L’Economiste du Faso : Combien de barrages compte le Burkina Faso et quelle est la répartition géographique sur le territoire national ?
Seïmata Oubian/Derra : En attendant l’actualisation des données prévue pour cette année 2022, l’inventaire réalisé en 2011 enregistre un parc de 1001 barrages. En 2020, une actualisation, prenant en compte les réalisations depuis 2012, fait ressortir 1.035 barrages avec une capacité de stockage de 6,140 milliards de m3. Avec ce nombre, le Burkina Faso vient en tête dans la sous-région en termes de réalisation de barrages. Autre élément que je voudrais préciser est qu’il ne faut pas confondre le terme « barrage » et la « retenue d’eau ». Si on parle retenue d’eau, qui comprend en plus des barrages, des boulis, des lacs et les mares, nous capitalisons plus de 1.827 retenues d’eau.
Ces barrages sont inégalement répartis sur l’ensemble du territoire. En effet, les régions du Centre-Ouest et du Centre-Sud sont celles où se concentrent le grand nombre de barrages (19% pour la région du Centre-Ouest et 10% pour la région du Centre-Sud). Ensuite, vient la région du Centre-Nord avec 9,29%, du Nord (8,99%) ; la région du Plateau central (8,79%), la région du Centre (8,31%), la région du Centre-Est (7,54%), la région de l’Est (6,47%). Le nombre réduit en barrages est enregistré dans les régions de la Boucle du Mouhoun (5,12%), le Sahel (4,54 %), les Hauts-Bassins (4,15%), le Sud-Ouest (4,06%) et les Cascades (2,61%).
Qu’est-ce qui explique cette répartition inégale sur le territoire national ?
Cette répartition inégale peut s’expliquer par le contexte. Le premier lot de barrages a été réalisé de la période coloniale jusqu’aux années 70, années de la sécheresse dans notre pays. Ces premiers barrages étaient des barrages à vocations pastorales et routières en vue de désenclaver les localités entre elles.
Le deuxième lot de ces réalisations se situe dans un contexte d’insécurité alimentaire dû à la sécheresse des années 70 jusqu’à nos jours. Plusieurs documents de politiques et stratégies ont été élaborés pour résoudre ce problème à travers la réalisation de plusieurs infrastructures hydrauliques dans les zones les plus touchées par la sécheresse. La partie Ouest de notre pays, qui est la plus arrosée avec plus de 1.000 mm de pluie par an, des sols très fertiles, n’était pas très concernée par ces réalisations.
Aujourd’hui, la réalité est tout autre, la politique a-t-elle aussi évolué ?
Après plus de quatre décennies de réalisation de barrages, dans un contexte de changement climatique marqué toujours par des sécheresses et des inondations à caractère sévère, la vision actuelle est de réaliser des grands barrages là où il existe des potentialités et mobiliser le maximum d’eau qui tombe et procéder à des transferts d’eau dans les zones déficitaires.
Pour concrétiser cette vision, nous avons réalisé le barrage de Samendeni. Nous avons aussi réalisé des études des quatre grands barrages, il s’agit de Bougouriba, Ouessa, Banwaly et Basierie dont le coût de réalisation est estimé à 1.200 milliards FCFA.
Combien de barrages sont en état d’assèchement en février 2022 ?
A la date de février 2022, nous ne pouvons pas vous dire combien de barrages sont asséchés, mais il faut retenir que l’assèchement d’un barrage est en fonction de sa capacité à retenir de l’eau, des différents usages et des mauvaises pratiques d’exploitation des berges et les terres des bassins versants qui augmentent le transport solide et qui accélèrent par voie de conséquence l’envasement des cuvettes et les conditions climatiques du site. De l’inventaire 2011, il ressortait que sur les 1.794 retenues d’eau de surface, seulement 25% étaient pérennes.
L’évaporation et le niveau du cours d’eau sont des facteurs qui entrainent l’assèchement des barrages. La construction des ouvrages tient-elle toujours compte des conditions hydrologiques des cours d’eau ?
La condition préalable pour réaliser un barrage, c’est la prise en compte de l’hydrologie du cours d’eau et de son bassin versant. Ensuite, les conditions topographiques, hydrauliques, géotechniques et géologiques font partie des études de base de conception d’un barrage. La réalisation d’un barrage est un ouvrage d’art très complexe qui implique donc plusieurs disciplines.
Et pour ce qui est de l’action humaine, notamment, le non-respect de la bande de servitude, quelles sont vos mesures dissuasives ?
Pour le respect des bandes de servitude, la police de l’eau, logée au sein des Directions régionales, mène des missions de contrôles inopinés. Pour ces contrôles inopinés, il y a deux aspects, soient des missions de sensibilisation, soient des missions de répression. Les missions de répression concernent l’arrêt des travaux des exploitants installés sur les berges ou dans la cuvette, la confiscation du matériel des usagers en infraction, les amendes et la poursuite judiciaire.
