L’avènement de la TNT au Burkina Faso, comme dans beaucoup de pays africains, a été l’aboutissement d’un long processus.
Président du Comité de suivi de la conduite de la TNT au Conseil supérieur de la communication, j’ai été impliqué dans plusieurs plateformes, tant au plan national qu’à l’étranger, où étaient posées beaucoup de questions sur cette évolution technologie majeure dans l’audiovisuel.
Avant de revenir à ces questions, en vue d’une réflexion sur le modèle économique de la SBT, il nous faut un peu d’histoire. Le mérite en revient au Conseil supérieur de la communication, à l’époque dirigé par Madame Béatrice Damiba, qui a sonné l’alerte dans le cadre d’un séminaire organisé en 2012. Ce séminaire avait regroupé tous les acteurs institutionnels et non institutionnels chargés de la conduite du processus.
L’ARCEP a pris, par la suite, une part prépondérante par le financement de l’élaboration du cadre législatif et règlementaire de la TNT, ainsi que de l’élaboration de la stratégie nationale de basculement. Chacun des acteurs avait son rôle à jouer. Il était imparti au CSC l’élaboration et la mise en œuvre de la communication pour immerger les citoyens aux enjeux et aux précautions à prendre pour être au rendez-vous de la TNT. C’est finalement le ministère de la Communication qui s’est approprié cette stratégie.
Je n’évoque pas ces acteurs que pour identifier le niveau d’importance qu’a joué chacun d’eux. Car, entre celui qui prend une initiative, ceux qui la soutiennent ou l’accompagnent, et ceux qui en assurent la mise en œuvre, l’on ne sait pas toujours celui qui a joué le rôle le plus important. Une initiative sans soutien et sans bons acteurs dans sa mise en œuvre fait généralement long feu.
Pour revenir à la TNT, beaucoup de questions se sont posées sur son financement, marquées par des divergences animées par deux courants.
Il faut noter que dans le cadre de l’UEMOA, les Etats membres avaient proposé un consortium de banques où ceux-ci emprunteraient les fonds nécessaires au financement de la TNT (45 milliards au Burkina Faso). Il s’agissait donc d’un endettement des Etats, déjà lourds pour les autres domaines du développement. Une première tendance soutenait cette démarche.
L’autre tendance défendait le recours aux dividendes numériques. Ceci aurait épargné l’Etat d’un endettement supplémentaire.
Finalement, c’est l’Etat qui a financé le processus de l’avènement de la TNT au Burkina Faso (sauf erreur de ma part).
Une autre question portait sur le statut juridique de la Société burkinabè de télédiffusion (SBT). J’ignore les sources d’influence qui ont fait emporter le choix de société d’Etat. En vérité, la SBT pouvait être une Direction générale de la RTB ou du Conseil supérieur de la communication.
Notons que le CSC n’est même pas membre, ne serait-ce qu’à titre d’observateur, du Conseil d’administration de la SBT. Cette absence est regrettable en ce qu’elle ampute à l’organe de régulation des médias, une prérogative essentielle : la garantie de la diffusion des programmes. La SBT est donc d’une certaine façon sous la tutelle directe de l’Etat, même si l’on considère son statut juridique d’une certaine façon.
Les responsables du CSC devraient appeler de tous leurs vœux auprès de qui de droit, la présence d’un membre dans le Conseil d’administration de la SBT.
Les péripéties ou les débats qui ont conduit à l’érection d’une société d’Etat n’ont pas pris en compte une dimension : la rentabilité financière de la SBT.
En effet, l’Etat crée rarement des sociétés d’Etat dans des domaines où les activités menées ne génèrent pas assez de recettes pour assurer son autofinancement. Je connais l’exemple de la Poste-BF qui, à la scission d’avec le secteur des télécommunications, a bénéficié d’une subvention annuelle de l’Etat pendant quelques années -2 à 3-jusqu’à son équilibre financier. Fort heureusement, depuis une vingtaine d’années, la Poste parvient à équilibrer son budget et même à dégager des excédents substantiels.
Dans le cas de la SBT, ses ressources financières proviennent des redevances perçues sur les sociétés de télévision, déjà dans une situation de précarité financière.
Ayant réalisé, à l’époque, une étude pour l’Association mondiale des radios communautaires (AMRC d’Afrique du Sud), j’avais saisi cette opportunité pour intégrer les télévisions privées dans l’échantillon à prendre en compte. J’avais donc eu une idée du chiffre d’affaires de tous les médias audiovisuels privés du Burkina Faso, il y a une dizaine d’années.
Les redevances perçues sur les télévisions privées ne peuvent pas assurer la rentabilité financière de la SBT. En illustration, les résultats de la SBT (si je ne m’abuse) sont déficitaires depuis sa création. Elle tente de développer des initiatives pour améliorer son chiffre d’affaires. Je crois avoir furtivement perçu un spot de cette société qui ressemblait à une publicité commerciale. Je n’en ai pas la certitude mais, le cas échéant, ce serait une publicité déloyale aux télévisions privées, même si son statut juridique l’y autorisait.
Au total, et à tout bien considéré, le modèle économique de la SBT a été, à mon avis, mal pensé.o
Par Tionon K. Justin, Juriste, Administrateur des Postes à la retraite et Chevalier des Arts, des Lettres et de la Communication
Encadré
Est-ce tard de revisiter ce statut juridique ?
Une chose est certaine : si l’on n’y procède pas, la SBT, suite à des déficits successifs cumulés, irait tout droit au mur.
Même à l’avènement de la radio numérique, les chiffres d’affaires des radios privées sont si dérisoires qu’elles ne pourraient pas survivre des redevances, surtout si elles sont prohibitives. A combien fixerait-on cette redevance à une radio privée qui réalise un chiffre d’affaires de 10 ou 20 millions par an ? Il faudrait peut-être moduler le montant de la redevance aux zones d’implantation des radios privées (peut-être déjà fait pour les télévisions).
Je souhaite que l’histoire me donne tort sur mon pessimisme. Mais le statut juridique de la SBT me semble devoir être repensé.o