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Réforme monétaire de l’UEMOA: aucun impact immédiat pour les banques

Le 21 décembre 2019, Alassane Dramane Ouattara, président en exercice de l’UEMOA, annonçait 3 décisions impliquant le changement du nom de la monnaie Franc CFA en Eco, lorsque les pays de l’UEMOA intégreront la nouvelle zone Eco de la CEDEAO.
Il s’agit de l’arrêt de la centralisation des réserves de change au Trésor français ; de la fermeture du compte d’opérations et le transfert à la BCEAO des ressources disponibles dans le compte ; et du retrait de tous les représentants français dans les organes de décision et de gestion de l’UMOA (Conseil d’administration de la BCEAO, Commission bancaire et Comité de politique monétaire).
Depuis cette annonce, les supputations vont bon train sur ces réformes au sein de l’Union. Une première réponse est venue de la part de l’agence Fitch Ratings. Dans son rapport sur les réformes monétaires au sein de l’UEMOA, l’agence explique que celles-ci «sont essentiellement symboliques». Plusieurs secteurs ont fait l’objet d’évaluation par l’agence. Il s’agit, entre autres, des banques, des institutions régionales.
L’agence donne aussi son point de vue sur le passage à un régime de taux de change flexible. Pour l’agence, les réformes prendront effet une fois les accords officiellement signés, ce qui est prévu plus tard en 2020. Elles comprennent trois éléments: le franc CFA d’Afrique de l’Ouest sera désormais appelé «Eco» dans l’UEMOA; la Banque centrale régionale, la BCEAO, ne devra plus déposer au moins 50 % de ses réserves internationales sur son «compte d’opérations» auprès du Trésor français; et la France ne sera plus membre du Conseil d’administration ou du Comité politique monétaire de la BCEAO, ni de la Commission bancaire régionale. Autres conséquences : l’accord maintiendra l’ancrage à l’Euro au même niveau de parité (ECO655.957 par EUR1), et la convertibilité à l’Euro garantie par le Trésor français.

Aucun impact immédiat sur le risque de marché pour les banques

Les banques de l’UEMOA seront-elles touchées par les réformes annoncées ? Dans son rapport, Fitch Ratings Ltd., agence de notation financière internationale, rassure qu’il n’y aura «aucun impact immédiat sur le risque de marché pour les banques».
Et d’expliquer que les banques de l’UEMOA prêtent et collectent des dépôts presque exclusivement en francs CFA /Eco, «et nous estimons que la réforme monétaire n’aura aucun impact matériel sur cette pratique tant qu’il n’est pas question de la suppression de l’ancrage Euro/Eco».
Selon l’agence, « tant que la confiance dans le change est maintenue, nous n’attendons pas d’envol de dépôts. La conversion des dépôts dans d’autres devises étrangères, par exemple le dollar américain, doit être accompagnée d’une justification claire de la conversion, et nécessite une approbation règlementaire ».
À la vue de ces préalables, Fitch considère que l’exposition des banques au risque de change est généralement assez bien contenue, bien qu’elles puissent faire face à des difficultés périodiques d’accès aux dollars, par exemple, dans le cadre avec le règlement des opérations de financement du commerce.
L’abandon à l’ancrage n’est possible qu’à long terme
Le transfert de toutes les réserves de change de l’UEMOA à la BCEAO ne modifie pas fondamentalement les risques de liquidité de la région. Fitch considère que les rapports de la BCEAO sur les réserves sont crédibles et s’attend à ce que les politiques économiques continuent à soutenir le niveau actuel des réserves internationales. Il existe néanmoins un risque que la BCEAO soit affectée par la perte de son accès actuel aux taux d’intérêt préférentiels sur ses dépôts auprès du Trésor français. «Nous pensons que des modifications plus substantielles du régime de change, telles qu’un abandon de l’ancrage, ne sont possibles qu’à long terme», peut-on lire dans le rapport.
Le transfert de l’ensemble des devises de l’UEMOA à la BCEAO ne change pas fondamentalement les risques de liquidité de la région, poursuit Fitch. Pour l’agence, la réserve de la BCEAO est crédible. Toutefois, dans le cadre du nouveau dispositif, la BCEAO ne peut plus bénéficier des taux préférentiels payés par le Trésor français pour les réserves de change placées dans le «compte d’opérations», qui peuvent conduire à une réduction des recettes de la Banque centrale.
Depuis 2015, dans un contexte de taux d’intérêt bas à la BCE, le Trésor français a accepté de payer un taux minimum de 0,75 %, bien supérieur à celui de la BCE, taux actuel de la facilité de prêt marginal de 0,25%.
La garantie fonctionne actuellement comme une facilité de découverts qui sont accessibles si les réserves mises en commun de l’UEMOA sont épuisées. Le mécanisme de garantie se veut exceptionnel et n’a été appelé qu’une seule fois, avant la dévaluation du franc CFA en 1994.

