Docteur Adama Maïga est le directeur de la santé publique vétérinaire et de la législation à la Direction générale des services vétérinaires (DGSV). Dans cette interview réalisée le mercredi 7 février 2018, dans son bureau, il est formel sur le souci premier de l’interdiction d’importation du Tilapia qui serait d’ordre économique et qui viserait, au-delà tout, à protéger la production aquacole locale.
L’Economiste du Faso : l’arrêté ministériel portant interdiction d’importation du Tilapia de certains pays se fonde plus sur des raisons économiques que sanitaires. Pouvez-vous être plus explicites sur cela?
Adama Maïga, directeur de la santé publique vétérinaire et de la législation : L’arrêté ministériel qui interdit provisoirement l’importation, la distribution et la commercialisation de poissons tilapias en provenance de la Colombie, de l’Equateur, de l’Égypte, d’Israël et de la Thaïlande est d’ordre économique. Le virus du lac de Tilapias dont il question ici n’est pas transmissible aux humains. Il se transmet de tilapia à Tilapia. Il s’agit donc d’une mesure de précaution, parce que si le virus entre dans une ferme aquacole, il peut entrainer la mortalité de 80 à 90% de Tilapias dans l’étang.
Nous prenons l’exemple d’un pisciculteur qui investit une cinquantaine de millions de F CFA dans la construction de l’étang et près de 25 millions de F CFA dans l’achat des alevins, si son bassin est infecté, en deux semaines d’élevage, ce dernier va retrouver tous les alevins morts. C’est une perte énorme pour ce promoteur aquacole qui aura fait de l’investissement à perte.
Un autre exemple des conséquences économiques d’une telle maladie est que le Tilapia est le poisson le plus consommé au monde. Sa production mondiale est estimée en valeur à 9 milliards de FCFA pour une importation d’une valeur d’un milliard de FCFA. Si ces pays producteurs n’ont plus la capacité de fournir ces Tilapias très demandés, cela va poser un problème nutritionnel (protéines).
Enfin, au cas où la population de Tilapias est décimée, qu’elle autre variété de poissons pourra remplacer le tilapia? C’est au nom de toutes ces raisons que la FAO a tiré la sonnette d’alarme par rapport à la qualité de la nutrition qui va se substituer au tilapia s’il devrait disparaître. L’arrêté est d’ordre économique et nutritionnel, mais pas sanitaire.
Donc, vous-êtes catégoriques sur le fait que le virus du lac de tilapias ne présente aucun danger pour l’homme ?
Il n’y aucun risque pour le consommateur. Il peut le consommer sans problème. Le seul hic est que des personnes malveillantes peuvent utiliser la farine de poissons pour venir nourrir nos poissons, et si le virus y est présent, il y aura une contamination de nos tilapias.
Aussi, en utilisant du poisson congelé ; le poisson congelé ne tue pas le virus, mais l’endort ; une fois décongelé, on va aller enlever le foie, les biceps, les écailles, et c’est ça qui est souvent réutiliser pour nourrir nos poissons. Alors que le virus se localise spécifiquement au niveau du foie. Une fois jeté dans l’étang, les poissons vont les manger, et les conséquences sont vites arrivées. C’est pourquoi le ministère dit de ne pas importer tant les petits tilapias, les alevins que les produits issus de la transformation des Tilapias de ces pays infectés par le virus.
La FAO a tiré la sonnette d’alarme sur un virus mortel affectant les tilapias, il y a de cela 9 mois. S’agit-il de ce virus pour le cas présent ? Si oui, pourquoi avoir attendu tout ce temps pour se prononcer, surtout quand on sait que le poisson est un aliment très sensible dans sa manipulation ?
Le virus est apparu depuis 2014. Depuis cette date, les ravages n’étaient pas importantes comme aujourd’hui, parce que le virus sévissait dans des pays où l’aquaculture n’était pas très développée (Israël, Colombie et l’Equateur). Mais, c’est en 2017 que l’un des plus grands producteurs qu’est l’Egypte a été touché, se trouvant sur le continent africain, et comme l’Afrique est le grand consommateur de tilapias, il est plus qu’impérieux pour nos différents Etats de tirer la sonnette d’alarme. Le Burkina Faso n’a reçu la sonnette d’alarme qu’au mois de juillet 2017. A une rencontre de la Commission de l’UEMOA, nous avons échangé avec l’ensemble des pays membres, et beaucoup de pays nous ont dit qu’ils n’étaient pas informés du virus du lac de tilapias. C’est lors de l’élaboration de l’arrêté ministériel que nous nous sommes rendu compte que le Bénin et la Côte d’Ivoire avaient pris un arrêté similaire. L’arrêté étant un document interministériel, son élaboration prend beaucoup plus de temps. Sinon, le premier draft a été élaboré depuis septembre 2017 et, entre-temps, le dossier a été perdu et il a fallu tout reprendre.
Toutes ces raisons font que la mise en œuvre de l’arrêté a pris du temps. Malgré tout, il faut savoir que dès que le gouvernement burkinabè a été informé de l’apparition du virus, toutes les dispositions conservatoires ont été prises pour parer au plus pressé. Il faut aussi savoir que les grands importateurs de notre pays étaient déjà au courant du virus. Ils ont même été les premiers à venir vers les services techniques du ministère pour s’enquérir des mesures à prendre. L’arrêté ministériel vient régulariser une situation qui était déjà connue des importateurs. Mais, une rencontre est prévue dans les prochains jours avec les grands importateurs pour décliner une même vision en matière d’importation et voir comment sauver l’aquaculture locale.
Propos recueillis par RD
200 promoteurs agricoles locaux
Les raisons de la prise de cet arrêté ministériel sont plus d’ordre économique que sanitaire. «Le décret interministériel vise à protéger l’aquaculture au niveau national. Il ressort que pas moins de 200 promoteurs aquacoles sont enregistrés au Burkina Faso et que les demandes pour l’investissement sont en hausse. «Cette mesure va permettra à notre élevage de se développer, quand on sait qu’au Burkina de petits éleveurs importent des alevins et de la farine de poissons». Or si par mégarde, ils achètent le virus, ça peut créer une mortalité totale au niveau des élevages de poissons», note Dr Adama Maïga.
Ce protectionnisme qu’adopte le gouvernement vise à augmenter la production locale de Tilapias au profit de la consommation nationale. Le Burkina importe les 4/5 de sa consommation en poissons. En 2016, le pays a importé plus de 80.000 tonnes, contre une production nationale de 22.000 tonnes, d’après les statistiques de la douane. A terme, c’est de pouvoir réinvestir les sommes colossales injectées dans l’achat de Tilapias dans l’économie nationale. Toute chose qui engendrera une véritable industrie aquacole, source de revenus pour des milliers de jeunes en quête d’emplois. Le directeur général des Ressources halieutiques, Henri Zerbo, a exhorté les producteurs locaux à redoubler d’ardeur dans la production de Tilapias car, dit-il, cette variété est très prisée par les Maliens et les Burkinabè.