L’Economiste du Faso : La Banque mondiale a approuvé une enveloppe de 700 millions de dollars supplémentaires pour le Burkina Faso. A quoi va servir ce financement concrètement ?
Maïmouna M. Fam (Représentante-résidente de la Banque mondiale au Burkina Faso) : Je vous remercie de m’avoir donné cette opportunité de revenir sur un programme très important que la Banque mondiale a démarré hier 15 décembre 2020. Ça a été un jour mémorable pour le Burkina Faso, parce que nous avons pu mobiliser des ressources additionnelles d’un montant de 700 millions de dollars (385 milliards F CFA), en plus de l’enveloppe que la Banque mondiale a l’habitude de donner au pays. On a pu également obtenir l’approbation de notre Conseil d’administration sur deux projets très structurants. Nous avons l’appui budgétaire d’urgence qui a été préparé pour accompagner le pays à faire face aux impacts négatifs de la pandémie de Covid-19 pour un montant de 100 millions de dollars. Nous avons également un projet d’urgence de développement local et de résilience qui s’inscrit dans le programme d’urgence du Sahel, pour un montant de 350 millions de dollars, qui va s’exécuter sur une durée de 5 ans.
Ce qu’il faut noter c’est que le Burkina Faso a été le premier pays à bénéficier de ces ressources supplémentaires dans le cadre de ce que l’on appelle une allocation pour la prévention et la résilience. Il a été octroyé aux pays qui ont des difficultés et qui ont pris la résolution ferme de résoudre les questions de conflits, d’améliorer la prévention et la résilience. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale a une stratégie pour le Sahel. Elle comporte des résultats très ambitieux pour les 5 pays du Sahel. Elle consiste, entre autres, à permettre à tous ces pays du Sahel de doubler l’accès à l’énergie, à l’électricité d’ici 2023. De pouvoir sortir au moins 19 millions d’enfants de la malnutrition et de pouvoir également rendre les adolescentes beaucoup plus autonomes à travers l’éducation, la formation. Il vise au moins 80% des jeunes filles issues de milieux vulnérables. Avec des résultats tangibles que l’on va atteindre sur les 3 prochaines années.
Dans le cadre de cette stratégie, La banque a alloué des ressources nécessaires aux pays du G5 Sahel qui ont prix la résolution ferme comme l’a fait le Burkina Faso, d’avoir une stratégie de prévention et de gestion des conflits. Cette enveloppe supplémentaire est un ajout au portefeuille normal alloué par la Banque mondiale au Burkina Faso. C’est une mesure prise pour accompagner le gouvernement du Burkina Faso dans la mise en œuvre de sa stratégie de restaurer la présence positive de l’Etat dans les zones affectées par cette crise.
Cela signifie que le gouvernement vous a déjà soumis des projets à mettre en œuvre…
L’exercice a commencé depuis un certain temps et nous sommes en train de travailler avec le gouvernement sur la préparation de ces projets. Ce qu’il faut noter c’est que nous avons un partenariat très riche avec le Burkina Faso et nous avons déjà un portefeuille composé d’une trentaine de projets. Environ 20 projets nationaux et 10 projets régionaux. Il s’agit des projets où le Burkina est partie prenante avec d’autres pays limitrophes.
Dans le cadre de l’allocation prévention résilience, nous avons pu mobiliser 700 millions de plus. Ils vont également servir à formuler de nouvelles opérations. Le projet d’urgence est un exemple qui montre que ce n’est pas cela la mobilisation des ressources, mais nous avons entamé l’exercice depuis un certain temps avec le MINEFID et également les autres ministères sectoriels, sur tous les sujets qui ont un lien direct avec les questions de conflits et de prévention. C’est le cas de la gestion des ressources naturelles où nous avons un projet en commun pour améliorer la gouvernance foncière, la gestion des mines artisanales, et tout ceci rentre dans la stratégie de prévention de conflits, ou toutes les causes profondes des conflits, telles que la présence et la nécessité d’améliorer la gouvernance locale, de pouvoir délivrer des services de base au niveau des citoyens, de pouvoir renforcer la présence positive de l’Etat dans les zones affectées, de pouvoir restaurer la confiance entre les citoyens et l’Etat, tous ces axes ont fait l’objet de formulation de projets et programmes que nous sommes en train de finaliser avec le MINEFID pour pouvoir les concrétiser.
Comment se fera la mise en œuvre sur le terrain ?
