Le centre dont nous allons vous parler a une grande histoire. En effet, tout a commencé avec deux jeunes qui se sont connus lorsqu’ils faisaient leurs premiers pas dans l’univers de la danse. Il s’agit de Salia Sanou et de Seydou Boro qui ont acquis aujourd’hui, une grande renommée au-delà des frontières burkinabè et même africaines.
D’aucuns disent d’ailleurs qu’il est difficile de parler de danse dans le monde sans évoquer ces deux noms. Pourtant, du chemin, ils en ont parcouru car, selon les témoignages que nous avons entendus, ils ont commencé leur formation ensemble à Ouagadougou. Par la suite, leur aventure commune va les amener à initier, dans les années 95, la compagnie Salia ni Seydou qui, à l’époque déjà, organisait des formations à l’intention des danseurs et comédiens ouagalais et bobolais.
Très vite, l’idée de créer le Centre de développement chorégraphique qu’ils ont choisi d’appeler la Termitière s’est imposée à eux. Ils y ont vu un moyen de réaliser leur vision, celle de mettre sur pied une structure d’excellence entièrement consacrée à leur discipline. C’était aussi un moyen de participer à la formation et à l’employabilité des jeunes.
C’est sans doute pour cela que le gouvernement, en son temps, avait décidé de mettre des locaux à la disposition des initiateurs, locaux situés derrière le théâtre populaire, au quartier Samandin.
Après la construction du studio sur le site, le centre sera inauguré en 2006. Depuis, il est devenu une référence dans la sous- région de par les activités qu’il a développées au fil des ans. Unique en Afrique, ce cadre accueille des sommités de la danse contemporaine qui viennent de partout dans le monde. C’est du moins ce qu’a indiqué Salamatou Diéné, administratrice de ce centre que nous avons découvert le jeudi 14 février 2019.
Des formations gratuites pour permettre aux jeunes de construire leur vie
Au cours d’un échange à bâtons rompus avec la responsable de la Termitière, nous nous sommes surtout intéressés au programme triennal de formation appelé «Yeelen don», qui signifie danse de la lumière en langue dioula. Ce projet permet à toute personne qui le désire de recevoir les rudiments nécessaires afin de se professionnaliser.
«Nous faisons un appel à candidatures, on procède à une audition puis à des entretiens à l’issue desquels on retient en moyenne trente jeunes de profils variés (étudiants, danseurs traditionnels, danse urbaine, amateurs, etc.)», a indiqué celle qui est titulaire d’un diplôme en finances comptabilité.
Cette initiative vise à la réinsertion des jeunes. Raison pour laquelle les candidats retenus ne paient pas de frais pédagogiques. «On connaît leur réalité. Ceux qui sont là ont parfois du mal à se déplacer pour venir suivre les cours. Y en a qui viennent de loin à pied », a expliqué la jeune femme qui a intégré le centre en 2007 comme secrétaire comptable, avant de s’inscrire en Master de management de projet pour ainsi devenir l’administratrice à partir de septembre 2017.
«Même ceux qui viennent des pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Mali et le Togo ne versent rien, car nous savons qu’ils doivent se prendre en charge durant leur séjour. Par contre, ceux qui viennent des pays européens où il y a un système de bourse, on leur demande de payer», a-t-elle ajouté. La première promotion a commencé en 2010 pour trois ans. Il y a eu ensuite un flottement par manque de financement. Mais, en 2015, les responsables du site ont décidé de se lancer étant donné que la première vague a eu un impact énorme. « Les jeunes ont commencé à tourner partout dans le monde.
Du coup, on a décidé de s’appuyer sur eux pour encadrer les plus jeunes. Lorsqu’un chorégraphe venait pour une résidence de création, il procédait aussi à un partage avec les élèves », a souligné notre hôte, ajoutant que la troisième promotion qui a commencé en 2018 a également été lancée sans financement.
«Après la formation, on ne les lâche pas»
Selon les informations que nous avons reçues, les apprenants ne sont pas laissés à eux-mêmes après les trois ans de formation. «A la dernière année, on leur demande de formuler des projets s’ils en ont. Ils sont coachés et on les accompagne. En même temps, on développe des initiatives qui permettent leur employabilité. A titre d’exemples, on a le volet art et éducation qui a été animé par six jeunes de la deuxième promotion qu’on a employés.
