Une organisation nigériane à but non lucratif aide les femmes à aider l’environnement, et à s’aider elles-mêmes.
Dans le Nigéria rural, cuisiner peut tuer. Selon l’Organisation mondiale pour la santé, préparer trois repas quotidiens sur un réchaud à bois traditionnel revient à fumer 20 paquets de cigarettes. Dès lors, il n’est pas étonnant que quelques 98 000 femmes meurent chaque année de complications respiratoires et cardiaques qui en résultent.
Les dégâts ne s’arrêtent pas là. Une journée ordinaire, les femmes et les enfants passent quatre heures à ramasser du petit bois pour ces braseros très inefficaces en termes énergétiques, sacrifiant du temps et de l’argent qui aurait été utilisés à meilleur escient dans des besoins tels que l’éducation. Puis vient l’impact environnemental. Selon Olanike Olubunmi Olugboji, fondatrice et directrice de l’Initiative des femmes pour un environnement durable (Women Initiative for Sustainable Environment, WISE), la déforestation que cette pratique provoque érode les sols et enclenche toute une série de problèmes. Sans mentionner les conflits entre fermiers et bergers pour disposer des terres arables restantes.
L’eau, un besoin élémentaire, présente ses propres risques. « A la campagne, les Nigérianes passent un tiers de leur temps à aller chercher de l’eau à de lointaines sources », explique Olanike Olubunmi Olugboji. « En chemin, elles peuvent être attaquées ou même enlevées. L’eau qu’elles rapportent est souvent polluée, rendant malades les membres de leur famille. Tout cela détourne leur temps et leurs ressources d’activités sociales et économiques plus productives ».
Olanike Olubunmi Olugboji, 43 ans, a passé une bonne partie de sa vie à essayer de comprendre ce casse-tête imbriquant pauvreté, questions environnementales et inégalité entre les sexes, et à tenter de trouver le moyen d’améliorer la situation. Enfant déjà, elle était gênée par les immenses inégalités qu’elle voyait entre les populations urbaines et rurales, et s’était jurée de contribuer à y remédier. Après un diplôme universitaire en planification urbaine et régionale, elle lance en 2004 le Réseau de gestion et de protection de l’environnement (EMPRONET), basé à Kaduna, pour promouvoir des pratiques environnementales constructives.
C’est grâce à ce travail qu’elle prend conscience de la relation dysfonctionnelle entre les femmes et l’environnement. « Par exemple, une femme aura beau faire tout le travail dans une ferme, elle se verra refuser le droit de posséder la terre. Elle aura beau être responsable de l’approvisionnement en eau, elle n’aura pas son mot à dire sur les questions d’eau et de sécurité. Les femmes sont presque toujours mises à l’écart des décisions qui affectent leur vie quotidienne ».
Olanike Olubunmi Olugboji ajoute que les effets du changement climatique – sécheresses et inondations, pénuries d’eau et de nourriture – rendent la tâche des femmes encore plus difficile. « Les filles doivent souvent abandonner l’école pour aider leur mère. Ce qui aggrave encore plus cette triste réalité, c’est que les femmes n’ont toujours pas un accès égal à l’information ni au capital. Elles ne sont donc pas armées pour s’attaquer à ces problèmes ».
Ces observations achèvent de convaincre Olanike Olubunmi Olugboji que les femmes pourraient améliorer leur statut social, économique et politique si elles pouvaient s’impliquer dans la mise en valeur et la gestion des ressources naturelles. Cette prise de conscience l’amène à recentrer les activités d’EMPRONET autour des questions environnementales qui ont un impact direct sur la vie des femmes : en 2008, EMPRONET devient WISE.
WISE, qui compte aujourd’hui deux employées à temps plein et deux employées à temps partiel, se concentre sur les questions d’eau, de déchets et de reboisement, souvent en partenariat avec d’autres ONG. « Notre objectif est d’impliquer les femmes au quotidien. Nous voulons qu’elles continuent à co-concevoir les solutions et à façonner leur avenir. Et qu’elles ne retournent surtout pas à une posture passive de victimes ou de bénéficiaires de dons ».
Pour ce faire, WISE adopte une approche intégrée, éduquant les femmes et leur offrant une formation dans des domaines allant du leadership et de l’autonomisation à la culture financière et à l’entreprenariat, en passant par le journalisme citoyen et les outils numériques. L’organisation accorde également de petits prêts et un accompagnement financier aux jeunes entreprises.
La méthode WISE s’est récemment illustrée lors d’un programme d’entrepreneuriat portant sur les fourneaux propres. Une trentaine de femmes (15 équipes de deux) ont participé à une semaine d’ateliers en avril et en mai. L’idée était de rendre ces femmes capables d’apprendre à d’autres les dangers des braseros et les avantages – sanitaires, financiers, environnementaux – des alternatives propres. Il leur a également été expliqué comment lancer une activité de vente de réchauds propres.
L’une des participantes s’est révélée particulièrement prompte à mettre cela en pratique. A l’issue de la première semaine, Binta Yahaya investit les profits de son petit commerce pour vendre la marque de réchauds propres qu’elle avait découverte lors de sa formation. Lorsqu’elle se rend à la deuxième semaine de formation, elle a non seulement vendu 70 réchauds, mais aussi conçu un prototype de poêle et demandé à un artisan local de le fabriquer.
A la fin du programme, chaque équipe a reçu deux réchauds propres et une subvention de 500 dollars pour sensibiliser leur communauté. Binta Yahaya vit l’autonomisation et l’entrepreneuriat comme un poisson dans l’eau. Avec sa coéquipière, elle a vendu 152 poêles, dépassant largement l’objectif de 120. Elle a également lancé une entreprise de biomasse transformant les déchets agricoles en briquettes de charbon de bois.
A ce jour, près de 7 500 femmes et jeunes filles] ont participé aux programmes WISE, ce qui a valu de nombreux prix à l’organisation et à sa fondatrice. Aujourd’hui, Olanike Olubunmi Olugboji rêve de mettre sur pied un centre de ressources et d’apprentissage écologique pour former 3 000 femmes chaque année.
« C’est formidable d’avoir libéré autant de potentiel, et que les femmes avec lesquelles nous avons travaillé profitent d’une nouvelle opportunité de réécrire leur histoire », déclare Olanike Olubunmi Olugboji. « Avec ce centre, nous pourrions faire tellement plus ».
Par Praise Olowe pour The Nation.