Le conflit qui oppose Prosat, société dont Eddie Komboïgo est l’associé majoritaire, à la chaîne de péage de Canal +, vient de rebondir devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) à l’initiative de la défense de la société, filiale du groupe Vivendi dont Bolloré est actionnaire a 26,28%. En cassation devant la Cour d’appel de Ouagadougou, le délibéré avait confirmé le premier jugement en faveur de Prosat.
Canal + a formulé un pourvoi qui repose sur la violation de certaines dispositions de l’OHADA. C’est ainsi que la Cour a renvoyé le dossier devant le CCJA. Désormais, c’est sur les bords de la lagune Ebrié, en Côte d’Ivoire, que la société de distribution de chaînes payantes entend faire valoir ses droits, comme le prévoit toute procédure judiciaire dans la sous régions, estimant que ceux-ci n’ont pas été respectés lors des procédures devant les juridictions du Burkina Faso. Il n’y a pas que cela.
Une autre procédure contre Eddie Komboïgo
L’associé majoritaire de Prosat, Eddie Komboïgo, fait l’objet d’une autre procédure en lien avec ce dossier devant le tribunal judiciaire de Nanterre en France. Selon une source proche du dossier, il est reproché des fautes commises personnellement par l’actionnaire de référence de Prosat qui aurait instrumentalisé la Justice afin d’arriver à ses fins.
Le conflit s’exporte donc avec des arguments du côté de Canal + qui laissent croire que le traitement du dossier n’est pas exempt de suspicion. L’objectif de la défense est de faire juger ce dossier en terrain neutre hors des pesanteurs locales
La preuve, avant ces rebondissements : la lettre ouverte adressée au Premier ministre par Ayme Makuta, Directeur général de Canal+ Burkina le 24 avril 2019, missive dans laquelle il dit avoir « de fortes présomptions d’irrégularités dans le traitement de notre dossier qui rend notre défense extrêmement difficile, voire impossible ». Une accusation pour le moins grave quant au respect des droits de la défense, allant jusqu’à demander qu’une Commission de déontologie puisse être saisie aux fins d’enquête sur le dossier. Tout récemment, les Avocats de Canal + ont attiré l’attention des hautes autorités du Burkina sur la protection des investisseurs privés dans le pays.
Canal+ dénonce des dysfonctionnements du système judiciaire burkinabè
Dans la mise en demeure adressée à l’Etat du Faso, Canal + dénonce ce qui semble à ses yeux être des dysfonctionnements du système judiciaire burkinabè qui, en regardant de plus près le déroulement judiciaire de cette affaire, semble avoir fait le jeu d’un acteur local au détriment du droit et des faits d’un dossier. Canal+ Burkina estime, par ailleurs, que les investissements réalisés au Burkina ne sont pas suffisamment protégés. C’est ainsi que, pour elle, la responsabilité de l’Etat est, à cet égard, engagée. Au-delà de ces considérations, Canal+ Burkina conteste même le jugement, estimant que la Cour d’appel s’est trompée en droit comme en fait dans ce dossier, pour favoriser les intérêts d’un seul homme qui souhaitait extorquer des sommes importantes à Canal+ Burkina et trouve que les dommages et intérêts accordés à Prosat ne correspondent pas à la réalité. Prosat et Canal+ Burkina avaient conclu des contrats de distribution des Bouquets Canal+. Ces contrats prévoyaient des investissements à faire par Prosat pour développer un réseau de distribution. Ces investissements n’ont jamais été réalisés par Prosat et clame quecette dernière n’a jamais pu distribuer les Bouquets Canal+. C’est pour cette raison que ces contrats ont été dénoncés, étant précisé qu’il s’agissait en tout état de cause de contrats sans exclusivité d’une durée de 1 an reconductible. Il faut rappeler aussi que la procédure de résiliation du contrat a lieu pendant qu’Eddie Komboïgo, responsable de l’ex-parti majoritaire, se trouvait en détention.
Condamné à payer la «perte» éprouvée par Prosat
Dans un premier temps, Prosat n’a pas contesté la résiliation mais a sollicité le remboursement des frais qu’elle avait exposés. Si Canal+ Burkina a contesté le bien-fondé de la position de Prosat, elle a fini par accepter de signer un protocole transactionnel. Ce protocole avait été discuté avec le gérant de Prosat, Amidou Nikièma.
Prosat a pourtant remis en cause ce protocole, en exigeant de Canal+ Burkina la compensation d’un préjudice correspondant au chiffre d’affaires qu’elle aurait pu générer sur 6 ans. Faux, soutient la défense qui dit que les contrats étaient des contrats annuels. Le tribunal a cependant reconnu le bien-fondé des prétentions de Prosat, estimant que la résiliation avait été abusive.
Le tribunal avait donc condamné Canal+ Burkina au paiement de sommes de 92.378.880 francs CFA à titre de la perte éprouvée, 3.335.668.103 francs CFA à titre du gain manqué et 2.000.000 à titre de frais exposés et non compris dans les dépens. Une somme jugée fantaisiste, et sans lien avec les bénéfices que Prosat aurait pu escompter (si elle avait fait les financements attendus, ce qui n’a pas été le cas) et sans lien avec l’activité globale de Canal+ Burkina. Pour justifier ses demandes, Prosat a produit un plan d’affaires qui n’était pas le plan définitif validé entre les parties, a estimé la défense en son temps. Canal+ Burkina a naturellement contesté ce jugement comme le prévoit la procédure judiciaire.
La Cour d’appel a annulé la déclaration d’appel de Canal+ Burkina en se basant sur un argumentaire que la société de distribution de chaînes payantes conteste, notamment, l’« interprétation erronée » des textes en vigueur (qu’il s’agisse des textes burkinabè ou du droit OHADA). Canal + entend donc faire entendre autrement sa voix dans ce dossier où il joue gros.o
J.B
Dossier politisé ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la contre-attaque de Canal+ tombe plutôt mal. L’actionnaire majoritaire de Prosat, chef de parti au moment des faits, est devenu un candidat à l’élection présidentielle de novembre 2020. Toute chose qui rend le dossier encore plus sensible. Canal + a accusé l’actionnaire majoritaire de Prosat d’avoir employé des « militants de son parti ou tout au moins des gens habillés à l’effigie du parti lors de la saisie effectuée dans ses locaux. Toute chose que dément le parti d’Eddie Komboïgo qui nie tout lien entre cette opération et le parti dans une déclaration publiée dans la presse.o