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Elargissement de l’assiette fiscale: Foncier et les gains de capitaux, des terrains fertiles

Ces deux derniers mois, beaucoup de questions économiques ont été discutées au Burkina. Evasion et optimisation fiscales, maîtrise de la masse salariale, élargissement de l’assiette fiscale et surendettement du pays. Afin de mieux comprendre les décisions du gouvernement sur ces thématiques, L’Economiste du Faso a approché le Fonds monétaire international (FMI), dont la représente-résidente, Mame Astou Diouf Sow, lui donne dans cette interview le point de vue de son institution qui a un rôle de conseiller auprès du gouvernement. En fin de mission au Burkina Faso, Mme Diouf a, au cours de l’interview, évoqué les évènements marquants de son séjour au pays des Hommes intègres.

L’Economiste du Faso : Cette année, le FMI prévoit une croissance en Afrique subsaharienne de 3,4%. A quoi doit-on ce résultat ?
Mame Astou Diouf Sow, Représentante-résidente du FMI au Burkina: La performance de l’Afrique subsaharienne qui devrait atteindre une croissance de 3,4% en 2018, contre 2,8% en 2017, est portée par une progression des prix des produits de base et par l’amélioration de l’accès au marché international. Aussi, la région bénéficie des retombées d’une croissance mondiale plus forte estimée à 3,9%.

Quels sont les Etats les plus performants ? Et quelle est la progression de leurs économies ?
La croissance des Etats de l’Afrique subsaharienne est loin d’être uniforme. Dans plusieurs pays comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Ghana, la Guinée, le Rwanda, le Sénégal et la Tanzanie, la croissance s’est établie à 6%, ou plus en 2017, et devrait se raffermir encore en 2018. Cependant, d’autres pays restent à des niveaux faibles de croissance comme le Nigeria et l’Afrique du Sud ; tandis que d’autres encore sont impactés par des conflits internes. Ceci est par exemple le cas du Burundi, la République Démocratique du Congo et le Soudan du Sud.

L’Afrique du Sud et le Nigeria sont considérés comme les deux «géants» économiques régionaux. Dans le rapport, il est mentionné que ces deux pays sont en état de stagnation économique. Comment cette situation est ressentie sur la croissance globale de l’Afrique subsaharienne ?
En raison de leur poids économique important, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont deux pays qui influencent fortement la croissance moyenne en Afrique subsaharienne. En Afrique du Sud, la croissance estimée en 2018 reste relativement modeste à 1,5%, et au Nigeria, l’on estime la croissance à 2,1%, en raison d’une reprise de la production pétrolière bien qu’elle reste toujours plus faible qu’avant. Si l’on isole ces deux géants, la croissance de l’Afrique subsaharienne devrait rebondir et s’établir à 4,8% en 2018.

Malgré ces bons résultats, la croissance de la région ne dépasse pas les 4% ; soit à peine 1% en termes de croissance par habitant. Est-ce suffisant pour l’atteinte d’un développement soutenable ?
L’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) requiert une croissance forte et soutenue. Le défi est justement de s’assurer de la soutenabilité de la croissance. Un autre défi est que la croissance soit inclusive et génératrice d’emplois qui contribuent à la formation du PIB et à la réduction de la pauvreté. Pour cela, il est important d’avoir certains ingrédients en place:
(i) Une généralisation de l’accès aux services sociaux de base qui peuvent contribuer à améliorer le bien-être des pauvres.
(ii) L’accès aux services financiers qui permettent de stimuler l’activité entrepreneuriale.
(ii) Une éducation de qualité et adaptée aux besoins du marché du travail ; ce qui assure la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée à un coût raisonnable. La question de la croissance démographique est également une problématique forte, car la population jeune de l’Afrique est une richesse. Encore faudrait-il la rendre productive et savoir en bénéficier.

Le rapport évoque aussi un surendettement qui reste préoccupant dans de nombreux pays. Quels sont ces pays ? Le Burkina Faso en fait-il partie ? A quel point la situation du surendettement est-elle préoccupante ?
La dette publique est en constante augmentation en Afrique subsaharienne, et environ 40% des pays sont surendettés ou risquent de fortement de le devenir. Les pays considérés en surendettement en 2017 sont principalement la République Démocratique du Congo, l’Erythrée, le Mozambique, le Soudan du Sud, le Tchad, le Zimbabwe. Le risque de surendettement est passé de «modéré» à «élevé» dans des pays comme l’Ethiopie et la Zambie.
Pour d’autres pays, le service de la dette a atteint une ampleur telle que, si la tendance se maintient, les autres dépenses, notamment les dépenses d’investissement, seront contraintes.
Le Burkina Faso se classe dans la catégorie des pays à risque d’endettement modéré. Le ratio de la dette publique rapporté au PIB est passé de 30,4 % du PIB en 2014 à 38,3 % en 2017 ; reflétant la dynamique du déficit budgétaire-notamment celui de 2017 qui a dépassé les 8 pourcents.
Bien que le niveau de la dette publique reste relativement faible en comparaison avec les autres pays de la sous-région, le Burkina Faso reste vulnérable a des chocs qui pourraient impacter sa capacité à repayer la dette. Par exemple, des chocs qui réduiraient la valeur de ses principales exportations ou bien la croissance du pays seraient dommageables.

