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Assurance récolte indicielle : Les liens familiaux comme canaux de commercialisation

Chaque année, les agriculteurs du Burkina Faso doivent faire face à des pluies imprévisibles. Parfois trop faibles, parfois dévastatrices, ou encore irrégulières, elles sont pourtant indispensables à une agriculture principalement pluviale. Ces chocs sont ressentis jusqu’en ville où les familles doivent souvent couvrir de leurs propres poches les pertes dues à ces perturbations météorologiques. Comment faire pour que le paysan burkinabè puisse vivre dans la sérénité, et non l’angoisse d’une mauvaise saison ?

«Les migrants entretiennent des relations étroites avec leur village d’origine. Même à distance, ils reviennent pour visiter, ils investissent dans le logement, les activités sociales, l’éducation et les équipements de santé. Traditionnellement, le village de naissance est le lieu de prédilection pour la retraite éventuelle. La plupart des migrants essaient d’abord de trouver un nouvel emploi dans des villes, s’ils échouent, le village est leur dernier recours» [Beauchemin et Bocquier, 2004].
Ainsi, pour les migrants urbains, la possibilité de retour éventuel sert de filet de sécurité et constitue une incitation forte à investir dans leurs liens sociaux (et notamment familiaux) existants dans les zones rurales, y compris en apportant un soutien financier à leurs proches en cas de besoin. L´une de nos études réalisées en 2017 a révélé que la moitié des ménages ruraux enquêtés pour un échantillon de 400 ménages avaient déclaré avoir reçu fréquemment un soutien financier en cas de besoin de la part de personnes de leur famille ayant déménagé en ville.
Les données collectées nous enseignent que la principale raison de cette migration était économique (dans 61% des cas), et que les migrants exerçaient diverses professions avec une forte prépondérance pour le commerce (25%). Seule une petite fraction des migrants travaillait dans le secteur formel, mais un travail qualifié nécessitant un apprentissage comme par exemple la mécanique, la couture, la maçonnerie caractérise la plupart des migrants. Ces professions n’exigeant pas nécessairement un niveau élevé d’éducation, justifie le fait qu’elles soient à la portée d’une grande partie de la population rurale. Toutefois, les risques d’échec de s’établir durablement dans la profession peuvent être élevés, ce qui donne aux migrants une raison supplémentaire de maintenir leurs liens sociaux dans les zones rurales.
Comme de nombreuses études montrent que les liens urbains-ruraux sont souvent utilisés comme une stratégie d´adaptation et de gestion des risques, nous avons cherché à comprendre la part que cela prend lorsque les habitants ruraux ont dû faire face à des imprévus indésirables(ou chocs).
Dans notre étude, la moitié des répondants en milieu rural ont déclaré avoir subi au moins une fois un choc lors des trois dernières années. Pour y faire face, ils ont soit vendu des biens (32% des cas), soit demandé de l’aide à des parents (16%), utilisé d’autres mesures (33%) ou eu recours à un crédit (1%). Le dernier tiers rapporte avoir subi le choc sans aucune mesure d´adaptation. Ces chocs sont très majoritairement météorologiques et comprennent des sécheresses, des inondations, des interruptions de pluie pendant la saison et des pluies hors-saison. Les autres chocs tels que les invasions d’insectes ou d’oiseaux, les animaux sauvages et les feux de brousse ont été reportés 4 à 5 fois moins que les différents chocs météorologiques.

Les migrants urbains ont d’ailleurs corroboré ces données résultats en indiquant qu’ils ont reçu deux fois plus de demandes de soutien financier lorsque la pluie était insuffisante (60% d’entre eux recevant une demande) que lorsque celle-ci était suffisante (30%). Pour la plupart des cas, les migrants ont été en capacité de répondre favorablement ou positivement à la demande.

En partenariat avec PlaNet Guarantee et Innovations for Poverty Action, nous avons ainsi développé un produit d’assurance récolte indicielle innovant, commercialisé aux migrants urbains, et qui protégerait leur famille dans les villages, des chocs météorologiques tout en les protégeant eux-mêmes des incertitudes liées aux demandes de soutien venant de celles-ci.
Le principe est simple, le migrant urbain souscrit à une assurance météorologique pour couvrir des champs de leurs parents en milieu rural. En cas de choc météorologique, l’argent est transféré soit au migrant, soit directement au parent. Les précipitations sont mesurées à l’aide de données satellitaires à une résolution de 10 km2 et les paiements sont fonction de la pluviosité obtenue à trois stades de croissance des cultures (germination, croissance du deuxième stade, fruits et floraison).

Nous avons proposé, en 2017, cette assurance auprès de 124 migrants (à Ouagadougou) et 27 d’entre eux ont choisi d’y souscrire (21.7%). Les migrants auraient été plus enclins à souscrire s’ils avaient rapporté que leurs parents en milieu rural avaient subi un choc météorologique durant les 5 dernières années. Ils auraient été aussi plus enclins à souscrire si le paiement était fait directement aux parents en milieu rural qu’à eux-mêmes.
En nous basant sur ces résultats et avec le soutien de International Initiative for Impact Evaluation (3ie), nous avons récemment lancé une évaluation d´impact sur 4 ans afin de comparer la commercialisation de ce nouveau produit d’assurance récolte indicielle au niveau urbain avec le produit classique au niveau rural, de comprendre comment l’adoption des produits selon la stratégie de commercialisation évolue au fil des années, si les parents en milieu rural sont plus à même de souscrire à une assurance lorsque le migrant urbain y a souscrit pour eux la saison précédente, et enfin, de comparer l’efficacité en coût de ces deux stratégies.

Les potentialités de la mise à l’échelle sont multiples, ce nouveau produit est-il commercialisable dans d’autres pays ? Pour d’autres types d’assurance ou d’autres produits financiers ? Auprès de la diaspora ? Toutes ces questions restent ouvertes et nous espérons pouvoir y répondre dans les prochaines années. Affaire à suivre.
Lien pour lire la version complète du papier sur lequel cet article est basé

https://ideas.repec.org/p/csl/devewp/436.html.


IPA en bref

Innovations for Poverty Action (IPA) a pour mission de découvrir et de divulguer des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté dans le monde. En partenariat avec les décideurs politiques, IPA conçoit, évalue rigoureusement et aide à améliorer les programmes de développement ainsi que la manière dont ils sont mis en œuvre. Pour en savoir plus, poverty-action.org.

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