L’Economiste du Faso : Vous avez réhabilité une route d’une dizaine de kilomètres au profit du village de Kaya, il semble que c’est une promesse que vous avez faite à vos oncles, de quoi s’agit-il exactement ?
Pascal Tigahiré : En fait, ce n’est pas une promesse, j’y ai vécu. Quand j’étais à l’école primaire, j’étais pratiquement tout le temps chez mes oncles qui sont à peu près à 5 km de Tiébélé, ville d’où je suis originaire. Comme j’ai vu qu’il y avait des difficultés d’accessibilité, je me suis dit, de toutes façons, le jour que j’aurai les moyens, je ferai tout mon possible pour les aider.
J’ai créé l’entreprise de construction COPIAFAX Burkina en 1996. J’ai travaillé au Burkina, au Togo, au Ghana. J’ai eu mon dernier marché en 2016 au Burkina et depuis lors, je n’ai plus eu de marché. Donc, j’ai décidé d’aller au Ghana. Mais avant d’y aller, je me suis dit que si j’emmène les machines à l’extérieur du pays, ce serait difficile de faire la voie de chez mes oncles. Donc, je vais profiter la refaire avant de partir. C’est ainsi que j’ai commencé les travaux de cette voie depuis fin 2020 et je l’ai terminée cette année. C’est quelque chose qui me tenait à cœur, parce que j’ai vu comment les populations souffraient.
Vous parlez de solidarité à une période où les gens ont souvent les moyens mais ne pensent pas à cela ?
Il y a celui qui sait donner. Il faut savoir que celui qui sait donner n’est pas forcément celui qui a les moyens. Il y a des gens qui décident souvent de partager même le peu qu’ils ont, tout comme d’autres ont des milliards mais qui ont des difficultés à donner.
Moi, je fais partie des gens qui, quel que soit ce que j’ai, je vais toujours partager avec mes prochains. C’est ainsi que je suis né ; tous ceux qui me connaissent dans le village et même à Ouagadougou savent que je suis quelqu’un, tant que je peux aider, je fais tout pour aider.
Vous avez parlé des secteurs d’activités dans lesquels vous êtes, notamment, les transports terrestres et aériens, les infrastructures, mais parlant de COPIA, vous avez dit COPIAFAX Burkina, COPIA Ghana, êtes-vous plus à l’international sur la construction ?
Aujourd’hui, je pense que je suis en train de déplacer pratiquement toutes mes activités du Burkina. Cela, parce qu’au niveau de la construction, depuis plus de cinq ans, j’ai tout fait mais je n’ai plus eu de marché. Le dernier marché que j’ai exécuté, c’est la construction de l’hôpital de Banfora et une petite route Poura-Fara en 2016. Depuis lors, je n’ai plus eu de marché. Ceci étant, vous le savez : quand on a des employés qui valent au moins 100, et on fait un an sans avoir de travail, c’est mieux d’aller chercher à l’extérieur. C’est ainsi que je suis allé au Ghana. Et quand j’y suis arrivé, grâce à Dieu, j’ai eu de gros marchés et c’est la raison pour laquelle j’ai aussi créé COPIAFAX Ghana. C’est ce qui m’a permis d’ailleurs de faire les travaux pour Kaya.
Vous avez été un des précurseurs du transport aérien privé avec Colombe Airlines, pouvez-vous nous en parler ? Qu’est-ce qui n’a pas marché avant, qu’est-ce que vous comptez faire aujourd’hui ?
Colombe Airlines, j’ai assez bien réfléchi avant de créer la compagnie. J’ai voulu prendre exemple sur Easy jet ou Rayanair qui, dans tous les pays où ils vont, les Etats leur apportent un coup de main, c’est-à-dire, réduit les taxes, en les faisant atterrir peut-être dans des aéroports secondaires qui ne coûtent pratiquement rien. Ce qui les amène à leur tour à aider la population à se déplacer en masse, en donnant des prix défiant toute concurrence. Malheureusement, ici au Burkina, j’ai été confronté à un problème, parce que les gens pensent que quand tu prends l’aérien, il faut avoir des milliards, alors que ce n’est pas du tout cela. Quand j’ai créé la société, j’ai fait des démarches auprès de plusieurs opérateurs économiques pour qu’on le fasse ensemble. Ce n’est pas seulement quand on la crée que l’entreprise nous appartient. Si vous êtes nombreux, vous pouvez bel et bien créer une entreprise qui fera adhérer tout le monde et ce serait bien. Mais j’ai fait ces démarches, en vain, et je me suis résolu à créer la société tout seul, à la financer seul. Malheureusement, avec la limitation des moyens, je me suis dit que j’allais avoir un accompagnement de l’Etat. Si c’était le cas, ça allait être très bien, parce que j’ai acheté un avion en leasing, c’est-à-dire, en location-vente où j’ai payé un grand deposit et je devrais récupérer l’avion au bout de 4 ans. Au bout des 4 ans, normalement je reprenais un deuxième avion et au fur et à mesure, la flotte montait. Mais malheureusement, j’ai été confronté à un problème, à savoir : non seulement, l’Etat ne m’a pas suivi, mais aussi j’ai tout fait pour avoir les taxes abordables. Je n’ai pas eu ce soutien, donc j’ai quand même commencé l’activité. J’ai travaillé pendant 2 ans. Le souci que j’ai eu, c’est que l’avion doit s’arrêter tous les 500 heures pour faire une révision obligatoire. Il y a 500 heures, 1000 heures, 1.500 heures ainsi de suite.
