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Corona Business: Burkina Faso-Niger-Mali

Le Burkina Faso a connu trois étapes dans la facturation des tests Covid-19 voyageurs dont une première période de gratuité (août à décembre 2020), une deuxième période de paiement de 50.000 FCFA (décembre 2020 à mai 2021) et une troisième période de paiement à 25.000 FCFA (depuis mai 2021).

Au Burkina Faso, au Niger tout comme au Mali, des voyageurs se prévalent de résultats de tests Covid-19 négatifs dont les conditions d’obtention prêtent à caution, pour être acceptés à bord des vols. Des réseaux de faussaires se sont, en effet, constitués dans ces pays avec le dessein de tirer un profit de la nouvelle donne sanitaire mondiale imposée par la Covid-19. Pour ce faire, tous les dysfonctionnements et failles des systèmes sanitaires locaux sont exploités.
Au début de la pandémie, chaque pays avait fixé les conditions d’entrée et de sortie de son territoire. Les trois États sahéliens, à savoir : le Burkina Faso, le Niger et le Mali, à l’instar des autres pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ont harmonisé ces conditions. Mais le 25 mars 2021, les chefs d’État de l’UEMOA ont pris deux décisions d’harmonisation des conditions de voyage par air dans l’espace. Ainsi, tout voyageur par voie aérienne, pour quitter ou accéder aux territoires des huit pays de l’Union, doit présenter un test de dépistage à la Covid-19 négatif dont le montant des tests de dépistage est fixé à 25.000 FCFA et la validité des tests est de cinq jours à partir de la date du prélèvement de l’échantillon.

Corona business

Dès lors que monter à bord d’un aéronef est conditionné par la présentation, à l’embarquement comme au débarquement, d’une attestation de test Covid-19 négatif, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, des voyageurs font feu de tout bois pour obtenir ce précieux sésame, parfois frauduleusement. « Vrais, mais faux tests PCR », auprès de personnes malintentionnées qui ne pensent qu’à se faire de l’argent.
Le Burkina Faso a enregistré son premier cas de Covid-19 le 9 mars 2020. Le 20 mars 2020, alors qu’une quarantaine de personnes contaminées sont enregistrées, dont un décès, le gouvernement a pris une série de mesures parmi lesquelles, la fermeture des frontières aériennes aux vols commerciaux, pour une durée de deux semaines, exception faite pour les vols intérieurs et militaires et le fret. Cette mesure de fermeture des frontières aériennes aux vols commerciaux a été prolongée jusqu’au 1er août 2020, date de réouverture des frontières aériennes.

Dans les deux États voisins, Niger et Mali, c’est presqu’à la même période que le mal fait son apparition avec son cortège de dégâts, obligeant les autorités à prendre leur responsabilité.
Au Niger, à la réouverture des frontières aériennes, l’obtention de la carte d’embarquement est conditionnée par la présentation d’un certificat de test Covid-19 voyageur négatif, selon des sources policières de l’aéroport de Niamey. Le même constat a été fait à Bamako et à Ouagadougou.
Le gouvernement nigérien, à l’issue du Conseil des ministres du 27 mai 2021, conformément à la décision des chefs d’Etat de l’UEMOA d’harmoniser les conditions de voyage dans l’espace, a fixé les coûts des tests Covid-19 des voyageurs par voie aérienne à 25.000 FCFA. La validité desdits tests est de cinq jours.

Des « vrais faux » tests Covid-19

Tout voyageur par voie aérienne, pour quitter ou accéder aux territoires des huit pays de l’UEMOA, doit présenter un test de dépistage à la Covid-19 négatif dont le montant est fixé à 25.000 FCFA et la validité est de cinq jours à partir de la date du prélèvement de l’échantillon.

Le Burkina Faso a connu trois étapes dans la facturation des tests Covid-19 voyageurs dont une première période de gratuité (août à décembre 2020), une deuxième période de paiement de 50.000 FCFA (décembre 2020 à mai 2021) et une troisième période de paiement à 25.000 FCFA (depuis mai 2021).

