L’Economiste du Faso : Avec les attaques terroristes et maintenant avec la situation sanitaire défavorable, quel est l’état réel du tourisme burkinabè ? Est-ce qu’il est à genou ou toujours débout ?
Abdoul Karim Sango : (Question directe, le ministre avale une gorgée de son café issu du laboratoire de la maison). Je pense que sans langue de bois, contrairement à une certaine opinion, les chiffres que nous disposons sur l’évolution du secteur touristique ne sont pas aussi alarmants qu’on le pense. Evidemment, tout cela, c’est en comparaison avec la situation qui prévalait avant l’avènement du président du Faso Roch Marc Christian Kaboré au pouvoir en 2015. A priori, lorsqu’on est dans une situation d’insécurité comme celle-ci qui sévit dans les régions de l’Est, du Nord, du Sahel et de la Boucle du Mouhoun, cela peut donner l’impression que le tourisme bat de l’aile, puisque ces zones sont devenues inaccessibles. Si nous prenons le cas particulier de la région de l’Est avec son tourisme de vision et de cynégétique qui drainait du monde, notamment, des expatriés pour faire le tourisme de chasse, cela a pris un coup. L’insécurité oblige. Les statistiques de 2019 montrent une certaine résilience du secteur touristique.
Cette résilience a été adossée à cette opération initiée par mon département dans le but de promouvoir le tourisme local ou interne ; parce qu’un des grands problèmes burkinabè c’est de penser que le tourisme c’est le fait d’aller à l’étranger, ou le fait de personnes qui viennent de l’étranger pour visiter le Burkina Faso. J’aime à rappeler aux uns et aux autres que le premier touriste d’un pays c’est le national. S’il y a quelqu’un qui a intérêt à découvrir notre patrimoine touristique et culturel, c’est le Burkinabè. Prenez les chiffres sur le tourisme en France ou la Chine, nous avons tendance à croire que les visiteurs viennent d’ailleurs, or non, ce sont les autochtones. C’est d’abord le réflexe des nationaux et c’est pourquoi je m’évertue à ancrer cette culture à la population burkinabè à aller visiter le vaste et divers patrimoine touristique du pays. Du reste, le 30 juillet 2020, nous allons rééditer cette opération en lançant le tourisme interne en collaboration avec les hôteliers.
Concrètement, comment tout cela va-t-il se nouer ?
Il s’agit principalement de demander aux hôteliers de faire des propositions de package aux populations. L’idée est qu’il y ait baisse des tarifs hôteliers, y compris le petit déjeuner. En 2019, le ministère avait obtenu une baisse de 25%. J’envisage leur demander de faire une réduction de 50% pour les enfants, étant donné que la Covid-19 touche tout le monde. Toujours en lien avec la crise sanitaire, tous les Etats recommandent le tourisme interne, le dernier en date est celui du Maroc, où le gouvernement invite tous les dignitaires à rester au pays. Le Burkina Faso n’ira pas jusqu’à là, mais exhorte les uns et les autres à visiter chez soi. A côté de cela, il faut tenir compte du pouvoir d’achat de la population, car en moyenne, combien un Burkinabè moyen peut-il consacrer à ses vacances ?
Sur ce, nous devons avoir une approche qui permet de prendre cet aspect en compte. Si vous maintenez les coûts des chambres d’hôtels tels que, les gens iront loger dans des auberges. Une anecdote, en Chine, j’ai logé dans une chambre d’hôtel dont je n’ai jamais eu ce privilège dans un autre pays visité.
Lorsque j’ai demandé le prix, je suis tombé des nues. Les cadres qui m’accompagnaient ont dormi dans des chambres d’hôtels haut de gamme. Donc chez nous, il faut avoir cette approche qui consiste à voir les chambres d’hôtels, malgré leur standing, occupées que vides. Et cela leur permettra de réaliser des bénéfices. L’exemple de Dubaï est aussi patent, ce sont des packages de 10 jours, dont frais d’hôtels et le billet d’avion y compris. C’est vrai qu’ici, les hôteliers font face à des charges qui coûtent encore cher : eau et électricité. Nonobstant tout cela, le tourisme constitue 10% du PIB mondial.
Au Burkina Faso, nous devons comprendre que c’est un secteur stratégique et porteur. Tout en développant la filière or, nous devons utiliser les ressources financières du métal jaune pour développer le tourisme et d’autres secteurs. Car, le rapport de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) indique qu’un des secteurs à forte croissance continue sur ces 5 dernières années est le tourisme. Mieux, le secteur est pourvoyeur d’emploi et créateur de valeur ajoutée.
