La limitation du nombre de partis politiques au Burkina Faso alimente les débats depuis la sortie du président de l’Assemblée nationale, Alassane Bala Sakandé, lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre, Joseph Dabiré, le 4 février dernier. Si la prolifération des partis politiques est relative à l’expression d’un pluralisme démocratique, l’on peut toutefois s’interroger sur cette occupation de la scène publique qui occulterait des enjeux nationaux.
La publication, le 12 mars 2021, par le ministère en charge de l’administration territoriale de la liste des partis politiques affiliés au chef de file de l’opposition et à la majorité présidentielle est venue raviver le débat sur leur limitation. L’on retient qu’il y a 32 partis qui se réclament de l’opposition et 82 de la majorité.
En tout, 114 partis politiques, sans oublier ceux qui ne sont de l’un des deux bords, font partie de l’échiquier politique national. Le multipartisme, dit-on, est une dimension essentielle d’une démocratie qui se veut plurielle. La Constitution burkinabè garantit d’ailleurs ce système multipartite.
Depuis les années 90, bon nombre de pays africains font l’expérience du multipartisme. Ils sont nombreux les leaders politiques qui prennent part aux différentes élections sous la bannière de partis de diverses obédiences idéologiques. Ainsi, dans leur diversité, ces chapelles politiques participent à l’animation de la vie politique aux niveaux national et régional.
Au Burkina Faso, ce sont plus d’une centaine de partis politiques officiellement reconnus qui participent, chacun à sa façon, au renforcement du processus démocratique. Ce multipartisme, s’il traduit l’expression plurielle des opinions et participe à la formation d’une opinion politique, n’est toutefois pas dénué de limites.
A l’examen de ce pluralisme démocratique, l’on se rend compte qu’en lieu et place de la pléiade de partis politiques qui naissent tous les jours, ce ne sont quelques-uns qui animent la sphère publique. De nombreuses formations politiques n’ont d’existence réelle que leur reconnaissance officielle. Ils se confinent dans des rôles de simples figurants ou ne se font entendre qu’à l’occasion des échéances électorales.
La prolifération de partis politiques est moins sous-tendue par le souci de participer, de façon constructive, aux débats qui concernent les préoccupations à l’échelle nationale que l’exacerbation des égos démesurés de leaders politiques. Incapables de transcender leurs propres contradictions et de privilégier l’intérêt général, les leaders politiques, au nom du multipartisme, créent des partis sur des coups de tête.
Quelquefois, l’émiettement même de la classe politique est orchestré par des partis puissants qui ont du mal à contenir les convoitises à l’interne. L’on suscite la naissance de partis satellites pour contenter quelques frustrés. Du coup, ce pluralisme qui devrait servir à nourrir le débat démocratique est relégué au second plan. C’est pourquoi, qu’on le veuille ou pas, la question de la limitation du nombre de partis politiques va se poser d’une manière ou d’une autre.
L’on ne peut se retrancher derrière des prérogatives que confèrent la Constitution pour éviter le débat. Si les partis politiques existent, ils doivent avoir une résonnance dans le renforcement du processus démocratique. Le multipartisme de façade n’apportera rien à la qualité de la vie démocratique d’une Nation. Comment favoriser une réflexion fructueuse pour mieux appréhender le problème ? C’est de repenser objectivement le sens de l’engagement politique.o
Jérôme HAYIMI
Encadré
Dépasser des ambitions personnelles
Le pluralisme tant loué doit être au service d’une démocratie qui se veut vitale. Nos leaders politiques ont intérêt à s’émanciper de leur égo pour voir la politique comme une mission au service de la communauté. Le multipartisme ne servira la démocratie, dans la mesure où l’intérêt national est mis en avant. Vouloir utiliser le multipartisme pour assouvir des ambitions personnelles, c’est simplement amuser la galerie. Comme l’a souligné le philosophe Pr Jacques Nanema, « La politique, c›est l›art de faire communauté, de faire société, de réunir des forces, compétences, intérêts et acteurs autour d›un projet qui dépasse, transcende et prolonge les concernés dans la perspective d›aller plus loin ensemble. Sans l›idée de perspective et de progrès, la politique perdrait son sens profond ; en effet, à quoi bon se mettre ensemble si c›est pour se complaire dans la situation où se trouve chacun et tous avant l›association politique ? ».
Faire abstraction de la question de la limitation du nombre de partis politiques, ce serait à la limite vouloir se complaire dans une situation qui ne fait la part belle qu’aux intérêts d’une minorité. La démocratie ne saurait être sacrifiée sur l’autel d’un jeu d’intérêts égoïstes alimenté par un émiettement improductif des chapelles politiques. L’engagement politique requiert un minimum de patriotisme. La politique, ajoute le philosophe, « est fondamentalement une compétence fédérative (et non agrégative) par laquelle on crée une unité toujours ouverte et dynamique pour faire sens dans l’histoire ». L’arène politique doit être le lieu de l’exaltation des valeurs qui rassemblent et de la culture de l’intérêt général.