« Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile » Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, livre II, 40, fin du Ve siècle av.ne
Affirmer que la situation de la nation burkinabè préoccupe plus d’une personne au Burkina comme dans sa Diaspora, ou encore dans le monde, relève de la tautologie. Les arènes politiques, économiques et sociales offrent le spectacle des préposés aux supplices. Les scénarii semblent se succéder, sans interruption, devant des spectateurs, dont le regard livide, rivé sur la même tragédie, semble se complaire dans la répétition de leur propre mise à mort, symbolique et cependant cruellement réelle. Ce faisant, les temps semblent murs pour le spectacle critique et la mise en scène d’autres scénarii. Il ne s’agit pas d’une commodité de changement du roman national, mais d’un impératif historique, à défaut duquel notre peuple disparaîtra ou, au mieux, se retrouvera dans les affres d’un servage renouvelé par ses propres fils et filles. Notre pire ennemi n’est pas toujours l’Autre qu’on désigne, de loin, du doigt. La figure de l’ogre hante la République du Burkina Faso.
Regarder en face
- Un terrorisme interne et externe avec sa litanie de victimes, ensevelies dans des conditions indignes de notre espèce ou en errance, étrangères à leurs droits d’appartenance à un territoire apaisé et à la jouissance de leurs droits citoyens. Ce terrorisme produit des victimes livrées à la faiblesse et à l’incurie d’un Etat dont les mesures inadéquates ne permettent pas le respect du devoir et du droit républicain, la protection des personnes et des biens.
- Un Covid-19 qui vient confirmer, si besoin est, un système de santé plus que précaire pour la préservation du bien-être du plus grand nombre, alors même qu’il ouvre et crée des opportunités de trafic et d’enrichissement illicite en tous genres. La gestion de cette pandémie, exposée à l’infortune nationale, est livrée à la bienfaisance internationale. La faiblesse des mesures curatives, préventives et d’accompagnement sanitaire et sociale a commencé à produire ses effets délétères au plan social et économique. L’économie du sous-développement, survivant de l’aide, ne peut venir à bout de ses propres contradictions devant un tel imprévu.
- Cette économie, livrée par ailleurs à la prédation interne et externe, qui ne jure que par un libéralisme pensé ailleurs pour des acteurs locaux, occulte par conséquent toute inflexion susceptible de frayer les sentiers de l’émancipation. Les affaires et scandales fleurissent, devenant autant de faits divers, alimentant les grains, maquis et salons du pays. Ils inclinent à l’indifférence de nombreux compatriotes, sapent les fondements même de l’Etat. La fusion des acteurs économiques et politiques à la faveur des PPP et autres passe-droits, a fini d’atteler l’économie nationale au cheval des intérêts individuels ainsi qu’à ceux des multinationales ; toutes choses qui alimentent le microcosme politico-oligarchique. En somme, nous baignons dans une économie qui fausse la logique même d’un développement, par une croissance positive aux effets négatifs pour le plus grand nombre. Quelle contradiction !
- Et tout cela a lieu au sein d’un Etat absent qui, par fuites en avant et replis successifs, fait le tri dans le désastre général engendré par le terrorisme, le banditisme, les groupuscules armés et autres avatars du désordre social, plaide pour une vraie-fausse fin de la guerre, mais finit par créer un sentiment d’impuissance et de défaite au sein de toutes les couches populaires et des forces de défense et de sécurité. Dans ce climat délétère, les priorités électorales semblent défier ces imprévus désastreux de notre histoire récente et aveuglent plus d’un citoyen, à commencer par la classe politique, sur les réalités cruciales de la société burkinabè, au bord de l’implosion.
