L’émission d’Alain Faucard à RFI, le dimanche 3 février 2019, portait sur le Franc CFA. Comme d’habitude, apparaît la guerre des tranchées entre les pro et les anti-Franc CFA, les avantages et les inconvénients de la zone franc, tout en laissant intact le fond de la problématique. En effet, de ce débat, on retiendra la prestation de monsieur Touré, directeur des opérations de la BCEAO. Sur la forme, il fut indéniablement le plus évoquant ; en défenseur du Franc CFA, il mit en évidence, la stabilité monétaire de la zone, le faible niveau d’inflation, la croissance économique de près de 6% l’an, la garantie du trésor français, la libre convertibilité et surtout illimitée du CFA en devises pour ne pas bloquer le fonctionnement des opérateurs économiques et des Etats. Or, à notre avis, cette convertibilité et l’accès illimité aux devises, qui apparaît, aux yeux de M. Touré, comme un point positif du dispositif de la zone Franc, nous semble sa faiblesse majeure, et pour cause:
1- Cette clause va à l’encontre des fondements de la Science économique, et nous la considérons comme un déni de la Science économique
2- Elle ne garantit pas la pérennité du système de la zone Franc.
La zone Franc n’intègre pas suffisamment les fondements de la Science économique
Depuis que Adam et Eve ont «bouffé le fruit défendu», la sentence de Dieu fut sans équivoque, «tu mangeras à la sueur de ton front», rien ne sera plus jamais gratuit, le paradis terrestre est terminé. Aussi, la rareté devient la règle et adieu l’abondance.
C’est ainsi que face aux besoins illimités et aux ressources rares, petit à petit, les hommes ont conçu une démarche rationnelle consistant à rechercher comment, quelle combinaison des ressources rares, leur donne le maximum de satisfaction ? Tout est rare y compris les devises françaises. Le fondement de la Science économique se trouve dans le mot rareté, et elle tente de répondre principalement aux trois questions suivantes:
Pour vivre ensemble dans une société, que devrait-on produire ?
Comment produire, ce qui est utile et nécessaire à la collectivité ?
Comment répartir les richesses ainsi produites entre les différentes composantes de la société ?
Si nous sommes dans une société dictatoriale, le dictateur décide de la réponse aux 3 questions pour l’ensemble sociale ; mais comme nous sommes dans des entités libérales ou à vocations libérales, ces questionnements se résolvent par le compromis social. Dans le cas des pays membres de la zone Franc, la «générosité française», en permettant une convertibilité illimitée du Franc CFA (parfois au-delà de leurs possibilités), place les pays africains dans une situation où ils peuvent faire l’économie de l’effort productif. Dans l’hypothèse d’un pays dont la fonction de production est nulle ou minimale, il peut continuer à consommer des produits américains, asiatiques, européens ou de n’importe quel pays par les importations, en ponctionnant dans les devises automatiquement.
C’est ainsi que la zone Franc place ses pays dans une espèce d’état d’euthanasie, où il ne leur manquera rien par le truchement des importations sans efforts, mais ils ne seront rien non plus car n’étant pas portés vers la production.
Ce faisant, les bénéficiaires de la zone Franc sont les acteurs de la chaîne des importations- commerçants de l’import, les transporteurs, les assurances, les hommes d’affaires et bien naturellement les banques commerciales-. Il se crée dans la zone, une espèce de bulle financière extravertie, profitable à une élite minoritaire, au détriment de la majorité des producteurs locaux. Ce mécanisme ne favorise pas une inclusion monétaire dans les pays de la zone gage d’un développement des marchés nationaux et sous-régionaux, socle de la croissance économique.
La pérennité de la zone Franc n’est pas garantie
L’abondance de la devise française pour les Africains comporte des limites du fait de la croissance des importations, de la diversification des échanges des pays africains.
La croissance démographique des pays africains, accompagnée de l’urbanisation et l’émergence d’une classe moyenne dans certains pays, entraînent une forte demande en produits importés, d’où une ponction sur les devises. Si les importations globales tendent à entamer sérieusement le compte d’opérations (les réserves au trésor français), il s’en suivra une remise en cause du système.
De plus en plus, les pays africains diversifient leurs importations en s’adressant à des marchés plus compétitifs que la France qui par ailleurs, perd des parts de marché en Afrique, même francophone. Si cette tendance devait se poursuivre, il est impensable que la France laisse accéder à ses devises pour des achats dans le reste du monde. Enfin, sur le plan politique, les responsables africains, surtout ceux de la zone UEMOA, ne cachent plus leur volonté de créer la monnaie de la CEDEAO, prélude d’un décrochage du CFA. Il en est de même en France où les nouvelles autorités politiques laissent la liberté aux Africains de choisir leur destin monétaire, tout en leur assurant un accompagnement.
Il est vrai que le débat sur le Franc CFA a une charge émotionnelle forte se ramenant, le plus souvent, en pro-CFA ou anti-CFA, en pro-Français ou anti-Français, tout en laissant de côté l’essentiel, l’apport de la Science économique. Tout pays qui répond sérieusement aux 3 questions fondamentales de la Science économique peut réaliser des progrès significatifs, à savoir :
Que devrait-on produire ? ç’est-à-dire bien choisir ce qui est utile et nécessaire ;
Comment produire ? Ce sont les bonnes politiques de formation et d’utilisation de la technologie dans le système productif ;
Comment répartir les richesses, une répartition équitable des ressources en fonction des efforts contributifs des composantes sociales ?
Le drame en Afrique réside dans le fait qu’au départ, on manquait cruellement de ressources humaines, de compétences, de porteurs de vision et de stratégie de développement. Ce gap est en train de se combler avec l’arrivée des générations montantes.
Février 2019