L’Economiste du Faso : Quels sont les objectifs de cette étude ?
FREE Afrik : La présente étude intervient à un moment électoral et à un moment où un Burkinabè sur 20 est en situation de déplacé interne pour des raisons d’insécurité. Elle intervient aussi à l’occasion du soixantenaire de l’indépendance du pays. Il était utile de prendre prétexte de ces élections pour conduire une étude diagnostique dont les résultats sont destinés à alimenter le débat public lors de la campagne électorale.
L’étude répond à 2 questions; quels sont les principaux défis auxquels le Burkina est confronté aujourd’hui ? Que faire face à ces défis ? L’étude met l’accent sur l’identification des défis. Elle ne présente pas une liste exhaustive de défis parce qu’elle n’a retenu que les défis les plus importants qu’il faut affronter aujourd’hui. L’étude a été restituée à des journalistes lors d’une formation à Koudougou. Elle a fait l’objet de conférences publiques à Bobo-Dioulasso et à Koudougou.
Les ressources destinées à l’investissement public évoluent en dents de scie. Quel peut être l’impact de cette situation sur la qualité et la quantité des infrastructures ?
L’investissement est la variable d’ajustement des dépenses publiques. Dès qu’une situation imprévue se présente et que l’on a besoin de faire un arbitrage, c’est au niveau de l’investissement que l’on opère les coupes. Le choix des investissements est fait en fonction du budget disponible après arbitrage. Ce qui pose un problème au niveau de la quantité des investissements mais aussi au niveau de la qualité. L’effort d’investissement est en effet faible et peu soutenu.
La baisse des investissements a été observée parce que les arbitrages ont été faits sous la pression sociale ou politicienne qui font qu’on n’a pas privilégié les investissements.
A titre d’illustration, en septembre 2013, le président du Faso, qui s’apprêtait à modifier l’article 37 de la Constitution, annonce des mesures sociales d’un montant de 111 milliards FCFA. Une annonce en dehors de la loi de finances. Suite à cette annonce, le ministre des Finances a envoyé une circulaire à tous les ministres afin de suspendre le financement des plans d’investissement et de dégager des ressources pour financer ces mesures sociales. En mars 2014, le même exercice a été reconduit.
Ces pratiques ont été très courantes sous le mandat du Président Kaboré.
Comment éviter tout cela ? La proposition est la mise en place d’un comité d’experts qui évalue le budget (comité budgétaire comme proposé par la Commission des réformes en 2015) et donne un avis public avant qu’il passe à l’Assemblée nationale. Cette démarche donne la possibilité aux citoyens de comparer les taux d’allocation des efforts fiscaux du pays à l’investissement et au fonctionnement. La publicité faite sur l’évaluation des experts fait augmenter le coût politique du vote d’un budget inadéquat.
Ce déséquilibre des dépenses courantes par rapport aux dépenses d’investissement ne crée-t-il pas des inégalités entre Burkinabè ?
L’investissement public est en effet un des moyens pour réduire les inégalités. Il est une demande de tous les Burkinabè. Les citoyens veulent la connectivité de bonne qualité, ils veulent des routes de qualité, des maternités, de l’éclairage public, de l’eau, etc. Pour en disposer, une partie substantielle des ressources publiques doivent revenir à l’investissement. Le pays a une population qui double chaque 25 ans. La première chose à faire est d’investir pour ne pas être en retard par rapport au croît démographique.
Il est important de considérer que l’investissement a une valeur stratégique, car il est la variable la plus importante dans la croissance économique et dans la satisfaction de la demande socioéconomique de la majorité de la population.
Faut-il donc une constance dans l’investissement public ?
Non seulement il faut augmenter l’effort d’investissement public pour l’amener à un niveau 2 fois plus important de façon soutenue, mais il faut aussi discuter des choix d’investissement par rapport aux choix politiques. L’investissement public va au-delà des allocations et se préoccupe de l’effectivité de la réalisation de l’infrastructure. On peut l’utiliser comme outil de rente économique ou politique en décidant, par exemple, qu’une infrastructure publique soit érigée juste pour en tirer un intérêt économique personnel ou politique.
La conséquence, ce sont les éléphants blancs dans certains lieux. Ces éléphants blancs sont des infrastructures gigantesques dont les chantiers ont été abandonnés comme la Société de transformation des fruits et légumes (STFL) à Ziniaré. Cette société aurait pu être plus utile ailleurs dans une zone où le potentiel agricole est plus important afin de réduire les couts de transport et les couts d’accès à l’information.