C’est le cas aussi du projet hors limite. On les paie pour ces différentes prestations. Aussi, quand il y a des appels à projets, on les aide dans le montage de leur dossier, on les conseille, on les guide. Lorsqu’il y a des opportunités de stage à l’extérieur, on les place. On a aussi des partenariats avec des écoles en France où on envoie des jeunes pour des formations et des créations», dixit Salamatou Diéné.
Nous avons rencontré quelques jeunes qui ont conforté ces dires. Il s’agit de ceux qui ont bénéficié de la formation financée par l’Union européenne par le biais d’Africalia qui, ayant vu le bien-fondé du programme triennal, est allé chercher des fonds pour appuyer l’initiative. Dénommé «Je danse donc je suis», ce projet a été mis en œuvre au Burkina et au Mali. A la fin des trois ans, le CDC a repris l’ancienne appellation, à savoir Yeelen don. Mais, peu importe le nom qu’on donne à ces différentes sessions, il n’en demeure pas moins que les résultats sont les mêmes : elles ont ouvert des portes aux bénéficiaires.
C’est le cas de Bachir Tassembédo qui, aujourd’hui, se présente comme un danseur, interprète, chorégraphe. A l’école déjà, il participait, selon lui, aux concours inter-établissements. Et lorsqu’il quitte les bancs à partir de la classe de troisième, il évolue quelques temps au sein de plusieurs troupes. Petit à petit, il finit par en faire son métier, ce qui, au départ, était une passion.
Depuis treize ans, le jeune homme ne vit que de son art. Il fait également partie du comité de suivi mis en place par les directeurs artistiques pour permettre à eux aînés d’accompagner leurs cadets toujours en apprentissage.
Pour Ousseni Dabaré, par contre, on peut dire qu’entre lui et la danse, ça n’a pas tout de suite été le grand amour. Venu dans ce corps grâce au mari chorégraphe de sa sœur, celui que ses camarades ont surnommé Esprit mettra du temps avant de commencer à y prendre goût. Aujourd’hui, il en a, lui aussi, fait son métier. «Je ne sais plus faire autre chose, je ne vis que de ça», a affirmé celui qui, né d’une grande famille polygame, arrive à pousser ses jeunes frères et sœurs étant donné qu’il tourne depuis huit ans avec trois compagnies, dont celle de Oliver Tarpaga basée aux États-Unis et celle de Salia Sanou qui se trouve en France. Il effectue plusieurs allers-retours dans cette partie du monde et il estime qu’il est toujours aussi difficile d’avoir le visa pour effectuer ses voyages.
Son ambition c’est de créer son propre spectacle grâce à l’expérience qu’il a acquise. Pareil pour Mariam Traoré que nous avons trouvée en train de dispenser un cours aux élèves de la troisième promotion. Elle compte bientôt lancer sa compagnie qu’elle a mise sur place avec une collègue danseuse.
Un joyau inaccessible et entouré par des ordures
Ce sont autant d’exemples qui font la fierté du centre. «Nous sommes satisfaits, car on abat un travail formidable à l’endroit des acteurs, on accueille aussi des comédiens, et des téléréalités sont tournées dans notre studio. Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup de moyens. On dit toujours que les gens de la culture se plaignent mais ce ne sont pas des plaintes mais des réalités. Ailleurs, un centre comme le nôtre a automatiquement l’accompagnement de la région ou de la commune et du ministère pour pouvoir vivre sinon, ce n’est pas possible. Ce n’est pas une structure qui fait du commerce. Et même si on est dans un monde où on parle d’industrie culturelle, il faut que l’Etat mette la main à la pâte pour qu’on puisse faire face à certaines charges», a longuement expliqué Salamatou Diéné.
A la question de savoir quel est son cri du cœur, elle a poussé un soupir avant de déclarer : «Je ne veux pas parler argent. Par contre, s’agissant des alentours de la Termitière, je peux dire que ça c’est mon cri du cœur. Voyez l’accessibilité même au site. Quand les gens arrivent ici, ils sont étonnés de voir qu’il existe un tel joyau caché en Afrique. On peut se perdre en venant, surtout pour les étrangers qui ne connaissent pas la ville. Quand ils viennent, ils sont découragés. Regardez aussi la saleté qui nous entoure. Ça n’honore pas le pays. On a interpellé le maire et le ministre mais aucune réaction. Il y a aussi la réhabilitation du théâtre populaire. On cherche des financements mais les gens demandent l’appui quand même de l’État ».