Donc, à chaque fois que j’arrête l’avion pendant deux jours pour faire l’entretien, la rumeur se répand (bien entendu, on a des ennemis partout) partout pour dire que l’avion est en panne, c’est un avion pourri, ils ne comprennent pas pourquoi l’Etat me laisse voler avec un tel avion pourri. Ce qui fait que si l’entretien est terminé et que je remets l’avion en route, les gens attendent d’abord pour voir si l’avion peut voler pendant au moins une semaine avant de revenir, alors que pendant la semaine que tu voles, l’avion est pratiquement vide.
Au moment où les gens commencent encore à refaire le plein, le temps de révision est encore arrivé et comme je n’avais pas un deuxième appareil, ça a été très difficile et cela a joué sur la clientèle. Mais par la suite, la clientèle avait compris la situation et cela ne causait pas de problème. Malheureusement, vers la fin, quand l’avion est parti pour une grosse maintenance, il y a eu des difficultés avec la personne chez qui j’ai acheté l’avion. Aidée par les autorités, ils l’ont désenregistré sans m’informer. Le ministère des Transports a désenregistré l’avion sans me le dire. Ainsi, celui qui me l’avait vendu l’a repris et jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas recouvré le deposit de plus de 1 milliard et quelques. J’avais même entamé une procédure contre l’Aviation civile que j’ai par la suite abandonnée, parce que je me suis dit que cela ne servait à rien.
Pourquoi a-t-on désenregistré sans même vous informer ?
C’est vrai qu’il avait eu aussi un conflit. J’ai eu un retard de paiement de traite d’à peu près trois mois, ce qui n’est pas énorme. Trois mois de traite, ça fait pratiquement 300.000 dollars, alors que moi, j’avais un deposit chez eux de près de 1 milliard 500 millions FCFA. Donc, quand l’avion est parti pour la maintenance, ils ont dit que non seulement il fallait que je paye ces trois mois d’arriérés, mais aussi payer les frais de remise en route. J’ai dit non ! Laissez moi finir de payer les frais de remise en route, je finis avec l’avion, je l’emmène, je commence à travailler en payant un peu un peu les dettes. De toutes façons, l’avion était en mon nom quand on ne s’est pas entendu. Donc, ils sont venus voir les autorités en mon absence pour dire que je leur dois de l’argent, qu’ils veulent récupérer leur avion, et ce que l’autorité n’a pas le droit de faire, et ils ont désenregistré l’avion à mon insu. Et si je les attaquais, ils savent très bien que l’Etat ou l’Autorité de régulation de l’aviation civile va être obligé de payer. Pour ne pas en arriver là et avoir un conflit avec l’Etat, j’ai laissé tomber.
Aujourd’hui, beaucoup de personnes regrettent Colombe Airlines, parce que si on avait continué jusqu’à la date d’aujourd’hui, on allait résoudre une petite partie de l’insécurité. Car, dans notre programme, on devrait desservir toutes les grandes villes avec des avions de 20 places maximum. Ensuite, on allait emmener la base de Colombe Airlines à Bobo. On devrait desservir Fada, Dori, Gaoua, Ouahigouya. C’était le programme qu’on avait fait. Aujourd’hui, les gens allaient s’habituer à voler avec l’avion, et cela allait résoudre une bonne partie de ce problème de sécurité routière.
J’avais effectivement arrêté et Air Burkina a pris le relais. Mais aujourd’hui, ils me demandent de venir recommencer rapidement pour qu’ils puissent faire autre chose, parce qu’ils voient la perte, alors que moi, je ne volais pas à perte. J’étais à 30.000FCFA/ticket, tandis qu’eux, ils sont à 90.000FCFA/ticket. Ils ont même augmenté encore.
Donc, vous envisagez un retour de Colombes Airlines ?
J’ai repris et je suis en train de me préparer. J’ai ouvert Colombe Airlines au Ghana et les vols commenceront en mars. J’ai fait la demande de renouvellement de mon agrément au Burkina depuis un an, et ce n’est que la semaine passée qu’on m’a appelé pour dire que l’agrément a été accordé. Pourtant, quand je suis allé au Ghana, les Ghanéens l’ont pris à bras-le-corps et en espace de 6 mois, j’avais tous les documents.