Dans ce pays, plusieurs sites de prélèvement ont été mis en place dans neuf régions administratives du pays qui en compte 13. Les analyses se font dans plusieurs laboratoires. Les failles du système ont permis la délivrance de fausses attestations de tests Covid-19 : « faux tests », selon les témoignages de plusieurs voyageurs. Un véritable business s’est développé autour du Coronavirus.
A l’identique, plusieurs centres de prélèvement sont disséminés à Niamey au Niger. « Mais seul le laboratoire du Centre de recherche médicale et sanitaire (CERMES), rattaché au ministère de la Santé publique, est habilité pour les analyses », explique un laborantin au CERMES. Le laboratoire du CERMES a une capacité de traitement de 500 prélèvements par jour, laquelle n’a jamais été atteinte. Les résultats des tests sont disponibles 4 à 6 heures de temps après, en fonction du nombre d’échantillons à analyser. A l’issue de ce processus, le demandeur est ainsi fixé sur son sort.

Bamako, pour sa part, abrite quatre laboratoires habilités à procéder aux analyses des prélèvements. Mais le dispositif de réalisation des tests PCR est piloté par l’Institut national de recherche en santé publique (INRSP) qui fait office de centre de riposte anti-Covid-19. Plus d’un millier d’échantillons de prélèvements sont ainsi analysés au quotidien par l’INSP. Objectif : le certificat de test Covid-19 négatif. L’INRSP est parfois débordé et refuse du monde chaque jour.

Ce monopole et cette exclusivité de l’INRSP qui délivre les attestations des tests Covid-19 cachent des enjeux pécuniaires. Les longues files des demandeurs sont contournées grâce à la complicité de certains agents qui s’adonnent à des pratiques peu recommandables. Des informations recueillies auprès des bénéficiaires de ces services permettent d’établir que ces agents profitent du manque de dispositif de contrôle pour authentifier les « faux tests frauduleux ».
Négocier pour arracher à tout prix et dans un court délai, un test de dépistage négatif, c’est la bataille à laquelle se livre alors plus d’un voyageur au Mali. Au détour de fructueuses tractations secrètes, le fameux « laisser-passer » est obtenu. Ici, la casquette ou le titre du client suffit pour lui réserver un traitement diligent moyennant un pot-de-vin conséquent.
Le voyageur qui rate son vol au Mali peut ainsi aisément se faire reconduire son résultat négatif obtenu plusieurs jours auparavant. Il lui suffit, aux dires des habitués du système, de glisser 12.500 FCFA, correspondant au demi-tarif du test.

Ce jour lundi 7 juin 2021 à Bamako, entre 8h30 et 12 h (heures de début et fin des opérations de prélèvement), pour échapper aux longues files d’attente, une trentaine d’usagers sont reçus en catimini, dans la salle de prélèvement. Ils y ont eu accès via une autre entrée. A l’intérieur, ils sont pris en charge. Le versement des frais des tests se fait entre les mains de quatre agents opérant dans la salle de prélèvement. Sans quittance, s’il vous plaît.

Plusieurs usagers signalent avoir bénéficié des mêmes largesses contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ce qui en dit long sur le pouvoir de l’argent dans la sphère des tests PCR au Mali.

Résultats « négatifs » de complaisance ?

Au Burkina Faso, pendant la gratuité, témoigne un voyageur, il s’est rendu à la maternité Pogbi de Ouagadougou un jeudi matin, pour un test. Son voyage a lieu le samedi dans la matinée. Il est 9h00 ; un membre du personnel l’informe que les prélèvements ont pris fin. En plus, il ne peut disposer de ses résultats avant 72h, c’est-à-dire avant dimanche. Apparemment informé de l’existence du réseau de contrefacteurs des tests Covid-19, il laisse partir la plupart des agents et expose sa contrainte de temps à l’un d’entre eux. Ce dernier a encore à sa disposition trois tubes de prélèvement. Il peut donc le prélever, surtout que le laboratoire n’est pas encore passé prendre les échantillons. Le vendredi soir, confesse ce voyageur, il est entré en possession de son résultat de test négatif et a pu effectuer son voyage contre paiement d’un pourboire. A combien s’élève cette négociation ? Motus et bouche cousue. Son test était-il réellement négatif ? Mystère et boule de gomme. Un autre voyageur témoigne qu’il a remis de l’argent à un agent dans un autre centre de prélèvement qui a alors accepté de l’aider. Dans l’après-midi, son résultat de test est déjà disponible. « Même s’il était positif, l’agent aurait marqué négatif », précise-t-il, parce qu’il lui a remis de l’argent.