Passage à un régime de taux de change flexible peu probable
«Il reste peu probable que l›UEMOA passe à un taux de change flexible à moyen terme», affirme le document de Fitch Ratings. Pour l’agence, cette flexibilité a été un point d’ancrage important pour la stabilité macroéconomique dans la région. «Si d’autres réformes devaient être mises en œuvre, nous devons nous attendre à ce qu’elles se produisent à plus long terme, avec une forte incertitude concernant un calendrier potentiel pour les changements à venir», prévient le rapport. Alors qu’un taux de change flexible pourrait faciliter l’absorption des chocs, la transition conduirait à des risques accrus de l’instabilité économique et une plus grande volatilité de l’inflation. Pour Fitch, un taux de change plus flexible du F CFA entraînerait une plus grande volatilité des taux de change. Si elle devait disparaître ou être altérée à long terme, elle pourrait augmenter les risques de liquidité, mais cela dépend des circonstances particulières de l’ajustement.
La CEMAC pourrait suivre le mouvement à moyen terme. Les réformes de l’UEMOA ne s’appliquent pas aux pays d’Afrique centrale (CEMAC), qui font partie de la zone franc. Sa monnaie, le franc CFA d’Afrique centrale, est également rattachée à l’Euro au même taux de change que le Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest. Plusieurs chefs d’État de la région ont annoncé qu’ils allaient entamer des discussions sur une réforme de leur accord monétaire avec la France, et Fitch suppose un accord similaire en termes de réformes symboliques comme celles de l’UEMOA à moyen terme.

Impact neutre sur les institutions régionales
Fitch évalue trois institutions supranationales dans la région : la Banque africaine de développement (BAD, AAA/Stable), la CEDEAO, la Banque pour l’investissement et le développement (BIDC; B+/Négatif), et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD; BBB/Stable), qui est détenue à 47% par la BCEAO. Les récentes réformes symboliques annoncées par l’UEMOA « auront un impact limité sur ces institutions, bien que de plus amples informations sur les modifications techniques seront nécessaires pour compléter notre évaluation ».
Le bilan de la BOAD est libellé en francs CFA/Eco, mais elle a une importante position non couverte en euros: 81% de sa dette est libellé en euros, tandis que tous les actifs sont en francs CFA/Eco.
Le maintien de l’ancrage à l’Euro et la garantie de convertibilité de l’Eco vers l’Euro, ainsi que notre espoir que les politiques économiques continueront à soutenir le niveau des réserves de la BCEAO dans notre scénario de base, limite le risque de dévaluation, ce qui constituerait une menace majeure pour l’institution.
Toutefois, la notation de la BOAD repose sur le soutien de son actionnariat, dont le plus important est la BCEAO. La BCEAO peut être affectée par le nouvel accord monétaire, en particulier, avec en ce qui concerne les recettes qu’elle tire de ses réserves, comme indiqué ci-dessus. Cela peut être compensé par une réorientation de la composition des actifs des réserves vers des échéances plus longues ou des placements plus risqués.
Selon Fitch, il est trop tôt, à ce stade, pour évaluer l’impact sur la situation financière de la BCEAO. «Nous ne nous attendons pas à ce que la BIDC soit affectée par la nouvelle, même s›il s›agit d›une institution de la CEDEAO et qu’elle a une exposition importante au franc CFA/Eco non couverte, car la dévaluation n’est pas intégrée dans notre scénario de base. En outre, ses opérations sont principalement libellées en dollars».
La BAD n’est pas considérée comme une institution de l’UEMOA ou de la CEDEAO.