- En effet, des élections pour le 22 novembre 2020 se préparent dans un climat d’incohérence absolue. La priorité est-elle de ce côté-ci ? Le peuple serait-il juste devenu une variable d’ajustement électoral, livré dès le début du processus électoral au jeu ordinaire et traditionnel de la fraude prématurée, de l’achat à bas coût des consciences en survie, des vies en sursis, par des espèces sonnantes et trébuchantes, sacrifiant ainsi, par ces pratiques politiciennes, toute vertu démocratique sur l’autel de résultats connus d’avance. Le formalisme institutionnel ne saurait être ni une panacée, ni un but en soi, tant il repose sur un déficit abyssal de gestion démocratique et républicaine. L’Histoire nous enseigne que la chute des nations commence souvent dans la confusion des genres et des méthodes en matière de gouvernement, alimentée par une absence de vision et des fuites en avant devant la réalité. Elle se fait précéder par l’abandon du plus grand nombre à son sort, parfois devant l’indifférence de ceux qui peuvent et doivent pouvoir dire non, proposer et organiser une autre vision. Le Burkina Faso répond à ces critères. Ce qui n’est pas rassurant.
- La majorité de nos compatriotes vit sous les fers croisés d’une débâcle politique, économique et sociale. Une population, en partie lâchée – en déshérence, – qui a totalement perdu confiance en ses dirigeants. Une population transformée par certains côtés en spectateur de sa propre tragédie ! Une population recroquevillée, comme pour éviter sa descente aux enfers. Fermer les yeux n’empêche pas la profondeur de la chute. Hélas ! Une population qui espère une La métamorphose de notre destin commun dans l’imploration tous azimuts d’une Providence devenue sourde et muette ne semble pas non plus sortir notre nation de l’ornière et de ces difficultés devenues systémiques, voilà quelques décennies.
Tous les indicateurs sont au rouge au Burkina Faso.
Alors, des spécialistes de l’intérieur et de l’extérieur rivalisent d’adresse dans les constats, analyses et recettes thérapeutiques dans tous les domaines.
Cependant, des initiatives populaires, ininterrompues, de résistance citoyenne face aux multiples défis existent. Cette résistance populaire, portée par des organisations politiques, syndicales, paysannes, de femmes, de jeunes et de la société civile, toutes résolument engagées, témoigne de la volonté et de la détermination du peuple burkinabè à triompher des défis qui jalonnent son histoire. Cette résistance est visible dans toutes les couches laborieuses, urbaines et rurales et en particulier, au sein de la jeunesse dans son ensemble. Elles refusent toutes de s’abandonner à une fatalité dans laquelle les incline la gestion actuelle du pouvoir. Cette résistance face à la perpétuation d’une gouvernance qui, depuis quelques décennies, sape les fondements d’une nation démocratique et tourne le dos aux générations actuelles et futures, synthétise, à travers ses initiatives, les questions prioritaires, posées et à résoudre, dès maintenant et sans délai.
L’élan populaire de révolte sourde et insurrectionnelle s’amplifie. Il nous enseigne que le temps de la « critique ajustée et feutrée », critique consensuelle et lâche, qui se nourrit d’un activisme intéressé et impropre à un changement qualitatif de notre situation nationale est révolu. Il est temps en effet d’opérer une véritable rupture, devenue vitale, si nous voulons éviter tout simplement de disparaître, comme peuple et comme nation. Se contenter d’observations regrettables des maux qui minent notre société s’apparente à une démission.
Rompre avec la connivence ou la démission paisible
Si la tolérance constitue une vertu, il est des moments dans l’histoire des humains, en l’occurrence celle qui a cours au Burkina Faso, où elle incline à la connivence pour un statu quo insoutenable, en somme, à un renoncement à occuper simplement sa place dans l’espace public, comme citoyen à qui incombe aussi la contribution pour une nation juste et démocratique, viable pour tous.
L’avenir dont rêve la majorité des citoyens et démocrates burkinabè, moins austère, l’horizon que nous scrutons chaque jour pour tenter d’y voir des lueurs de notre progrès et de notre émancipation ne peuvent se réaliser tant que nous nous contenterons d’être juste de « bons citoyens », se tenant à l’écart du tumulte, des questions nationales complexes, loin de turbulences sociales. Notre place ne consiste pas à sauver juste notre tête et celles de nos proches, parents et amis. Face aux promesses électorales en tous genres, notre avenir ne consiste pas à « attendre de voir… ». Le silence de nos colères légitimes et convictions contrariées doit se libérer des calculs électoraux conduisant à des paix sociales factices. Cette libération sonne le temps d’une rupture à assumer dans le respect de notre droit à une vie meilleure pour tous.