L’investissement public crée un support pour l’investissement privé. Dans la ville de Ouagadougou, les plus belles routes sont prises d’assaut par le privé et la prospérité économique est visible, ce qui crée de la croissance et réduit les inégalités.
La crise du capital humain est l’un des défis. Quel lien peut-on faire entre éducation, santé, culture, sport ?
Ce que l’étude qualifie de crise du capital humain est un défi qui vise à faire en sorte que les hommes et les femmes soient dans un meilleur bien-être et aient de meilleures capacités de production et d’épanouissement.
Education, santé, culture, sport sont des choses liées. Le système de santé est orienté vers les soins au détriment d’une politique de prévention systématique et d’envergure. Sous la révolution, la politique de santé du Président Thomas Sankara accordait la priorité à la prévention, à travers le sport de masse et la salubrité par exemple.
L’explosion des maladies cardiovasculaires est liée au mode de vie.
Il y a aussi le fait que dans le budget du secteur de la santé, l’essentiel des ressources est utilisé pour payer des salaires et peu pour l’entretien du matériel et l’investissement. Un excellent médecin qui n’a pas d’équipement ne peut pas être très efficace. Au Burkina, la prise en charge des évacuations de quelques centaines de personnes chaque année coûte plus cher que le budget alloué à l’hôpital Yalgado, le plus grand du pays.
Le deuxième volet du capital humain est l’éducation. Plusieurs personnes ne vont pas à l’école. Même ceux qui y vont, tous ne terminent pas les études. Ceux qui en sortent ont un problème de qualité de formation.
«L’éducation est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir d’une nation», selon le Pr Joseph Ki-Zerbo. Si le logiciel est en panne, le pays aura des problèmes. Dans ce pays, on forme en masse dans les hommes de lettres, des juristes, des économistes, des historiens mais pas suffisamment sur les formations professionnelle et technique. Du reste, la pénurie de compétences réelles demeure même dans les secteurs favoris de la formation, en raison de la faible qualité.
L’articulation entre l’éducation et la culture est négligée. L’école burkinabè doit être le lieu où on enseigne le théâtre, les arts, les contes, les danses et les lettres. Cela constitue la meilleure politique culturelle, car elle crée de façon certaine les marchés de demain.
La perspective de FREE Afrik sur l’emploi est de prendre le problème en amont. Si les gens sont bien formés dans les secteurs où les besoins sont pressants, les politiques de l’emploi sont facilitées. S’ils sont mal formés dans des secteurs où le besoin n’est pas très grand, les politiques de l’emploi vont s’épuiser en aval à faire des choses impossibles. La qualité de l’éduction est la clé pour l’employabilité. Mais en même temps qu’on forme, il faut une éthique du travail, c’est-à-dire une incitation de la société à être des travailleurs. La corruption, l’enrichissement illicite créent un environnement qui n’incite pas au travail. Cela engendre les prétentions illégitimes.
Comment mobiliser des ressources pour financer le développement ?
Pour investir, il faut d’abord mobiliser ses propres ressources avant de mobiliser les ressources ailleurs. Si un pays est en capacité de mobiliser ses ressources propres, les ressources extérieures arriveront.
Le système fiscal du Burkina Faso a plusieurs problèmes dont premièrement, la faible capacité contributive. Le niveau de pauvreté fait que de nombreux Burkinabè ne peuvent pas payer l’impôt. Si ces personnes sortent de la pauvreté, elles contribueront.
Deuxième problème : le consentement à payer l’impôt. Une personne peut avoir la capacité de payer mais ne veut pas payer parce qu’elle ne voit pas l’impôt travailler au bénéfice de la Nation. Un Etat modeste est un Etat modèle. Si cet Etat arrête de payer des voitures à des dizaines de millions FCFA, il sera plus crédible aux yeux des contribuables. On ne doit pas non plus avoir des gouvernants qui ont des problèmes avec la fiscalité. L’exemplarité crée un consentement plus important à payer l’impôt.
Mettre l’accent sur le quitus fiscal ?
C’est une des recommandations de l’étude qui veut que tout candidat à une élection montre qu’il est en règle avec l’administration fiscale. Une autorité qui prétend délibérer sur l’utilisation de l’impôt doit être en règle, sinon il n’est pas légitime.
Le dernier défi est la capacité de l’administration à collecter l’impôt. Des contribuables veulent payer leur impôt mais s’entendent dire qu’il n’y a pas de réseau par exemple. L’administration fiscale a besoin de se mettre aux normes et pour cela, il faut qu’elle dispose d’un outil fondamental qu’est le cadastre qui est l’état civil du foncier et de l’immobilier. Sans le cadastre, comment lever les impôts sur ces patrimoines ? Alors que l’essentiel des richesses de ce pays se trouve dans la terre et non pas en banque. Pour imposer les parcelles, il faut les connaitre. Cela va même freiner l’élan vers la spéculation foncière.