Toujours dans le souci de booster le tourisme, vous avez lancé, en début 2019, le « Prix national de l’entrepreneur touristique », où en êtes-vous avec cette initiative?
Cette initiative a pris du plomb dans l’aile, en raison de la situation du pays. L’idée est vraiment d’encourager les bons modèles dans l’entrepreneuriat touristique (tous les acteurs intervenant dans le développement de la filière). Il s’agit de mettre davantage en valeur ceux qui se distinguent, parce que l’un des défis du secteur, c’est la qualité du service offert. Au Burkina Faso, vous avez des entrepreneurs touristiques mais ce n’est pas leur activité principale, donc ce ne sont pas des vrais professionnels. Ce qui fait que les exigences en termes de qualité ne sont pas leur tasse de thé. Un hôtel, ce n’est pas que le bâtiment mais une qualité de service. Le Prix national de l’entrepreneur touristique a pour finalité de donner de la visibilité et pousser les autres à la qualité.
Qu’en est-il du projet E-visa ?
Depuis que je suis au gouvernement, c’est un combat que je mène. Car, nous avons une procédure d’accès au visa compliquée.
La Banque africaine de développement (BAD) avait effectué une étude intéressante sur les avantages du E-visa qui consiste pour toute personne à l’extérieur du Burkina Faso, à aller sur une plateforme, remplir un certain nombre d’informations, demander le visa et s’acquitter des frais afférents, une fois à l’aéroport de Ouagadougou, les services compétents lui apposent son visa sur la base du papier retiré de la plateforme. L’avantage est que le pays ne dispose pas de représentations diplomatiques dans tous les pays. Mais nous y travaillons de concert avec le ministère de la Sécurité, des Finances et celui des Affaires étrangères. C’est un dossier qui a reçu le soutien du Premier ministre. Sinon, la plupart des pays voisins sont passés à ce modèle, le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Lorsque vous regardez le tourisme dans ces pays, les chiffres sont encourageants.
Face aux conséquences de la Covid-19, le gouvernement burkinabè a pris des mesures pour soutenir tous les secteurs d’activités, y compris celui du tourisme. Pouvez-vous revenir là-dessus ?
Dans le discours du chef de l’Etat le 2 avril 2020, vous constaterez qu’un des aspects sur lequel il s’est appesanti est celui du tourisme ; parce qu’à l’évidence, c’est l’un des secteurs les plus affectés. Passez devant un hôtel ou un restaurant, vous y verrez la réalité du terrain. Déjà que les frontières sont fermées, perte énorme pour les hôtels. Avec les limitations de distance, pas de spectacle, pas de cinéma, ni de concert.
Il y a eu un certain nombre de mesures prises, notamment, la réduction de la TVA qui était passée de 18% à 10%, la taxe patronale. Pour revenir sur la TVA, je m’aligne sur la directive de l’UEMOA qui demande aux Etats de ramener à 10% pour encourager les gens à aller se restaurer dans les hôtels et restaurants. Il faut une TVA spécifique comme au Sénégal et en France, cette disposition qui touche le secteur de l’hôtellerie et du tourisme a été proposée dans la loi de finances rectificative. Il y a une mesure plus structurelle, vu que les hôteliers font partie des PME, elles vont bénéficier des lignes de crédits avec le Fonds de relance économique (100 milliards FCFA). Les hôteliers, eux, avaient souhaité que le gouvernement les aide à contracter des prêts bancaires à des taux acceptables, pour faire des investissements en vue de faire face à l’après-Covid. Le gouvernement a pris l’engagement de prendre en charge 70% des charges salariales et cela, conformément à la loi.
Le tourisme s’attaque souvent à certains sites culturels (cas du Mali), avez-vous connaissance de tels cas au Burkina Faso ?
Sur ce volet, non. A part les attaques terroristes contre des hôtels et restaurants sur l’avenue Kwamé N’kruman. Mais il faut préciser que le gouvernement burkinabè a fait beaucoup d’efforts en termes de stratégies sécuritaires, de renseignements, toute chose qui permet d’anticiper. Nous notons que dans la partie Est du Burkina Faso, nous avons des auberges logées dans des campements qui ont essuyé des attaques. Des crédits ont été mobilisés et au moment venu, nous allons les réhabiliter. o
Propos recueillis par Ambéternifa Crépin SOMDA