Le défi réel se trouve dans la mise en œuvre. Il est, certes, important de mobiliser des ressources, mais il est encore plus critique de pouvoir transformer ces ressources en bien, en service, en emploi et que les populations puissent en profiter et c’est cela notre finalité. Mais il faut noter que l’on ne part pas du néant. Le gouvernement a déjà son programme d’urgence pour le Sahel. Il a déjà découpé les zones qui nécessitent des interventions. Il s’agit des zones instables (là où les conflits se sont installés et les populations sont parties), les zones sous pressions (ce sont celles qui abritent les déplacés internes) et les zones de prévention (il s’agit des zones où si on ne fait rien, les conflits peuvent s’étendre).
Cela signifie que les zones sont définies et les types d’interventions aussi. Il y a un programme structurant du gouvernement et la banque n’a fait que bâtir sur ce programme. Ces projets ont déjà ciblé des Communes, des zones et plus particulièrement les zones sous pressions et les zones de prévention et certaines zones instables pour décliner des investissements et des activités qui s’inscrivent en droite ligne avec ce que le gouvernement envisage de faire et qu’il a déjà défini dans son programme PUS.
Et les arrangements institutionnels, la mise en œuvre nécessite une attention particulière, mais il y a déjà les arrangements institutionnels aussi bien au niveau central que régional, le gouvernement a déjà défini les structures. Et les projets et programmes qui ont été préparés vont s’inscrire dans ce dispositif institutionnel. Ce qu’il faut noter c’est que l’on rencontre des lenteurs dans la mise en œuvre des projets, notamment, dans les procédures de contractualisation ou dans la mise à disposition des ressources ou autres. On s’est mis d’accord avec le gouvernement sur un modus operandi qui s’inscrit dans cette logique d’urgence. Il s’agit d’avoir des procédures plus simplifiées, plus accélérées et il y a des procédures de gestion et de passation de marchés qui ont été définies pour répondre aux questions d’urgence. Et la banque met également à la disposition du gouvernement, une assistance technique. Par exemple, dans le domaine de la passation des marchés, nous mettons à disposition des experts spécialisés dans ce domaine qui vont faire partie du groupe d’intervention du gouvernement pour les accompagner dans la mise en œuvre, afin d’avoir des stratégies de contractualisation qui répondent aux contextes d’urgence pour avoir des résultats rapides.
Outre ces difficultés citées, il y a celle du défi de la sécurité. Avez-vous déjà réfléchi à comment aborder cette question pour, par exemple, la réalisation d’infrastructures ?
Il faut dire que la sécurité reste un préalable. Si on veut mettre en œuvre tous ces projets, nous devons créer les conditions sécuritaires pour y aller faire le travail, recruter des entreprises qui vont y aller et aussi avoir les organes de gouvernance locale pour pouvoir le faire. C’est dans ce contexte que nous misons beaucoup sur le partenariat avec les PTF. Nous nous sommes positionnés dans les solutions de développement, mais nous n’avons pas de mandat sur les questions sécuritaires et humanitaires. Dans le cadre de cet exercice, nous l’avons fait en consultation avec tous les partenaires présents au Burkina Faso, depuis la note conceptuelle jusqu’à la finalisation du document qui a été transmis au Conseil, nous avons été en contact régulier avec tous les PTF impliqués dans les questions de sécurité et de paix. L’objectif c’est de fédérer nos énergies pour travailler ensemble. Nous allons décliner cela en partenariat opérationnel pour que sur le terrain, quand nous allons intervenir dans la zone du Sahel, nous puissions synchroniser nos programmes pour être sûrs que les conditions seront réunies pour mettre en œuvre ces projets.
Parlons de l’opération d’appui budgétaire d’urgence. Cela se fera-t-il sur le budget 2021 ?
C’est un appui budgétaire et le chèque rentre directement dans le budget. Le gouvernement l’a comptabilisé dans l’année calendaire 2020, parce que l’enveloppe a été approuvée le 15 décembre 2020, cela veut dire que l’autorisation de disponibiliser ces ressources a été obtenue et le décaissement va se faire au plus tard d’ici fin janvier. Il s’agit d’un décaissement en une seule tranche. Dans les prochains jours, on va signer l’accord de financement avec le ministre de l’Economie et des Finances et ensuite, procéder aux modalités de mise en œuvre et le décaisser. Et dans nos prévisions, le décaissement sera fait au plus tard d’ici fin janvier. Ce seront des ressources immédiates pour le pays.
Cette allocation supplémentaire est de 700 millions de dollars dont la moitié en dons et l’autre en crédits. Cela signifie que le Burkina est assez pauvre pour être soutenu, mais quand même assez riche pour rembourser cette aide ?
