La question du leadership en Afrique est au cœur des préoccupations de l’Afrique. On s’interroge sur la capacité de chaque pays à produire des leaders en mesure de conduire la métamorphose qu’il faut à leurs économies et leurs sociétés: problématique cruciale puisqu’elle conditionne la capacité de ces Etats à relever les défis majeurs de l’Afrique (voir encadré).
La problématique du leadership en Afrique n’est ni théorique, ni académique. Elle a une finalité opératoire. La réponse en termes de politiques publiques se traduit par la réalisation d’objectifs précis, de performances mesurables et d’options programmatiques portées et mises en œuvre par les leaders, qui engagent des choix stratégiques.
Bien qu’il y ait des règles universelles, il n’y a pas de modèle idéal de leadership. Chaque leader forge ses spécificités, ses avantages comparatifs, son âme et son identité en termes gestionnaires dans le contexte familial, local, national, social, culturel et de formation. Par conséquent, le leadership obéit à des déterminants historiques et systémiques, et à ceux personnels liés aux valeurs intrinsèques et aux conditions du contexte.
Sur un autre plan, le leadership n’a de sens que par rapport aux problèmes à gérer, aux défis qu’il a à relever et aux finalités qu’il vise. Un autre préalable important à signaler, c’est qu’il y a de plus en plus de lien de cause à effet entre les facteurs immatériels et l’émergence de nouvelles générations de leadership. D’où l’importance grandissante de l’éducation, de la formation, de l’innovation et des valeurs dans la construction de tout développement futur de leaders de nouvelle génération en Afrique.
Enfin, les modèles de leadership du XXe siècle ont atteint leurs limites. Il est nécessaire, voire urgent, de bâtir de nouveaux modèles rompant avec la concentration-centralisation du pouvoir, l’individualisation du commandement, la gouvernance selon les schémas up-down. La gestion par le prima accordé aux moyens au détriment des résultats a vécu, de même que le management par l’action sur les structures au détriment de l’action sur les comportements. Enfin la gouvernance impose la logique de penser global et agir local pour faire du local un moyen de conquête du mondial.
L’Afrique évolue dans le cadre d’économies créant peu de richesses et d’emplois au regard de besoins immenses d’une population africaine qui explose. C’est ce qui conduit d’ores et déjà à une impossibilité objective des économies africaines de réaliser conjointement et la croissance et le plein emploi.
Cette réalité explique que des jeunes et des femmes s’adonnent aux activités informelles, aux activités illicites, à l’économie du crime, aux trafics et au commerce de substances dangereuses de tout genre, à la piraterie et migrations forcées.
Ce contexte exige des dirigeants un changement radical du mode de gouvernance de leurs économies et de leurs sociétés et par voie de conséquence, à fabriquer une nouvelle génération de leaderships.
Il faut réunir les conditions de production d’élites administratives et politiques dotées de qualités précises au premier rang desquelles la légitimité. Celle-ci suppose un mode de désignation (élection ou nomination) dont les ressorts essentiels sont les valeurs et critères de compétence, de mérite, d’engagement et d’intégrité à partir d’une compétition loyale.
Le leadership doit être soumis à un contrôle démocratique pour permettre une correction des déviances. D’où l’importance de l’évaluation indépendante des leaders par les membres de son organisation, à partir de mécanismes appropriés et innovants d’audit, de contrôle et d’évaluation de leurs performances.
De ce fait, le continent africain a besoin d’une nouvelle génération de modèles d’audit, de contrôle et d’évaluation fondés sur quatre principes:
– Mise en place d’institutions et d’outils de contrôle démocratique des activités et des politiques publiques
– Instauration de l’obligation de la certification politique des audits, du contrôle et de l’évaluation de ces activités et des politiques par la société civile organisée
– Création d’institutions de promotion des pratiques éthiques dans la conduite des affaires publiques
– Effectivité du principe de la reddition des comptes par les leaders africains.
Cette option éminemment stratégique suppose une réelle volonté politique collective à l’échelle de chaque pays pour s’inscrire dans cette nouvelle dynamique institutionnelle et sociétale, partagée par tous leurs acteurs et forces vives de leurs sociétés.
Abondance, rareté, insécurité et complexité
Les leaders africains auront à gérer trois défis majeurs: l’abondance et la rareté, la complexité et les nouvelles insécurités.
Le continent a en abondance des ressources humaines. Il a en abondance aussi des ressources naturelles, dont entre autres les minerais nécessaires à la nouvelle révolution post-industrielle ou ceux liés à la sécurité alimentaire, comme le phosphate, et encore des ressources énergétiques fossiles et renouvelables, ainsi que l’abondance des ressources immatérielles, en particulier un patrimoine culturel très diversifié et des savoir-faire locaux d’une réelle et immense ingéniosité.
Paradoxalement ces mêmes leaders auront à gérer la rareté des élites, des compétences et des ressources financières, indispensables à la croissance économique, à la cohésion sociale et au développement durable. Or, ni l’endettement, ni la pression fiscale et ni la rationalisation des dépenses publiques ne seront suffisants.
Les leaders africains se trouvent devant une complexité inédite. Or une nouvelle phase de développement mondial est en marche engendrant des compétitions entre les groupements régionaux, les nations, les firmes et les territoires.
Les gains de productivité sont de plus en plus déterminés par la connaissance, le génie, l’intelligence et la veille stratégique, entraînant une obsolescence rapide des savoirs, des savoir-faire, des qualifications et des technologies. Les droits acquis disparaissent rapidement, rendant complexe la maîtrise et la régulation des facteurs de la concurrence. Et ceci génère de nouvelles insécurités.
Les leaders africains font face à des menaces d’un genre nouveau: changements climatiques, insécurités hydriques et alimentaires, développement de nouvelles pandémies, cybercriminalité et ses formes supérieures le terrorisme et le radicalisme.
La pensée stratégique doit changer radicalement tout comme le management de la sécurité globale des Etats.
Et ce, alors que les contextes politiques sont instables ; instabilités aggravées par les conflits ethniques, le retard technologique, la désindustrialisation et des risques majeurs divers impactant la stabilité et la cohésion des sociétés africaines.
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NB 1: Ce texte s’appuie sur les conférences données par l’auteur le 7 novembre 2017 à El Jadida lors de la 38e conférence de l’Association africaine pour l’administration publique et le management (AAAPM) et le 1er décembre 2017 aux Journées d’études organisées à Rabat par l’Union africaine de la mutualité.
Qu’est-ce qu’un bon chef ?
La compétence du leader en matière de gouvernance des organisations, qu’elle soit publique ou privée, doit être à la fois technique (génie, intelligence et veille permanente), managerielle et organisationnelle.
Elle doit être aussi politique (avoir une vision et une stratégie), humaine et culturelle (gestion par les valeurs et gouvernance de proximité) et systémique (connaître l’environnement dans lequel évolue l’organisation et savoir conduire le changement), tout en ayant un ancrage dans les réalités des structures de cette organisation. Ces caractéristiques garantissent la réalisation de la confiance en le leader, sa crédibilité et son audibilité, conditions indispensables pour créer l’adhésion au projet porté par le leader, l’appropriation de ce projet par les acteurs de l’organisation, leur engagement collectif pour contribuer à sa réussite et in fine leur participation effective à la mise en œuvre de la stratégie arrêtée par le leader.