La capacité du pays à mobiliser ses ressources propres a permis de réaliser les cités de la Révolution dans les chefs-lieux de province.
L’étude dit que le Burkina Faso fait une fixation sur l’aide publique au développement…
L’aide publique au développement est constituée de dons et de prêts qu’il faut rembourser. Il est important et pédagogique de rappeler cela. Lorsque l’on laisse croire que c’est un don, le citoyen n’a pas incité à l’appropriation et à la protection de l’infrastructure. Il faut de la franchise dans le discours politique à ce niveau.
La littérature sur l’efficacité de l’aide est très controversée. Nulle part dans le monde l’aide publique au développement n’a servi à développer un pays essentiellement.
Les pays qui dépendent de l’aide ont des problèmes de programmation budgétaire, parce qu’ils sont tenus par les partenaires. Si ceux-ci connaissent des perturbations, cela se répercute sur l’outil de planification du pays.
L’aide est critiquée parce qu’elle finance des régimes dictatoriaux et alimente l’élite. Elle favorise aussi la fuite des capitaux. Après un appui d’aide dans les pays en développement, on constate une fuite de capitaux vers les paradis fiscaux, comme l’a montré une récente étude au niveau international. Cela montre que l’aide n’est pas utilisée comme il le faut. Il suffit de contrôler la fuite des capitaux pour s’en passer de l’aide. En effet, les fuites de ressources de l’Afrique sont chaque année bien plus importantes que l’aide étrangère.
Comment promouvoir l’investissement privé national dans le secteur minier et l’appropriation de l’économie par les nationaux ?
La fixation sur l’investissement direct étranger mérite qu’on la questionne, parce que sa rentabilité pour l’économie nationale relève d’un méga-mensonge. On a des investisseurs étrangers, des sortes de « développeurs » qu’il faut appeler pour qu’ils gèrent les rails, les mines, etc. On fait croire que le privé national est congénitalement incapable d’en faire autant. Alors qu’il suffit d’avoir une politique de soutien au secteur privé, surtout dans l’industrie minière. De nombreux pays ont protégé des secteurs stratégiques pour les locaux en les aidant à se mettre aux normes. On dit que la mine industrielle est compliquée alors qu’elle n’est pas inaccessible aux nôtres. Une partie de l’activité minière est la carrière qu’on peut réserver à 100% aux nationaux qui y excellent depuis 50 ans. Il nous faut des champions nationaux dans le secteur. Mais entendons-nous bien, on dit bien champions nationaux, pas des pions familiaux ou amicaux.
Les bénéfices des privés locaux restent dans le pays. Il faut aussi faire en sorte que les mines achètent au niveau local, y compris en matière de financement, les assurances, la restauration, etc.
Cet investissement étranger est accompagné d’avantages sur le régime fiscal. N’y a-t-il pas lieu de se questionner sur l’efficacité de ces exonérations ?
Vous touchez un gros problème de la fiscalité nationale. Les acteurs nationaux ont moins d’avantages qu’un investisseur qui vient de l’extérieur pour investir ici et ramener tout le bénéfice. On ne peut pas comprendre la rationalité de ces politiques publiques inversées. Par exemple, on nous a fait croire qu’il fallait un Code minier alléchant pour attirer les investisseurs. Celui de 2003 était le plus généreux d’Afrique, mais en réalité, la variable clé qui a attiré les investisseurs dans le secteur minier est bien le cours de l’or. ^On a indispensablement besoin de protéger et d’organiser le secteur privé local avec un minimum d’accompagnement. o
Propos recueillis par Elie KABORE
Encadré
Les défis selon FREE Afrik, novembre 2020
• La concurrence pour les ressources en raréfaction : la double crise environnementale et démographique
• Désamorcer la bombe foncière et ré-gouverner l’urbanisation
• Combattre les inégalités, assurer le bien-être des majorités
• Soutenir l’effort d’investissement public
• La crise du capital humain (éducation, santé, culture, sport)
• Mobiliser des ressources requises pour financer le développement
• Promouvoir l’investissement privé et l’appropriation de l’économie nationale
• Renforcer la démocratie en lui donnant des fondements solides
• Bâtir et mobiliser une administration au service des populations
• Le défi de la justice et de la lutte anti-corruption
• Ré-armer la gouvernance contre l’insécurité terroriste et communautaire
• Le défi du leadership de qualité pour changer le pays.o