«Ne serait-il pas mieux de mettre fin à mes jours plutôt que de vivre une vie de misère sous le regard de mes enfants?». Voilà une question que Thérèse Zongo s’est souvent posée au cours de ces dernières semaines car, après 17 ans de vie commune, son mari va être rappelé au ciel le 24 décembre dernier.
Pour la ressortissante de Sourgoubila, un département situé dans la province du Kourwéogo, c’est le début d’une longue série de maltraitance.
Nous avons fait sa connaissance le jeudi 28 février 2019 au centre Adaja qui accueille des personnes ayant des difficultés. «Mon oncle est décédé au village et j’ai demandé la permission à mon époux pour y aller et présenter mes condoléances. Il n’a rien trouvé à redire et m’a même promis de me rejoindre s’il gagne assez d’argent pour faire le voyage. C’est le lendemain de mon départ qu’il a rendu l’âme», nous a-t-elle confié, précisant que son conjoint piquait des crises de folie une fois par mois et ce, depuis janvier 2018.
«Plusieurs fois, il a quitté le domicile, il disparaissait et il revenait au bout de quelque temps. A l’époque, aucun de ses parents ne venaient chez nous. Personne ne se préoccupait de lui. J’ai souffert seule avec lui, je l’emmenais à la prière… Il a perdu très tôt son père et sa mère», a-t-elle indiqué.
«Quand je partais pour le village, il se sentait très bien», a-t-elle souligné, cherchant toujours à comprendre ce qui s’est passé, d’autant plus que, selon le voisinage, le corps entièrement nu et meurtri, comme s’il avait subi des coups, a été retrouvé au milieu du domicile conjugal situé au quartier Rimkieta de Ouagadougou.
Jetée à la rue par sa belle famille
Selon les explications de la veuve, la belle-famille a emmené la dépouille au village et procédé à l’enterrement sans l’en informer, alors même que leurs deux familles vivent dans la même localité. «Ni les deux enfants de la première femme qui est partie de la maison en 2001, ni moi, ni la deuxième qui se trouve en Côte-d’Ivoire avec ses cinq enfants n’avons pu voir le corps», a affirmé notre interlocutrice qui, le regard baissé, parlait d’une voix lasse et faible.
Elle avait le visage d’une personne qui avait perdu tout espoir de voir le bout du tunnel. Pourtant, elle a trouvé le courage de raconter son histoire jusqu’à la fin: «C’est après l’inhumation qu’on m’a appelée. Lorsque je suis arrivée là-bas, ils m’ont dit que je l’avais laissé mourir seul et donc ils ne veulent plus de moi ni de mes trois enfants. Ils ont retiré mon vélo, m’obligeant à rentrer à pied. Ensuite, ils sont allés forcer les portes de notre maison où ils ont pris les papiers de la cour, ils ont pris la moto de mon mari, les habits, les plats, etc. On m’en a interdit l’accès».
A 37 ans, Thérèse se voit alors obligée d’aller chez un de ses frères. Mais, découvrant son état, celui-ci, par respect pour la tradition, n’eut pas d’autre choix que de la renvoyer. Elle se retrouve ainsi dans la rue avec sa progéniture. La victime qu’elle était va se rendre à l’Action sociale pour exposer son problème mais sans résultats. A l’en croire, la belle-famille estime que le domicile revient à la première épouse dont personne n’a entendu parler depuis son départ.
Ayant entendu parler du centre Adaja, la jeune dame décide d’y aller pour être aidée. «Nous n’avons plus de place. On a six logements pour 18 occupants. Tout est plein. Néanmoins, on ne peut pas la laisser à elle-même. C’est ainsi qu’on a approché l’Action sociale pour qu’elle puisse réintégrer son domicile. On a fait réparer la porte et elle y est retournée. Maintenant, sa belle-famille a monté les voisins contre elle afin qu’elle décide de partir d’elle-même», a indiqué Élisabeth Delma, fondatrice du centre. A Elienai Delma d’ajouter: «Nous essayons de lui trouver un petit commerce. Nous avons pris une convocation pour ses détracteurs mais personne n’a voulu la prendre».