En matière de dégradation, quel est l’état de l’ensemble des barrages ?
Comme indiqué plus haut, l’analyse est basée sur les données de 2011 ; elle connaitra sans doute une évolution avec l’inventaire qui sera réalisé incessamment en 2022.
En 2011, il est ressorti que 95% des barrages du pays sont constitués de petits barrages de moins de 10 m de haut ; 80% ont une capacité de moins de 1 million de m3 ; 87% ont une moyenne de 30 ans d’âge ; 41% se trouvent dans un état de dégradation avancé ; 48% dans un état moyennement bon et seulement 11% en bon état. Les causes des dégradations sont essentiellement liées au vieillissement des barrages ; aux actions anthropiques ; au manque d’entretien et aux effets des changements climatiques.
On a vu dans les régions du Centre-Sud et du Plateau central, des producteurs contraints d’arracher leurs plants ou de les observer mourir avant la maturité par manque d’eau. Existe-t-il un mécanisme pour prévenir les producteurs sur la période de disponibilité de la ressource en eau ?
Ce sont des barrages dont les capacités de stockage sont significativement réduites du fait de l’envasement qui est lui-même le fait de la mauvaise pratique d’exploitation des terres autour du barrage et dans son bassin versant. Il faut faire un bilan d’eau à travers une réévaluation des capacités de stockage de l’eau et l’adapter à cette utilisation en réduisant les superficies exploitées. Une autre solution est de procéder à des réhabilitations en protégeant les berges et de réaliser des aménagements structurants.
Les ouvrages hydrauliques ne disposent pas d’un fonds pour leur entretien. Quel mécanisme faut-il pour la mise en place d’un tel fonds et quel montant serait nécessaire pour l’entretien des barrages ?
Au regard de la forte dégradation des ouvrages du pays, leur entretien et leur réhabilitation nécessiteront des moyens financiers importants. Pour vous donner une idée, nous avons élaboré un Plan d’action d’urgence pour la réhabilitation des aménagements hydrauliques (PAUR/AH) pour la période 2022-2024 et le coût de sa mise en œuvre s’élève à 61 milliards 600 millions FCFA. Ce Plan prévoit la réhabilitation et l’entretien de 35 barrages (dont les études sont déjà disponibles) et la réalisation de 200 études de réhabilitation de barrages.
Les barrages demandent de gros investissements, car ce sont des projets structurants en termes économiques.
C’est pourquoi, la création d’un Fonds pour l’entretien des barrages s’avère nécessaire. La réflexion est engagée au niveau ministériel (sous-secteur de l’eau et de l’assainissement) en vue de permettre l’unicité du Fonds pour éviter la dispersion des ressources. La vision est qu’à terme, le Fonds couvre l’ensemble du sous-secteur de l’eau. C’est le lieu pour nous de remercier les partenaires techniques et financiers (PTF) qui ne ménagent aucun effort pour accompagner notre pays dans le domaine de l’aménagement des infrastructures hydrauliques.
Entretien réalisé par Martin SAMA
Encadré
Le secteur minier paye une taxe sur l’eau
Les mines payent-elles la taxe de prélèvement d’eau dans les barrages ? Où vont ces fonds ?
«Le prélèvement d’eau des barrages au Burkina Faso est encadré par la loi n°058-2009/AN portant institution d’une taxe parafiscale au profit des agences de l’eau. L’article 6 de ladite loi précise que cette taxe est due « par toute personne physique ou morale en raison du prélèvement de l’eau brute, de la modification du régime de l’eau et de la pollution de l’eau ».
Cela matérialise le principe du préleveur-payeur, pollueur-payeur. Par cette loi, tous ceux qui exploitent l’eau brute des barrages au Burkina Faso, aux fins autres que domestiques, doivent payer une taxe appelée contribution financière en matière d’eau (CFE).
Par conséquent, les entreprises minières qui exploitent l’eau au Burkina Faso sont aussi soumises à cette taxe. Cette taxe est recouvrée en fonction des espaces de compétences des différentes agences de l’eau par des services désignés par arrêté du ministre en charge des finances. La taxe recouvrée est reversée à l’agence de l’eau compétente.
Les fonds recouvrés ont trois destinations possibles, selon le principe que « l’eau doit financer l’eau ». Ainsi, une partie de ces fonds est reversée aux agences de l’eau pour leur fonctionnement. Une autre partie sert à financer les activités de protection des ressources en eau et une troisième partie sert à la réalisation ou la réhabilitation des ouvrages hydrauliques et à l’approvisionnement en eau potable », a expliqué Seïmata Oubian/Derra, Directrice générale des infrastructures hydrauliques (DGIH).