Trois ans après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, marquée par la chute du régime Compaoré, les Burkinabè dans leur majorité sont toujours dans l’attente du bien-être au plan socio-économique et politique. C’est la substance des communications livrées au forum sur les défis post-insurrectionnels organisé les 8 et 9 décembre derniers par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) et la coalition Ditanye (rassemblement de sept organisations de la société civile).
Il ressort des différentes communications un tableau sombre «d’un Burkina» qui pensait enfin avoir fini avec les pratiques peu orthodoxes de l’ère Compaoré. En effet, force est de constater que le désespoir se conjugue au présent dans le quotidien des Burkinabè. Pour le Pr Augustin Loada, le Burkina a manqué de prendre son envol sous la transition. «La période de la transition devait nous permettre d’opérer des changements structurels». Mais, en optant pour une transition de courte durée, s’indigne-t-il, les Burkinabè ont fait le choix d’un changement conjoncturel. Toute chose qui, à son avis, met ainsi les «insurgés» face à leur responsabilité.
La conséquence de cette déconfiture est le retour des vieilles pratiques peu vertueuses de gouvernance. A ce sujet, Augustin Loada remarque un seuil élevé des marchés publics caractérisés par les contrats de gré à gré. Reproduction donc des anciennes pratiques qui se traduisent par une économie concentrée entre les mains d’une minorité, a laissé entendre, pour sa part, Thomas Ouédraogo, directeur exécutif du CGD.
Les panélistes décrient par ailleurs un manque de lisibilité dans la planification et dans l’action
gouvernementale. Du constat fait par les communicateurs, les différents budgets du gouvernement sont essentiellement basés sur le fonctionnement de l’administration, au détriment de l’investissement. «C’est un système économique non adapté aux besoins réels des populations», insiste Thomas Ouédraogo, pour qui le gouvernement actuel s’inscrit toujours la réaction spontanée. Les décisions prises sont donc conjoncturelles plutôt que structurelles.
L’espoir tant suscité donc par la chute de l’ancien régime semble s’effriter peu à peu. Une situation exacerbée par le manque d’assurance du parti au pouvoir qui peine à trouver des réponses concrètes aux préoccupations des populations. Lesquelles se résument aux problèmes de justice, de chômage, de corruption et d’une gouvernance vertueuse. Mais ce qui inquiète le plus le Pr. Loada, c’est plutôt le retour «des discours arrogants et violents» sur la scène politique. Ainsi, pour le conférencier, le Burkina post-insurrectionnel rime avec un développement de la fracture sociale. Et le sociologue Ollo Pépin Hien d’indiquer que les partis politiques ont des stratégies de la conquête du pouvoir, mais sont dépourvus de stratégies de sa gestion.
Pour Augustin Loada, le MPP a réussi à cristalliser les mécontentements autour de sa gestion. Deux ans après sa prise du pouvoir, la machine MPP peine à décoller. Une lenteur qui contraste avec l’urgence des besoins sociaux du peuple. En conséquence, les partis politiques de l’ancien régime réunis au sein de la CODER reprennent du poil de la bête. Se lançant dans une analyse des systèmes partisans au Burkina, Augustin Loada note une reconfiguration des acteurs de la classe politique à la faveur de l’insurrection populaire. Cette recomposition, estime-t-il, suscite des interrogations sur la nature des alliances politiques. Notamment, la cohabitation entre le CDP et l’UPC dans l’opposition. Dans cette nouvelle configuration, poursuit Augustin Loada, aucun parti ne se dégage véritablement des autres : en témoigne les unions à l’Assemblée nationale. Au-delà donc de la vitalité démocratique que cela laisse entrevoir, on peut aussi l’interpréter comme un désaveu de la classe politique, a-t-il ajouté.
Sur la centaine de partis politiques que compte le Burkina, très peu ont une implantation d’envergure nationale. Il n’est pas toujours évident d’appréhender la différence véritable entre les idéologies des différents partis politiques burkinabè, dans les actions. «Il faut que les partis politiques aillent au-delà des visions idéologiques pour proposer autres choses aux populations», martèle Ollo Pépin Hien.
La reconfiguration de la classe politique post-insurrectionnelle a entrainé avec elle la recomposition de la société civile. Ce que le Pr. Loada qualifie de continuum entre les partis politiques et la société civile. Aux avants-garde de la lutte contre la modification de l’article 37, les organisations de la société civile ont joué un rôle indéniable dans l’ancrage démocratique du Burkina post-insurrectionnel. Cependant, nombre d’entre elles se sont inféodées aux partis politiques aussi bien de l’opposition que du parti au pouvoir. Cette proximité d’ avec le politique a valu aux organisations de la société civile une perte de crédit aux yeux des populations. Du tableau dépeint de la situation post-insurrectionnelle du Burkina, le Pr. Loada propose au gouvernement de rompre d’avec la gestion néo-patrimoniale du pouvoir. Les organisations de la société civile ont été invitées à repartir sur le terrain pour renouer la confiance avec les peuples. Sans s’inscrire dans la dynamique qui a prévalu à l’insurrection, David Moyenga, ancien député sous la transition, estime qu’il appartient à la jeunesse de prendre ses responsabilités.
CD
Selon le directeur exécutif du CGD, Thomas Ouédraogo, «il y a un moment pour chaque chose. Il y a un moment pour être dans la rue mais, il y a un autre moment pour voir ce qu’on y gagne ; parce qu’on s’insurge pour gagner. Donc, ce sont ces gains que nous voulons capitaliser à travers ces réflexions, mais pas une nostalgie d’un moment de perturbation. Il faut plutôt regarder l’avenir avec beaucoup plus d’optimisme, d’utilité de chaque entité».