NK


« Il est peu probable que le Nigeria adopte l’Eco »

À plus long terme, les petits pays voisins de l’UEMOA, comme le Cap-Vert (B/Positive) ou la Guinée sont les plus susceptibles de satisfaire aux critères de convergence et faire preuve de volonté politique pour adopter la monnaie Eco. La Guinée a quitté l’UEMOA lorsqu’elle est devenue indépendante en 1958, mais pourrait rejoindre une nouvelle Union monétaire avec des liens réduits avec la France. Si le Cap-Vert devait adopter l’Eco à long terme, cela n’affecterait probablement pas sa notation, puisque l’Escudo est déjà rattaché à l’Euro, et le Cap-Vert bénéficie également d’un soutien à la convertibilité par le biais d’une facilité de crédit limitée fournie par le Portugal. À notre avis, l’intégration potentielle du Cap-Vert ou de la Guinée ne déclenchera pas nécessairement un changement de l’ancrage ou de la convertibilité garantie, soutient l’agence. Les petits pays anglophones tels que la Gambie, la Sierra Leone ou le Liberia sont loin de remplir les critères de convergence à ce stade. Toutefois, ils pourraient éventuellement adopter l’Eco à long terme, s’ils ont atteint les objectifs des critères de convergence de la CEDEAO, compte tenu de leur voisinage avec certains pays de l’UEMOA, notamment, entre la Gambie et le Sénégal. S’ils adoptaient l’Eco, cela n’implique pas nécessairement des modifications de l’ancrage ou de la garantie.
Toutefois, s’ils devaient adhérer avant de satisfaire aux critères de convergence, leur intégration pourrait ébranler la crédibilité lié à l’ancrage, bien que ce ne soit pas notre scénario de base. Même à long terme, il est peu probable que le Nigeria adopte l’Eco, compte tenu de sa taille économique dominante, des obstacles politiques importants et un manque de synergies économiques avec l’UEMOA. Le gouvernement du Ghana a récemment affirmé sa volonté d’adopter l’Eco si le rattachement à l’Euro est abandonné. Cependant, même si l’ancrage est supprimé, pour le Ghana, l’adhésion n’est pas du tout certaine. Dans le cas peu probable où l’adhésion à l’Eco a été étendue au Nigeria ou au Ghana, cela nécessiterait des changements structurels importants au niveau du régime de change.o
Source: Rapport sur les réformes monétaires au sein de l’UEMOA, Fitch Ratings. Janvier 2020


Le projet de monnaie commune en bref

Lancé en 2000, le projet de monnaie commune de la CEDEAO, qui implique les pays de l’UEMOA et sept autres États d’Afrique de l’Ouest, avait été reporté à de nombreuses reprises. En juin 2019, les États membres de la CEDEAO ont convenu d’appeler la monnaie «Eco», d’avoir un taux de change flexible et d’adopter la nouvelle monnaie d’ici 2020 si les membres respectent les critères de convergence.
Les pays de l’UEMOA semblent avoir fait le premier pas. Toutefois, il y a peu de chances que d’autres pays de la CEDEAO les rejoignent à court terme, étant donné la persistance des obstacles politiques, et il est peu probable que la plupart des pays remplissent les critères de convergence en 2020, selon notre scénario de base.

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