Par ailleurs, une attitude de retranchement d’une partie de nos compatriotes dans une Providence constitue un exutoire à bas coût, alimenté par la capacité de résilience, célébrée par monts et par vaux, pour les laissés-pour-compte de notre histoire nationale. Il est improductif de scander la fin de toutes nos souffrances actuelles dans un temps apocalyptique. Ces postures alimentent les illusions d’une réelle émancipation, consolident le statu quo dont nous devons cependant sortir. Notre salut ne dépend que de nous.
Notre capacité à comprendre cette situation nationale devenue intolérable doit nous faire sortir de cette attitude défensive, en refusant de nous mouler dans le consensus mou et la critique ajustée. Nous devons nous mettre définitivement sur le chemin d’actions citoyennes concertées, au-delà de tout esprit partisan.
Pour ce faire, agissons de manière concertée ! Les initiatives sporadiques, bien que louables, ne produisent que des effets de même nature. L’absence de réactivité, d’initiatives et de créativité collective et concertée incline à la condescendance face à la médiocrité ambiante, à l’absence de résultats démocratiques, économiques et sociaux, viables et durables. Cette absence, devenant silence, s’accommoderait de ce respect lâche des formalismes institutionnels, du fétichisme électoral, qui confortent le jeu de dupes, à l’instar de ces élections imminentes du 22 novembre 2020.
Ne rien faire mettrait non seulement en péril la fragile petite place que nous tentons d’occuper sous ce soleil brumeux du Burkina Faso. Mieux, cela conduirait la nation tout entière dans les décors de l’Histoire. Ne rien faire, c’est accepter que le soleil, chaque jour, s’éteigne un peu plus sur nos vies de citoyens, par ce jeu de massacre de nos aspirations à une vie meilleure, des vies livrées au libéralisme sauvage, à la violence insoutenable d’un terrorisme interne et externe, à une gouvernance qui va a volo. Alors, ta place t’attend !
S’engager en citoyen conscient et en démocrate
Il s’agit impérativement d’entreprendre et d’inventer ensemble, une société juste, avec un esprit critique, conséquent et audacieux.
Après avoir vu et compris, il nous faut désormais nous armer de courage et poser des actes qui mobilisent résolument notre peuple et sans complaisance sur des lignes propices au changement qualitatif de la nation.
L’engagement de celles et ceux qui ont compris les maux de notre société burkinabè n’est pas un confort de citoyenneté. Au-delà des contraintes et pressions en tous genres, il est un devoir envers notre peuple, devant l’Histoire nationale, régionale et universelle (mondiale), en vue d’initiatives pour le relèvement de la nation tout entière.
Cet engagement est indispensable, parce que vital. Il doit être sans concession sur des valeurs de vérité, de justice et de courage pour le changement social véritable, au bénéfice de tous. Il est inséparable de l’aspiration légitime de chaque Burkinabè à vivre dans la dignité. L’intégrité dans l’action dont nous devons faire preuve n’est pas une chasse gardée de bienséance. Elle est une valeur à forger en chacun de nous et à partager avec notre peuple qui doit aussi la reconquérir, la défendre, et en faire le socle de notre construction commune. La vérité et la justice ne sont pas seulement de belles notions pour des repus de beaux discours. Elles doivent aussi prendre place dans les faits et gestes de chaque citoyen, de chaque acteur de la démocratie, de chaque acteur de cette nation.
Cher compatriote, citoyen et démocrate,
Le temps est révolu de te laisser parasiter l’espace public national par de funestes promesses et des chimères.
L’heure est venue de chasser l’ombre, sous toutes ses formes, pour faire place à la lumière.
Là est ta tâche, comme fille et fils du Faso.
Un autre Burkina ici et maintenant ne se construira pas sans toi, sans nous.
Didier OUEDRAOGO
Philosophe