C’est à l’époque où les voyageurs payaient 50.000 FCFA pour les tests Covid-19 au Burkina Faso que le « réseau » va s’installer pour la délivrance des « faux tests Covid-19 voyageurs négatifs ».

Nous avons fait l’expérience en décembre 2020. Arrivé sur le site de prélèvement de l’aéroport vers 7h00, l’agent de sécurité nous informe que les prélèvements sont arrêtés parce que le nombre prévu par jour est atteint. Il nous conseille de revenir le lendemain matin très tôt, c’est-à-dire à 4h00. Après une explication sur l’urgence du voyage, il propose de voir avec « les chefs » pour réserver un ticket contre 25.000F CFA. Le lendemain matin, nous passons pour le ticket. Après le prélèvement, il nous fallait obtenir rapidement le résultat du test.
Un complément de 25.000 FCFA est versé à une personne à laquelle l’agent de sécurité a communiqué le numéro de l’échantillon. Le résultat était disponible dans l’après-midi. A cette période, les affaires ont été florissantes pour ce réseau, parce qu’elle coïncidait avec la période des vacances, par conséquent, de voyages pour de nombreuses personnes. Sans oublier qu’une pénurie de kits de prélèvement a été observée.
Afin de lutter contre le faux, le gouvernement burkinabè a introduit une innovation technologique que Boukary Ouédraogo, directeur du système d’information du ministère de la Santé, a présentée. Il s’agit d’une application d’accès aux résultats des tests Covid-19 voyageurs. Cette application sécurisée envoie désormais les résultats des tests Covid-19 sur les téléphones mobiles des voyageurs qui peuvent les télécharger.
A l’aéroport, les agents chargés de la vérification des certificats de tests auprès des voyageurs scannent à l’aide d’une tablette, le code barre figurant sur la copie du résultat pour s’assurer de son authenticité afin d’éviter la fraude.
Tel n’est pas encore le cas au Niger où la vérification du certificat se fait à l’œil nu. Pas de dispositif technologique pour vérifier si le test a effectivement été fait au laboratoire du CERMES ou si le certificat négatif a été obtenu après un prélèvement. Par ailleurs, la vérification à l’œil nu ne garantit pas la fiabilité du document présenté.

Même avec le système de vérification électronique du Burkina Faso, les agents membres du réseau mettent tout en œuvre pour contourner le dispositif mis en place. Après le prélèvement, le voyageur transmet le numéro de l’échantillon plus une somme supplémentaire de 25.000 FCFA à un membre du réseau qui saisit le résultat « négatif » dans le système. Au moment du contrôle à l’aéroport, le résultat s’avère authentique.

Un autre circuit consiste à verser 50.000 FCFA directement à l’agent qui procède au prélèvement, la suite, le résultat du test est forcément négatif. Cette technique a fait des malheureux. Des voyageurs qui n’ont pas eu gain de cause se sont plaints ouvertement. Comme solution, il a été décidé de sensibiliser les usagers. Sur les sites de prélèvement, des affiches informent qu’il faut « toujours exiger un reçu après tout paiement ».

Enquête réalisée par Joël BOUDA/Burkina Faso, David Dembélé /Mali et Aboubacar Sani/Niger avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

 

Encadré 1

Une faute professionnelle doublée de corruption

D’après un témoin, pendant qu’il attendait son résultat de test à l’issue certaine, négatif à l’avance, arrive une personne de sexe féminin, jeune. Elle lance un appel téléphonique et un homme va à sa rencontre. « J’ai été envoyé par… », lui dit-elle. Elle remet une somme d’argent à son interlocuteur qui la conduit au laboratoire pour le prélèvement. Elle a rendez-vous dans une heure pour les résultats. L’argent a servi pour accélérer le résultat du test qui sortira négatif. Selon le chauffeur d’une société minière, arrivé pour le retrait des résultats de ses responsables et qui a assisté à la scène : « Ici, c’est comme cela. C’est le deal des agents. Ils prennent l’argent et font les tests à leur guise. Même si c’est positif, on te met négatif et tu voyages ». Cet agent a commis une faute professionnelle doublée d’un cas de corruption.