Le Fonds, dans ce rapport, prône l’élargissement de l’assiette fiscale. Cette pression ne sera-t-elle pas préjudiciable au plan sociopolitique ?
L’élargissement de l’assiette fiscale ne veut pas forcément dire alourdissement de la charge d’impôt pour les contribuables. Il s’agit de rechercher les niches insuffisamment fiscalisées. Par exemple, au Burkina Faso, le foncier et les gains de capitaux sont des terrains fertiles.
La lutte contre la fraude aide également à inciter certaines entreprises du secteur informel à devenir formelles. Je parle des entreprises qui sont dans l’informel non pas parce que leur taille est trop petite, mais parce qu’elles veulent bénéficier des services publics sans contribuer à leur financement.
Plus généralement, au-delà de l’élargissement de l’assiette fiscale, il s’agit aussi d’améliorer les recouvrements par une meilleure organisation des administrations fiscales et douanières, qui améliorerait leur efficacité et efficience.

Le rapport est axé sur la mobilisation des recettes fiscales, mais il évoque aussi l’assainissement des finances publiques. Comment soutenez-vous les pays dans cette démarche?
Pour la zone UEOMA, par exemple, les analyses du FMI ont montré l’importance de respecter le critère de convergence de 3 pourcents de déficit global d’ici à 2019, car au-delà de l’endettement, il s’agit aussi de préserver les réserves communes de change.
L’assainissement des finances publiques peut se faire de plusieurs façons. On a parlé de la mobilisation des recettes fiscales. Il y a aussi la rationalisation des dépenses courantes, et s’assurer que les dépenses d’investissement soient les plus efficaces possibles en tenant compte non seulement de la capacité d’absorption du pays, mais aussi en optimisant les processus de sélection, de maturation et d’exécution des projets d’investissement.
Pour un développement durable, l’investissement privé se doit d’être un relai à l’investissement public. Vous avez raison de penser que c’est une question de financement. Cependant, plus souvent qu’on ne le pense, c’est aussi une question d’environnement des affaires.
Pour ce qui est du financement, des programmes visant à améliorer l’accès au financement des PME/PMI par des initiatives comme la microfinance, la mise en place de bureaux de crédit, de registres de collatéral sont utiles. Les financements du type partenariat public-privé permettent également d’intéresser les entreprises privées aux projets qu’elles ne financeraient pas seules. Dans ce cadre, nous appuyons le gouvernement pour que le cadre réglementaire soit adéquat et qu’il y ait une gestion solide des risques. Au-delà de cela, nous appuyons des réformes destinées à améliorer l’environnement des affaires à l’image de la facilitation des importations et exportations, de la simplification des codes des impôts et des investissements, de l’assurance de l’efficacité du système judiciaire notamment pour la résolution des litiges en affaires.

Les plans d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980 ont laissé de douloureux souvenirs à l’Afrique. Ils sont accusés d’avoir appauvri une partie de la population par des mesures trop libérales. Aujourd’hui, quelles sont vos méthodes pour préserver les dépenses sociales ?
La politique sociale est au cœur de nos préoccupations. Déjà de façon générale, nos activités visent à soutenir le développement du pays ; développement qui bénéficiera inévitablement à la population. Ensuite, et plus explicitement, le programme qui vient de commencer contient un critère de performance sur l’exécution des dépenses sociales inscrites au budget. Ceci aide à s’assurer que l’allocation budgétaire dévouée aux programmes sociaux ne soit pas grugée par d’autres besoins émergents ; par exemple, en cas de déficit de collecte de revenus ou de dépassement d’autres postes de dépenses. Enfin, nous incitons les autorités à privilégier des programmes avec un ciblage efficace et à éviter par exemple les subventions dont les populations aisées bénéficient le plus. Un exemple flagrant de cette dernière catégorie est les subventions de prix à la pompe.

Le 12 juin dernier, le gouvernement lançait un forum sur la réforme du système de rémunérations des agents publics de l’Etat. Comment cette initiative est perçue par le FMI ?
La problématique de la maitrise de la masse salariale est importante pour s’assurer qu’une part des revenus du budget puisse servir à financer des investissements utiles pour maintenir un taux de croissance suffisamment élevé pour le développement soutenu de l’économie. La question est comment y parvenir. Le FMI effectue en ce moment une mission d’assistance technique pour aider à trouver des solutions à court terme. La question est complexe et dépend également des dynamiques de recrutement, de répartition géographique et par services administratifs, etc. Un pays a besoin d’agents publics pour pourvoir efficacement aux services dont la population et les entreprises privées ont besoin, pour que l’économie soit dynamique. Cela inclut l’éducation, la santé, la sécurité, les services administratifs et autres.
Cependant, il faut trouver un équilibre entre offre adéquate de services et poids financier. Le forum du 12 juin fut l’occasion d’explorer des options et de discuter entre citoyens burkinabè. C’est une initiative à saluer. Il faut s’assurer qu’elle porte des fruits tangibles.
L’évasion fiscale est une question d’actualité. Comment le FMI, dans son statut de conseiller, peut aider les Etats à mettre des garde-fous en place pour que cet argent qui s’échappe soit reversé dans les caisses des pays ?
C’est une grande question, en effet. Et cette question va au-delà de la fraude qui est ce à quoi on pense souvent. Il y a aussi l’optimisation fiscale qui, elle, est tout à fait légale et peut être même considérée légitime, car les entreprises sont dans leur rôle en voulant maximiser leurs profits.
Le FMI a envoyé plusieurs missions d’assistance technique pour aider à réduire les opportunités de fraude et d’optimisation.
Je citerais les missions d’assistance technique sur les prix de transferts, mais aussi celles sur la politique fiscale visant à renforcer la législation (que ce soit le Code des impôts ou le Code des investissements) et les capacités des administrations à faire face à l’ingéniosité des entreprises.
Quant à reverser les fuites fiscales aux pays d’origine, je pense que ce serait un chantier juridique de longue haleine. Je suis sûre que plus d’un y réfléchit.

Propos recueillis par NK

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