Tout ce programme dont on discute est financé à 50% par des dons et à 50% par des crédits. Je peux dire que la partie « crédit » est crédit par le nom ; parce que d’abord, ce sont des crédits très concessionnels où pratiquement le taux s’approche de zéro, il y a des périodes de différés de remboursement de 10, voire 20 ans et que c’est juste qu’on rembourse le principal. Vous conviendrez avec moi également que c’est stimulant, parce que tous ces investissements vont générer de la richesse et que l’on peut demander quand même au pays de rembourser au moins le principal. Mais ce qu’il faut noter c’est que la banque œuvre toujours à accompagner les pays à avoir une dette soutenable, nous veillons sur le niveau d’endettement du pays et la capacité du pays à pouvoir supporter ce niveau d’endettement. A titre d’illustration, depuis le début de la pandémie, tous les pays ont pu bénéficier de rééchelonnement de leurs crédits.
Cela signifie peut-être aussi que le Burkina est résilient ?
Oui, on peut le dire. Le pays fait face à une superposition de crise humanitaire, sanitaire et également sécuritaire et qui continue à fonctionner, on peut dire vraiment que c’est un pays résilient. Et nous sommes là pour aider à le rendre plus résilient et on pense également que le pays s’appuie sur la qualité de ses Ressources humaines, sur le fait que c’est un peuple travailleur, tout le monde le reconnait et également sur les forces de défense et de sécurité, les forces vives de la nation, la volonté politique à travailler à sortir de cette situation. Donc résilience oui, mais on veut aller au-delà de la résilience et devenir riche.o
FW/NK
Encadré
A propos du système national de bons électroniques pour les agriculteurs
«Il s’agit de bons de distributions d’intrants pour les agriculteurs. L’idée, c’est d’aller vers la digitalisation. On avait l’habitude de faire de la distribution gratuite pour les agriculteurs, avec l’appui budgétaire, nous soutenons une plateforme qui vise à utiliser des bons électroniques. Compte tenu du contexte de la pandémie où on met l’accent sur la distanciation sociale, c’est une approche qui permet de fournir des services en prenant des précautions. On s’appuie donc sur l’électronique pour maintenir un certain niveau de qualité de service dans un environnement compliqué.
Le deuxième point c’est qu’il faut noter que ces bons permettent de rendre l’accès plus facile, de faciliter le ciblage et rendre les choses plus transparentes. Avec les bons, on va veiller à ce que les agriculteurs qui ont droit à ces bons les reçoivent dans les meilleures conditions de transparence, d’équité et de traçabilité. Cela contribue à renforcer la gouvernance, la transparence et aussi à faciliter l’accès des services de l’Etat aux bénéficiaires et aux populations de façon générale».
Encadré 2
Le programme de soutien approuvé comprend:
– Une allocation pour la prévention et la résilience (PRA) d’un montant de 700 millions de dollars – avec un don IDA de 350 millions et un crédit IDA de 350 millions sur les trois prochaines années – afin de soutenir le pays dans ses initiatives de traitement des risques et aggravation de la violence. L’accès du Burkina Faso au PRA permettra de soutenir sa stratégie de prévention de l’escalade des violences, notamment, par une action plus appuyée des opérations de la Banque mondiale en faveur des personnes vulnérables, des régions en conflit, sous pression et par le traitement en profondeur des facteurs de conflits.
– Une opération d’appui budgétaire d’urgence d’un montant de 100 millions de dollars avec un don IDA de 50 millions de dollars et un crédit IDA du même montant. Cette opération va appuyer la riposte du gouvernement à la pandémie de Covid²-19 dans un contexte de double crise sécuritaire et humanitaire. Ce financement permettra, notamment, d’atténuer l’impact du Coronavirus sur les vies et les moyens de subsistance des Burkinabè, et de jeter les bases d’une relance économique résiliente grâce à l’adoption d’un système national de bons électroniques pour les agriculteurs, à l’amélioration des services publics, à l’augmentation de l’accès au financement pour les moyennes et petites entreprises, au renforcement du système de surveillance des épidémies et au ciblage des bénéficiaires de programmes d’aide sociale.
– Le Projet d’urgence de développement territorial et de résilience, d’un montant total de 350 millions de dollars (175 millions en don et l’équivalent en crédit). Ce projet vise à améliorer l’accès des communautés, y compris les personnes déplacées à l’intérieur du pays, aux infrastructures et aux services sociaux dont elles ont besoin dans certaines zones de conflit et à risque. A terme, ce projet devrait augmenter les ressources de près de 325.000 femmes, dont 30% sont déplacées internes. Par ailleurs, 650.000 personnes bénéficieront de meilleurs services sociaux.o