assailli de toutes parts par des maux indescriptibles. Seule la solidarité de tous pourrait constituer un rempart contre lequel viendront échouer toutes les tentatives de nuisance.
Sans ce sursaut impérieux, l’horizon d’une accalmie se fera encore attendre. L’année 2023 devrait être aussi celle de la relance économique sans laquelle il serait difficile pour la grande majorité de tenir face à la cherté de la vie. Dans cette perspective, il est attendu des premières autorités qu’elles rassurent en développant des initiatives susceptibles de donner un nouveau souffle à l’économie. Il importe de rassurer les investisseurs étrangers qu’en dépit de la parenthèse difficile, le Burkina est une destination à ne pas négliger. Avec une bonne dose de bonne foi, de sincérité et d’une volonté de travailler en faveur du retour de la paix, le pays saura émerger du brouillard. C’est une question de survie.
Jérôme HAYIMI
Encadré
Assumer sa souveraineté en toute responsabilité
Devant la complexité de la crise que traverse le Burkina, les nouvelles autorités sont animées d’une volonté de revoir certaines pratiques de coopération qui ont été en défaveur du pays. L’affirmation de la souveraineté passe aussi par une émancipation vis-à-vis de certains partenaires qui ont toujours appréhendé la coopération avec des réflexes désuets de colons. C’est une question de dignité pour tout Etat de traiter d’égal à égal avec n’importe quel partenaire, dans la mesure où chacun défend ses intérêts. Toutefois, ce désir de vouloir poser les bases d’un partenariat gagnant-gagnant qui prenne en compte les priorités de toutes les parties devrait se faire avec beaucoup de responsabilité et dans le respect. On ne réussit rien dans une désinvolture improvisée. On peut se faire comprendre sans arrogance et bravache.