Le Burkina aime-t-il trop la paperasserie ?
Non, c’est une question de volonté d’aider. Si un homme d’affaires arrive, et vous voyez qu’il a un bon projet, faites tout pour l’accompagner, sinon, nous sommes tous régis par les lois de l’OACI. C’est la même chose, mais ça dépend de la volonté avec laquelle les gens travaillent sur ton dossier.
Depuis quelques temps, vous avez l’agrément de Colombe Airlines Burkina. Colombe Airlines Ghana est en phase de lancement. Quelles sont les échéances pour le Burkina ?
Aujourd’hui au Burkina, comme j’ai l’agrément, on va maintenant travailler pour ce qu’on appelle l’AOC. L’agrément, c’est ce que l’Etat donne. Mais l’AOC est la licence qui permet à l’avion de voler. Je vais maintenant proposer à notre Aviation civile, les avions dont je dispose. De toutes façons, maintenant, je vais démarrer avec 2 avions pour qu’il n’y ait plus de difficultés. Le processus peut prendre au minimum 5 mois comme ça peut aller à 1 an. Ça dépend du temps que les gens vont mettre pour aller vérifier les avions, c’est-à-dire, la visite technique. Sinon je pense que Colombe Airlines va voler avant la fin de l’année 2022.
Avec le même dispositif qu’avant ?
Oui, avec le même dispositif qu’avant, mais cette fois-ci, nous allons sortir. Nous ferons Bobo-Niamey, Bobo-Sikasso-Bamako, Bobo-Accra, Bobo-Lomé. Cette fois-ci, nous ferons le départ à partir de Bobo. Ouagadougou sera un point de transit et Bobo devient un hub pour nous.
Il y a un marché potentiel avec le secteur minier où les gens réfléchissent sur comment alimenter, ravitailler les sites miniers sans passer par la route ?
Aujourd’hui, je pense que même si 3 compagnies s’essaient, le marché est là, parce que l’avion n’est plus un luxe mais une nécessité. C’est une question de sécurité. Vous voyez que même les miniers veulent transporter leurs personnels, leurs matériels par avion.
Le sens du Colombe ? Pourquoi Colombe et pas autre chose ?
La plupart de mes sociétés de transport, j’ai mis Colombe, parce que la colombe c’est la paix. Toute personne qui veut avoir la paix du cœur dans le transport aérien comme terrestre doit prendre cette compagnie. C’est la garantie de ponctualité et de sécurité.
Sur l’aérien, on dit que d’ici 2022, chacun pourra prendre son ticket pour Bobo et ainsi de suite…
Ça, c’est sûr et certain, parce qu’on est déjà très avancé. S’il y a la santé, je promets que la compagnie va démarrer avant la fin de l’année. Pour le Ghana, on démarrera certainement avant mars 2022.
Que signifie le surnom grigri qu’on vous a collé ?
(Rires). Chez nous en pays gurunssi, gri-gri veut dire un enfant turbulent. Cela veut dire que quand j’étais petit, je faisais trop la casse, si bien que ma grand-mère me disait que tu es quel genre d’enfant ? Tu ne peux pas t’asseoir, tu es tout le temps gri-gri, en train de bouger. C’est là où est né le surnom grigri.
Donc vous avez changé parce que vous paraissez moins bouillant ? Je dirais presque trop calme ?
Certains diront que j’ai changé, d’autres par contre non. Toujours est-il qu’un surnom, tu le gardes à vie. Il y a certaines séquelles qui ne partent pas. Surtout dans notre métier d’homme d’affaires, tu es obligé d’être aussi percutant pour avoir ta place, sinon grigri ce n’est pas du tout le ‘’Wak’’ comme certains pourraient le croire.o
Réalisé par AT
Retranscrit par Flora Sanou (Stagiaire)
Encadré
L’empire de Pascal Tigahiré
«J’ai une société de BTP qui est COPIA FAX Burkina, une société de transport terrestre qui est Colombe du Sud, une société de transport aérien qui est Colombe Airlines. J’ai aussi une société d’exportation d’or. J’ai une société à Dubaï, une autre au Luxembourg. J’ai aussi la société Excel au Kenya. Ce sont toutes des sociétés d’import/export.
Aujourd’hui au Burkina, le nombre d’employés a un peu diminué. Je suis autour d’une cinquantaine d’employés. Quant au Ghana, je suis à peu près à 300 employés. Au Kenya, j’ai une cinquantaine d’employés ; à Dubaï, ce sont des agents de bureau pour l’import/export, ils sont 15 et 10 au Luxembourg ».