S’il y a un élément que le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Tchad ont en commun, c’est bien l’insécurité qui, d’une manière ou d’une autre, a réussi à laisser une marque dans chacun de ces Etats.
En effet, en plus des nombreux morts que le phénomène a entraînés, plusieurs autres conséquences sont à prendre en compte. Et cinq chercheurs, originaires des cinq pays, ont décidé de mener une étude sur l’impact de l’insécurité sur l’économie des pays du Sahel.
Réunis à Ouagadougou pour faire un rapport d’étape, ils ont convié le public à une rencontre d’échanges qui a eu lieu dans les locaux de l’institut Free Afrik, acteur chargé de mener l’enquête au pays des Hommes intègres. C’était dans la soirée du lundi 13 mai 2019.
Moins d’investissement au niveau des entreprises
Selon les explications des uns et des autres, deux questions ont guidé cette étude : comment l’insécurité a affecté l’économie, notamment le secteur privé et que faire vis-à-vis de cette situation ? Pour y répondre, les chercheurs ont fait un travail de littérature pour savoir quels sont les travaux qui ont déjà été réalisés sur cette problématique. «Il y en a très peu», a déclaré le Directeur exécutif de Free Afrik, Dr Ra-Sablga Ouédraogo, ajoutant: «Nous avons enregistré plusieurs données secondaires (les recherches de la Banque mondiale, des Agences nationales des statistiques et du secteur privé) sur des aspects précis comme l’investissement. On a fait des enquêtes et la première étape a concerné les focus group dans les structures privées. Il nous reste des questionnaires à administrer».
Le panel a été modéré par Haroun Sidat, point focal Afrique du CIPE (Centre international pour l’entreprise publique), l’organisation internationale qui accompagne cette initiative. Tour à tour, il a posé les mêmes questions aux experts de chaque Etat. De cette manière, les conférenciers ont pu présenter à l’assistance comment le terrorisme a commencé dans leurs pays respectifs, comment il a pris de l’ampleur, le nombre de victimes et la terreur dans laquelle il a plongé la population.
Le deuxième point a concerné les conséquences du phénomène sur la vie économique, et c’est le Burkina Faso, considéré comme étant le plus en avance en termes de recherches, qui a été le premier à se prononcer.
D’entrée de jeu, Dr Ouédraogo a indiqué que l’impact était grand mais difficile à mesurer. «Néanmoins, on constate que certaines structures (BTP, par exemple) ont du mal à exécuter les marchés. Les Mines aussi doivent se protéger. Certains parlent même de construire des bunkers… Leurs primes d’assurance augmentent et ils ont des difficultés à trouver une ressource humaine de qualité», a expliqué l’économiste.
De plus, selon une étude menée par son institut dans le secteur de l’hôtellerie (hôtels, restaurants, maisons d’hôte, auberges, etc.), 93% des enquêtés déclarent une baisse de leur chiffre d’affaires et 48% d’entre eux ont dû renoncer à des investissements pour un montant moyen de 26 millions de francs CFA. La plupart des établissements ont dû acquérir du matériel de sécurité (détecteurs de métaux, portiques de sécurité, etc.) et former du personnel en la matière.
«Un problème politique et non religieux»
Pour Dr Aristide Mabali, les dépenses militaires ont connu une nette augmentation entre 2005 et 2010 au Tchad. Elles sont passées de moins de 1,5% à presque 8% du PIB (Produit intérieur brut), dépassant les sommes allouées aux secteurs vitaux comme la santé. «Également, l’élevage qui constitue au moins 20% du PIB a pris un coup à cause des exactions de Boko haram qui occupait les voies par lesquelles il fallait passer pour l’exportation», a-t-il ajouté.
Quant à Moussa Hamed, conseiller analyste-chercheur, il a surtout déploré les conséquences sur le tourisme mauritanien qui venait d’éclore lorsque le pays a essuyé la première attaque en juin 2005.
«Notre pays est toujours placé dans la zone rouge alors que depuis 2011, nous n’avons plus connu d’attentat. Cette situation affecte la venue des investisseurs étrangers», a-t-il déploré.
Il a, par ailleurs, demandé aux pays de mutualiser leurs efforts pour combattre ce problème qui, à son avis, n’est pas religieux mais politique. A l’en croire, il faut aussi améliorer la collaboration entre le public et le privé qui doit prendre conscience de son importance et développer des emplois pour les jeunes.
Un point de vue partagé par le Niger qui estime que les localités en proie au terrorisme sont en général celles qui sont les plus marginalisées où les jeunes sont laissés à eux-mêmes, sans débouchés et donc faciles à endoctriner ou à recruter. Le Tchad a préconisé le renforcement de la présence de l’Etat dans les zones touchées (surtout au niveau du lac Tchad). Le Mali a suggéré l’amélioration de la résilience des régions qui reçoivent des «réfugiés» et ce, en termes de santé, d’éducation, etc.
«Là où il y avait deux forages pour 200 personnes, il faut en construire un troisième pour les déplacés qui arrivent», a ajouté Dr Ra-Sablga Ouédraogo. Selon son développement, les Etats, à l’instar de ceux qui ont connu les plus grandes crises dans le monde, doivent faire en sorte que la dépense publique soit vertueuse en la dédiant à la production locale.
La dernière partie de la rencontre a consisté à donner la parole au public pour des questions d’éclaircissement. Pour certains intervenants, il y a suffisamment d’initiatives qui sont mises en place pour lutter contre le phénomène. Cependant, jusque-là, il n’y a pas de résultats satisfaisants. Au contraire, ils ont l’impression que le problème s’aggrave de jour en jour.
«Qu’est-ce qui ne marche pas? N’est-ce pas politique?». Pour les conférenciers, les guerres profitent toujours à des gens.
Z.S.