Le matériau terre crue, par opposition à la terre cuite, suscite un regain d’intérêt au sein de la communauté scientifique et de l’industrie du bâtiment, après près d’un siècle d’abandon dans de nombreux pays au profit des matériaux cimentaires.
Dans le contexte actuel de réchauffement climatique, un regard de plus en plus critique est porté sur le modèle actuel de construction avec l’utilisation massive du béton de ciment pour tous les types de construction. La production du ciment nécessaire à la fabrication du béton est à l’origine d’émission de CO2 (un gaz à effet de serre) équivalent à près de 80% de sa masse. Ramené aux milliards de tonnes de ciment produit chaque année, on se retrouve avec environ 10% la part du secteur des BTP dans les émissions globales de CO2. De plus, dans la plupart des pays en voie de développement, le clinker (composante principale du ciment supérieur 95%) est importé puis broyé avec d’autres ajouts afin de produire le ciment. Ce qui rend le coût de ce matériau particulièrement élevé pour les budgets les plus modestes.
Au vu de tout cela, des travaux sont réalisés afin de développer des matériaux de construction alternatifs écologiques et économiques au béton de ciment pour des constructions de bâtiments modernes. C’est ainsi que la terre crue s’érige comme candidat sérieux, grâce à ses diverses qualités. En effet, ce matériau est disponible sur la quasi-totalité du globe et est directement accessible aux populations. Il est également recyclable et jouit de propriétés dites hygrothermiques qui lui permettent de réguler passivement la température et l’humidité intérieures, garantissant ainsi une économie en climatisation. Toutes ces qualités ont déjà été mises à profit dans différentes cultures constructives dans le monde, en témoignent toutes les déclinaisons des techniques de construction utilisant la terre crue: adobe ou banco, pisé, torchis, bauge et plus récemment, bloc de terre comprimée (BTC), brique extrudée, etc.
Toutefois, ce matériau doit relever le défi de satisfaire des exigences calquées sur les performances du béton de ciment pour être adopté dans le secteur des constructions de bâtiments modernes. Il s’agit d’avoir des résistances mécaniques suffisantes et surtout d’avoir une tenue à l’eau suffisante pour assurer la pérennité des constructions face aux intempéries.
Afin d’atteindre ces objectifs, la terre crue est stabilisée en y incorporant des liants, tels que le ciment et la chaux qui sont les plus courants pour de telles utilisations. Cependant, des performances mécaniques nettement inférieures à celles des parpaings sont souvent obtenues malgré l’utilisation de quantités de liants plus élevées! Cela pose la question sur la pertinence d’un point de vue écologique et même économique de l’utilisation de la terre crue stabilisée.
Les travaux de thèse menés au sein du Laboratoire de matériaux et durabilité des constructions (LMDC) de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier et de l’INSA de Toulouse (France) ont porté sur la stabilisation de la terre crue avec un faible impact environnemental. Deux approches ont été utilisées.
D’une part, il a été montré qu’avec 2 à 3 fois moins de ciment que les quantités couramment utilisées dans la plupart des stabilisations, des résistances mécaniques équivalentes à celles des parpaings creux peuvent être obtenues. La tenue à l’eau de ces briques de terre crue est de plus suffisante pour des constructions selon les standards de la norme BTC française (NF XP P 13-901) à ce jour.
D’autre part, un intérêt est porté aux techniques ancestrales de stabilisation de la terre crue diverses et variées dans le monde. Elles consistent à ajouter des extraits de plantes ou de molécules d’origine animale (bien souvent des sous-produits agro-alimentaires) à la terre crue afin d’en améliorer la résistance à l’eau. Ces produits sont par hypothèse non polluants pour l’environnement. Parmi plusieurs produits testés, le blanc d’œuf (ovalbumine) s’est distingué par des résultats exceptionnels. A quantité égale à celle du ciment, cette molécule booste la résistance mécanique de la terre crue ainsi que sa tenue à l’eau du simple au double, ce qui permet, de surcroît, d’être largement supérieur aux performances obtenues avec le ciment.
Il a enfin été vérifié que la terre crue conserve ses qualités de confort intérieur malgré la stabilisation.
Bien évidemment, ce mode de stabilisation de la terre crue demeure purement expérimental à ce jour, puisqu’il n’est pas envisageable d’un point de vue éthique d’utiliser cette denrée alimentaire en l’état pour stabiliser les briques de terre crue. En revanche, les travaux en cours visent à transposer les modes d’action de ce produit sur d’autres extraits plus disponibles et moins problématiques, comme des extraits de plantes.
Outre les travaux menés à Toulouse, une collaboration est faite avec des chercheurs de l’Université Nazi Boni de Bobo-Dioulasso, plus précisément ceux du Laboratoire de chimie et énergies renouvelables (LaCER) dirigé par le Professeur Millogo Younoussa travaillant sur la même thématique.
Ce partenariat donne lieu à un échange riche avec des approches variées dans cette thématique globale de vulgarisation du matériau terre crue en vue de constructions confortables, économiques et respectueuses de l’environnement.
Le travail du Docteur Jérémy Ouédraogo
La thèse a été dirigée par le Professeur Aubert Jean-Emmanuel du LMDC, collaborateur du Professeur Millogo Younoussa depuis 2012, et codirigée par Dr Tribout Christelle, Maître de conférences, et le Professeur Gilles Escadeillas, tous membres du jury.
Le jury de thèse a été présidé par le Professeur Millogo Younoussa de l’Université Nazi Boni. Les autres membres du jury étaient :
– Dr Perrot Arnaud, Maître de conférences à l’Université Bretagne Sud-Lorient (Rapporteur) ;
– Pr Saiyouri Nadia, Université Bordeaux 1 I2M (Rapporteur) ;
– Dr Maillard Pascal, Ingénieur de Ester Technopole-Limoges (Examinateur)
Le jury a reconnu le travail de qualité réalisé par Jérémy Ouédraogo, apprécié la qualité de son exposé oral et ses réponses claires et avec conviction aux nombreuses questions posées. Par conséquent, le jury, à l’unanimité, lui a attribué le grade de Docteur de l’Université de Toulouse, délivré par l’Université Toulouse 3-Paul Sabatier.