En octobre 2018, le ministère des Ressources animales et halieutiques (MRAH) révélait que le Burkina Faso avait un potentiel de 250 millions de litres de lait par an, malheureusement 5% sont valorisés. Plus grave encore, selon les conclusions d’une rencontre des acteurs de la filière tenue en 2001 à Bobo- Dioulasso, il émane de leur document intitulé (G5) que la consommation de produits laitiers proviendrait des importations, surtout de la poudre de lait. Conséquence immédiate d’après eux, le manque à gagner pour l’Etat est de près de 10 milliards FCFA. Un manque qui pouvait profiter à toute la chaîne de valeur (production, transformation et commercialisation), pour peu que les nombreux goulots d’étranglement qui étouffent la filière soient levés par le politique. Telle est d’ailleurs la conviction des 360 membres (hommes et femmes) de la plateforme lait d’innovation de Banfora. Ces derniers ont permis à des journalistes de constater de visu les difficultés rencontrées par les producteurs, les collecteurs de lait et les transformateurs. Ceux-ci ont profité de notre passage, le mercredi 20 février 2019, pour lancer un vibrant plaidoyer au gouvernement burkinabè.
« Je dois parcourir 6 km pour abreuver mon troupeau »
Autrefois, mécanicien à Banfora, Aboubacar Héma s’est reconverti en producteur de lait (7 ans). Dans sa ferme située à 10 km de Banfora où il s’est installé sur fonds propres, il est aujourd’hui propriétaire de 12 vaches inséminées et de 18 autres non inséminées. Pour lui, il y a un manque d’eau criard dans la zone : « Je dois parcourir 6 km pour avoir l’eau ». Sa ferme a la capacité de produire jusqu’à 40 litres par jour pendant l’hivernage. Mais note que cela devait atteindre les 150 litres par jour. Il note qu’avec l’apport de la plateforme où il a pu bénéficier de formation et d’insémination, son revenu mensuel a augmenté et varie entre 250 000 FCFA à 300 000 FCFA par mois. Mais avant l’insémination, il était à 100 000 FCFA par mois. « Aujourd’hui, grâce à mes revenus, j’arrive à survenir aux besoins de ma famille », se réjouit-il.
La rareté de l’eau tue les vaches
La productrice Kadidiatou Sidibé est confrontée aux mêmes difficultés qu’Aboubacar Héma. Revenant sur la rareté d’eau pour abreuver les troupeaux, elle a raconté cette mésaventure vécue : « A la recherche d’eau pour abreuver mon troupeau de 22 têtes, quatre de mes vaches ont été écrasées sur les rails avant que quatre autres que j’avais fait inséminer ne subissent l’interruption de leur gestation ».
Les collecteurs de lait demandent des outils de conservation
Pour emmener le lait des différentes fermes aux Unités locales de transformation (UTL), il y a les collecteurs de lait. Dans le centre de collecte de lait Kaoworal/Kossam de Diarabakoko situé sur l’axe Banfora-Niangoloko, le Secrétaire général, Hamidou Sidibé, souligne que le centre est très productif en hivernage, avec 300 litres collectés par jour contre 100 litres par jour en période sèche. Aussi, il révèle que le prix d’achat du lait auprès des vendeurs varie selon les périodes. C’est ainsi qu’en saison sèche, le lait local est acheté au prix de 250 FCFA et revendu à 300 FCFA aux transformateurs et pendant l’hivernage, le lait est acheté à 300 FCFA et revendu à 350 FCFA. A notre passage, le cahier de collecte enregistrait 150 litres/jour.
48 millions FCFA de chiffre d’affaires en 2018
A ce jour, la plateforme lait Banfora dispose de 7 centres de collecte et de 4 UTL. Dans l’UTL « Aïcha Lait », la gérante Alima Tall/Ouédraogo mentionne qu’en plus des problèmes communs, la contrainte majeure des transformateurs est la rupture du lait frais en période sèche. Pour étayer cette contrainte majeure, elle laisse entendre qu’en saison pluvieuse, la laiterie se fait livrer 300 litres/jour contre 30 litres/jour en saison sèche. Refusant de dévoiler son chiffre d’affaires, celle qui a pris sa disponibilité dans l’enseignement nous confie, avec un sourire, que « l’activité nourrit son homme ». Si elle a été moins bavarde sur ses revenus, le président de la plateforme lait Banfora, Djakaridja Sirima, également transformateur de lait local, a confié avoir réalisé un chiffre d’affaires de 48 millions FCFA en 2018 contre 30 millions FCFA en 2015. Son UTL « laiterie Banfora Kossam », LABANKA, a été créé en 2010 et transforme par jour 500 litres de lait local. Il souligne que la vision de la plateforme est de produire 500 litres de lait par jour en toute saison. Mais pour y arriver, Djakaridja Sirima lance ce cri du cœur : « Nous n’allons jamais y arriver tant que l’Etat ne va pas s’engager à nous accompagner, notamment les transformateurs, car c’est la transformation qui tire la production… »
Ambèternifa Crépin SOMDA
Le plaidoyer des acteurs de la plateforme d’innovation lait de Banfora à l’Etat burkinabè
-Construction des petites retenues d’eau à vocation pastorale ;
-Faciliter l’accès des animaux au pâturage ;
-Faciliter la culture du fourrage en toute saison ;
-Construire des magasins de fenils (magasins de conservation du fourrage) ;
-Faciliter l’insémination des vaches pour augmenter la quantité de lait;
-Accroître le suivi sanitaire des animaux;
-Faciliter l’accès aux semences de qualité;
-Formation des producteurs, des collecteurs et des transformateurs;
-Doter les collecteurs de lait d’outils de conservation;
-Doter les collecteurs de lait de moyens de déplacement pour faciliter le transport du lait;
-Construire des parcs de vaccination;
-Trouver une solution définitive entre agriculteurs/éleveurs;
-Appuyer les plateformes d’innovation lait;
-Construction d’une UTL régionale;
-Equiper les autres UTL existantes en équipement adéquat;
-Faciliter l’accès au financement par les banques classiques.
Les contraintes qui empêchent la production et la transformation du lait local
-La rareté de l’eau pour le breuvage des animaux, surtout en période sèche;
-La non-disponibilité du fourrage en période sèche;
-Plus de zones de pâturage, sauf les zones protégées;
– Les multiples conflits agriculteurs/éleveurs;
-La non-considération du secteur élevage comme un levier stratégique;
-La rupture du lait frais en période sèche;
-L’inadaptation du matériel pour la conservation et la fabrication du lait;
-Le manque d’aliments à bétail;
-Le manque de formation des acteurs;
-Absence de piste pastorale, surtout en hivernage;
-Conflits agriculteurs/éleveurs ;
-La transhumance des animaux ;
-Accès difficile au financement par les banques classiques;
-Interdiction du bétail dans les forêts classées.