Tribune

Cession de la résidence principale ; La suppression de l’exonération de l’IR, une bonne idée? – Par: Salah Grine

Conformément à la Constitution du Royaume, le gouvernement soumet, chaque année, durant le mois d’octobre, à l’appréciation des représentants de la Nation, et également à l’opinion publique nationale, le projet de loi de finances. Objectif: l’enrichir et surtout en éliminer les dispositions contraires à  l’intérêt général et à la Constitution, avant son adoption. Et dans le PLF 2019, il y a, à notre avis, une disposition qui semble devoir particulièrement être soumise à cet exercice. Il s’agit de celle relative à la suppression de l’exonération de l’impôt sur le revenu sur la cession de l’habitation principale; un impôt communément et improprement appelé «TPI» (Taxe sur les profits immobiliers); car il s’agit davantage d’un impôt sur une plus-value que sur un profit qui, lui, n’est réalisé qu’à travers une activité professionnelle ou spéculative. Cette exonération, qui n’est, en l’état actuel de la législation, soumise qu’à la seule condition d’être en possession de son habitation principale pendant une durée d’au moins 6 ans, ne serait plus accordée que sur les cessions ne dépassant pas 1.000.000 de DH; les autres, même réalisées après 6 ans de possession, seraient toutes soumises à une cotisation minimale de 3% du prix de cession. Parce qu’à quelques exceptions près, l’on ne cède son habitation principale que pour en acheter une autre, et pas pour faire du profit, l’exonération de la plus-value sur cession de l’habitation principale est la règle dans beaucoup de pays, dont celui qui inspire notre législation et qui ne l’assortit, d’ailleurs, d’aucun délai, et qui va même jusqu’à exonérer, sous certaines conditions, la résidence secondaire. Au Maroc où tout cela ne semble pas couler de source, cette exonération a été très chahutée ces dernières années. D’abord conditionnée à une durée de possession d’au moins 4 ans, elle a été portée à 8 ans, pour être ramenée à 6 ans en 2013. Cela étant rappelé, cette nouvelle disposition réussit-elle le double test de l’intérêt général et de la constitutionnalité?
S’agissant de l’intérêt général, on peut s’interroger légitimement sur le bien-fondé de cette nouvelle disposition qui devrait, à notre avis, si elle venait à être confirmée par le Parlement, avoir au moins les conséquences suivantes:

Elle empêcherait la classe moyenne d’améliorer ses conditions de vie en changeant d’habitation ; et ce, tout particulièrement dans les cas où le changement serait une nécessité (mutation professionnelle, agrandissement de la famille, mésentente avec un voisin, problème de santé, difficultés financières…). Avec cette cotisation minimale de 3% et les frais qu’implique l’acquisition d’une nouvelle habitation: droits d’enregistrement (5%),  conservation foncière (1,5%),  honoraires du notaire et commission de l’agence immobilière (quelque 2,5%), changer d’habitation principale entraînerait une perte d’au moins 12% de la valeur de son patrimoine immobilier, sans compter le surcoût d’une éventuelle révision du prix de cession par rapport au référentiel immobilier. Ce qui donnerait beaucoup à réfléchir à plus d’un. Elle aggraverait le marasme que connaît, depuis un certain temps,  le marché de l’immobilier ; avec toutes les répercussions en chaîne que cela entraînerait sur les autres secteurs (matériaux de construction, banques, assurances,…). Ce qui pourrait impacter négativement les recettes fiscales en termes de TVA, IS, droits d’enregistrement… ; et ce, sans être certain, par ailleurs, d’obtenir l’effet escompté de la disposition qui pourrait se traduire par une réduction du nombre de transactions.
Elle priverait l’Administration fiscale d’un précieux moyen d’appréhender la réalité des prix sur le marché immobilier, puisqu’en l’absence d’imposition, les cessions sont généralement déclarées sans minoration.
Elle pousserait bon nombre de contribuables à la pratique du «noir» et   l’administration fiscale à la remise en cause des prix déclarés et tout particulièrement ceux frôlant le seuil du 1.000.000 de DH. Ce qui augmenterait le contentieux fiscal et, partant, la charge de travail de l’administration fiscale. S’agissant de sa constitutionnalité, la nouvelle disposition ne semble pas faire grand cas de l’article 39 de la Constitution qui dispose que «tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques». En effet, à cause de l’effet de seuil, il suffit que le prix de cession dépasse d’un Dirham le 1.000.000 de DH pour que le contribuable se retrouve redevable d’une cotisation minimale de 3% du prix de cession. Le plus équitable aurait été de n’appliquer cette cotisation que sur la partie du prix de cession dépassant le seuil ; une manière d’instiller de la progressivité dans cette imposition, seule parade à l’iniquité fiscale.  La nouvelle disposition interpelle également quant à son respect de l’article 6 de la Constitution qui dispose que «la loi ne peut avoir d’effet rétroactif». Même si en matière fiscale, il est d’usage d’apprécier la rétroactivité par rapport au fait générateur de l’impôt, on peut légitimement se demander si le fait de priver tous ceux qui avaient accumulé des années d’attente en vue d’atteindre les 6 ans pour bénéficier de l’exonération n’équivaudrait pas à une rétroactivité de la loi. Le plus équitable aurait été de limiter l’application de la nouvelle disposition aux seules cessions portant sur les habitations  acquises à compter de son entrée en vigueur.  En France où la non-rétroactivité de la loi n’a qu’une valeur légale (énoncée dans l’article 2 du Code civil et non la Constitution) et qui permet, par voie de conséquence, au législateur d’y déroger, la rétroactivité de la loi n’est admise pour les dispositions fiscales non-répressives que dans le respect des conditions suivantes:
«La loi doit être expressément rétroactive, c’est-à-dire présentée comme telle par le législateur;
La loi doit revêtir un caractère exceptionnel;
Le législateur doit poursuivre un but d’intérêt général;
La loi doit respecter l’acquisition de la prescription légale;
La loi ne doit pas porter atteinte aux espérances légitimes des contribuables»(1).
Au Maroc où la non-rétroactivité de la loi a une valeur constitutionnelle interdisant au législateur d’y déroger, la nouvelle disposition respecte-t-elle les conditions sus-énumérées ou du moins la dernière d’entre elles? N’attente-t-elle pas au «principe de sécurité juridique [qui] est une condition essentielle du bon fonctionnement des sociétés, [qui] implique que chaque citoyen puisse connaître, à l’avance et de manière précise, les avantages et les inconvénients de ses actes ; eu égard aux règles juridiques qui s’imposent à lui» ?(2)
La suppression de l’exonération de la cession de l’habitation principale n’est donc pas, de toute évidence, une si bonne idée.

(1) In aurelienbamde.com
(2) In www.Senat.fr.


 

Un antécédent

Contrairement à la majorité des sociétés qui sont soumises au barème de l’IS dont le taux maximum est de 31%, les établissements de crédit et  organismes  assimilés ; Bank Al-Maghrib,  la  Caisse  de  dépôts  et  de gestion, les sociétés d’assurance et de réassurance ; sont, quant à eux,  soumis à un taux unique d’IS de 37% ; et ce, non seulement parce qu’ils comptent parmi les plus grands contributeurs fiscaux du pays, mais aussi parce qu’ils bénéficient d’un monopôle, si ce n’est exclusif, du moins partagé.
Les opérateurs télécoms se trouvant dans la même situation, un groupe parlementaire de l’actuelle majorité avait proposé, dans le cadre du PLF 2014, de leur appliquer également le taux de 37 %.
En voilà une idée qui ferait, certes, trois mécontents, mais pas des milliers, comme le ferait la suppression de l’exonération de la cession de l’habitation principale.

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