A son avis, le CDC a redonné vie au quartier Samandin qui était un repère de drogués et de prostitués à une certaine époque. Elle estime que la Mairie doit travailler à contenir le marché de cycles, en le recadrant pour qu’il ne déborde pas.
Z.S.
Voulez-vous apprendre à danser ?
Le CDC propose plusieurs formations. Il y a les sessions pour les professionnels qui se tiennent sur sept ou dix jours au cours desquelles un chorégraphe apprend des techniques bien définies aux inscrits. Vous avez le stage international de danse. Organisé chaque fin d’année, il est ouvert à tous les passionnés, que ce soient les amateurs, les semi-professionnels et les professionnels. Il y a aussi l’art de l’enseignement qui permet de former des formateurs. Des cours réguliers sont aussi proposés à des gens qui ne veulent pas forcément devenir danseur. Ce sont des personnes qui ont envie d’apprendre des pas ou qui considèrent cela comme un sport de maintien. C’est tous les lundis, mercredis et vendredis à raison de 20 000 francs CFA le mois.
Le centre a aussi développé des activités comme le projet Art et éducation. Ce sont des ateliers organisés dans les écoles primaires et secondaires publics et privés à travers la ville, pour un éveil artistique des enfants et des jeunes. Il y a le projet Hors limite qui offre des ateliers aux réfugiés maliens vivant au Burkina Faso. C’est pour être solidaire d’eux et leur apporter l’espoir en les aidant à se reconstruire. Enfin, vous avez les résidences de création qui sont au nombre de dix par an en moyenne. Une compagnie peut occuper le studio et elle est hébergée au centre, avec restauration ; et pendant un laps de temps, elle réfléchit à la création de son nouveau spectacle.
Dialogue de corps, une des activités phares du CDC
Dialogue de corps est l’une des activités phares du CDC. La première édition qu’on avait appelée les rencontres chorégraphiques de Ouagadougou a eu lieu en 2001, sous la compagnie Salia ni Seydou. C’est un cadre de rencontre, d’échanges et de visibilité pour les acteurs de la danse. Le festival est aujourd’hui à sa douzième édition qui s’est tenue du 15 au 22 décembre 2018. Comme d’habitude, la biennale a invité les artistes autour de la formation, des spectacles et des espaces professionnels pour discuter de thématiques bien définies. Cette fois-ci, le thème était «territoire et imaginaire» qui a permis de faire écho à la crise migratoire que le monde vit aujourd’hui. Deux tables rondes ont été organisées, abordant politique culturelle, crise migratoire et création artistique, entre autres. Il s’agissait de voir comment les artistes contribuent à la reconstruction des personnes déplacées, chose qui peut se faire à travers les sensibilisations, les dénonciations, les critiques, etc.
Les participants à cette rencontre sont invités par les deux directeurs artistiques. «On ne fait pas d’appel à candidatures. Ils conviennent des productions qu’ils ont déjà vues et qui correspondent à la thématique à aborder. La priorité est donnée aux structures locales. L’année dernière, il y a eu 14 compagnies burkinabè sur 29 invitées», a précisé l’administratrice de la Termitière, Salamatou Diéné, qui nous a confié que de plus en plus, ils avaient du mal à inviter des étrangers par manque de moyens pour prendre en charge leur déplacement. Mais parlant de bilan, elle dira: «Il y a eu peu de moyens mais c’était une vraie réussite. Cette édition a été riche artistiquement. J’ai surtout été émerveillée par le public. Au début, quand on programmait un spectacle, c’était surtout les expatriés qui venaient. Mais de plus en plus, les Burkinabè viennent, ils posent des questions et font des critiques. On a eu aussi une innovation, à savoir le marché des arts chorégraphiques, premier en Afrique, qui a permis aux jeunes du Burkina de rencontrer des professionnels. Des spectacles ont été achetés et des gens ont été cooptés pour des formations en Europe».