On injecte des millions dans le 8-Mars alors qu’il y a des femmes qui souffrent vraiment
A la question de savoir si les services de l’Action sociale se sont maintenant engagés à défendre les intérêts de la mère de famille, notre hôte a déclaré: «ils ne font rien de spécial. On utilise leur nom pour faire peur à la belle-famille, sinon on nous a clairement fait comprendre qu’ils ne pouvaient rien faire».
Pour la mère et la fille, c’est tout à fait incompréhensible, surtout que le gouvernement injecte chaque année, des millions dans l’organisation du 8-Mars alors qu’il y a des femmes qui, loin des regards, subissent des choses inimaginables. «Nous voulons aider les gens mais nous avons aussi besoin du soutien de l’Action sociale. C’est difficile de résoudre un problème quand on va là-bas. Les gens vont te faire tourner en rond et tu finis par abandonner, car ils ne te donnent aucun espoir. Du coup, il y a beaucoup de femmes qui sont en train de subir dans le silence. Et quand elles viennent ici, il faut qu’on leur trouve un toit où dormir, de quoi manger, se laver et s’habiller. Certaines ont vraiment besoin de soins, il faut remonter le moral de celles qui pensent à se suicider, etc.», a déclaré Elienai Delma.
A l’en croire, Adaja a signé une convention avec le ministère de la Femme pour que dans certains cas, le département puisse déléguer des gens qui les écoutent et les guident quant à la procédure à suivre. «Malheureusement, ça ne marche pas réellement pour le moment… On a l’expérience mais on a aussi besoin d’accompagnement. Les maisons sont fissurées, les toits percés et en saison pluvieuse passée, on a demandé aux femmes de sortir pour leur propre sécurité. Elles nous ont clairement dit que c’était mieux de vivre dans un logement en ruine plutôt que d’être dans la rue», a-t-elle ajouté, l’air dépassée.o
Z.S.
Violée par un inconnu dans sa propre maison
Il y a quatre ans, alors que son mari était en voyage en Côte-d’Ivoire où vit une autre de ses épouses, Thérèse Zongo va être harcelée par un inconnu qui, à la nuit tombée, venait cogner sa porte. Pour sa sécurité et celle de ses enfants, chaque soir, elle allait trouver refuge chez les voisins. Mais un jour, en période de canicule, alors qu’elle était dans la cour, l’intéressé a réussi à l’agresser, un viol qui va aboutir à une grossesse. A l’époque, la belle-famille a voulu en faire un problème, contrairement à son époux qui a estimé qu’elle n’était pas fautive. Au bout de quatre mois, la grossesse a coulé d’elle-même, selon ses indications.
Adaja a permis à près de 3.000 femmes de se reconstruire
Le centre Adaja est né en 1970 grâce à Élisabeth Delma, une dame qui a toujours été sensible aux problèmes des autres. Elle apportait une aide financière à ceux qui étaient en difficulté jusqu’au jour où elle a eu l’idée de leur apprendre son savoir-faire, notamment le Faso danfani.
A travers elle, plusieurs personnes ont ainsi réussi à percer dans le secteur du tissage. Petit à petit, les gens se sont multipliés et la fondatrice a dû chercher un terrain pour diversifier les activités (jardinage, élevage, préparation du savon et de la bouillie enrichie pour les enfants). «Il y a trois ans, on a été admis à un concours de l’Occitane qui nous a aidés à redresser économiquement le secteur du tissage. Du coup, on a suspendu les autres activités pour professionnaliser cette branche… On fait aussi la sensibilisation sur l’hygiène, le planning familial avec l’appui des médecins, l’alphabétisation, on apprend à nos bénéficiaires comment épargner, etc. On accordait aussi des crédits mais on a arrêté car on a appris que ce n’est pas légal. On organise aussi les mariages collectifs. Plusieurs femmes ont acheté des motos et des non lotis qu’elles ont construits», a ajouté Elienai Delma.
A son avis, au cours de ses quarante années, Adaja a aidé plus de 3.000 personnes, sans compter les enfants abandonnés qu’il a recueillis. La seule reconnaissance que la fondatrice a eue, c’est l’Arrêté d’ouverture du centre que le ministère de la Femme lui a délivré en 2009.