 

Encadré 2

Facteurs favorisants

A l’analyse, les ruptures de kits de prélèvement, les longs délais pour obtenir les résultats ont été créés expressément pour canaliser les voyageurs vers les réseaux d’agents corrompus, à la recherche de gain facile au Burkina Faso.
L’absence de sanctions serait aussi une des causes du développement du phénomène de la corruption dans les trois pays. A cela s’ajoute la mauvaise prise en charge du personnel mobilisé dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 : indemnités insuffisantes et retard dans le paiement de ces émoluments, selon les personnes concernées au Burkina Faso.
A titre illustratif, pour la riposte contre la Covid-19, le gouvernement burkinabè a recruté des volontaires. Au centre urbain du district sanitaire de Baskuy à Ouagadougou, selon les informations recueillies auprès de ces volontaires, la prise en charge est passée de 7.500 FCFA par jour pendant 30 jours à 5.000 FCFA par jour pendant 15 jours. Confère arrêté interministériel N°2021-065/MS/MERSI/MINEFID du 9 avril 2021 fixant la durée, le nombre et le taux des rétributions des acteurs intervenant dans le cadre de la lutte contre la Covid-19.
Malgré le mouvement de grève de 24 h qui a eu lieu au mois de mai 2021, pour dénoncer la situation, et qui a occasionné des reports ou annulations de voyages, le personnel n’a pas eu gain de cause. Le mouvement a vite été étouffé dans l’œuf. Toutefois, il a mis en exergue le rôle de ces acteurs dans le système sanitaire de riposte, les centres de prélèvement étaient débordés.

 

Encadré 3

Des faits impunis jusque-là

A la question de savoir pourquoi la Direction de l’INSP au Mali ne réagit pas par rapport aux mauvaises pratiques de certains des agents au nom de l’argent, un employé qui a requis l’anonymat évoque un réseau dont l’ancrage va au-delà des agents opérant sur le site.
Notre interlocuteur mentionne l’hypothèse d’une fourberie mais ne confirme pas l’existence de quittances parallèles : « Les gens évoquent de plus en plus l’existence de quittances parallèles, je n’en ai pas connaissance. Si des reçus sont délivrés aux usagers qui accèdent à la salle de prélèvement par voie détournée, ils n’émanent pas du Trésor public », selon le Pr Akory Ag Iknane.
Face à ce business ambiant autour de la structure qu’il pilote depuis bientôt deux ans, Pr Akory Ag Iknane préfère garder le silence quand il est approché par des journalistes sur la question de la transparence ou non des opérations de dépistage et de délivrance des certificats de voyage de tests Covid-19.
Ni le ministère de la Santé du Mali, encore moins les services de santé de l’aéroport de Bamako ne semblent au parfum de ces pratiques. Dans les six tribunaux de grande instance de Bamako, aucune trace d’une affaire en relation avec la contrefaçon des tests Covid-19 ou encore avec des magouilles qui entourent le système.

.Le 2 février 2021, le ministre de la Santé du Burkina Faso, le Pr Charlemagne Ouédraogo, a indiqué que 13 tentatives de fraude avaient été détectées grâce au code QR se trouvant derrière les résultats du test Covid voyageur. Le dossier a été transmis au Procureur du Faso près le Tribunal de Grande instance de Ouagadougou. Malgré cette situation de corruption ambiante, du côté du Parquet de Ouagadougou, une source indique que le dossier introduit suite à une requête du ministère de la Santé est toujours en instruction.
Le Niger non plus n’a encore enregistré de cas de certificat de test Covid-19 contrefait. « On a eu des rumeurs. Mais on n’a pas encore vu un certificat de test contrefait », déclare une source au sein du comité Covid. « Il est possible d’avoir un circuit », reconnait-il. « Mais officiellement, il n’y a pas de faux certificats », déclare-t-il. « Une fois, les services de sécurité de l’aéroport de Lomé nous ont saisi par rapport à un certificat de test Covid-19 provenant du Niger. Il s’agit d’un certificat dont la date a été falsifiée, ça a tiqué (sic) le service de contrôle qui nous a saisi », a expliqué le laborantin du CERMES.
Du côté de la Justice, on reste également catégorique sur l’existence d’un quelconque dossier sur des faux tests Covid-19 ou d’un certificat contrefait : « Non, pas pour le moment ! Nous n’avons pas été saisi de ça encore », affirme une source judiciaire.
Si le Niger reste jusqu’ici épargné des certificats de tests falsifiés, cela peut être lié à la catégorie des demandeurs. Le test et la présentation d’un certificat négatif sont exigés aux personnes devant prendre l’avion. Or, ce moyen de transport est peu utilisé par une catégorie de voyageurs.

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