Trois ans après l’insurrection populaire, les familles des victimes attendent toujours réparations. Comment se fait la lutte pour l’indemnisation et pour la prise en charge des victimes ? Ont-elles des avocats qui les accompagnent dans leurs démarches ? A L’Economiste du Faso, Benon Auguste Bamouni, un des représentants des familles des victimes de l’insurrection et du putsch manqué, précise leurs véritables attentes.
L’Economiste du Faso: Trois ans après l’insurrection, où en sont les victimes dans leur combat pour leurs indemnisations et leurs prises en charge ?
Benon Auguste Bamouni, un des représentants des familles des victimes de l’insurrection et du putsch manqué: La lutte continue et, comme l’a dit Feu le Pr Joseph Ki-Zerbo, «nan lara ansra !» C’est pourquoi nous avons initié cette lutte et nous continuons de lutter. Notre aspiration fondamentale et première reste et demeure la justice, la vérité pour asseoir une société réconciliée avec son histoire en tirant les nécessaires leçons et enseignements pour orienter notre avenir. Il ne s’agit point d’une justice vengeresse pour nous. Non, il s’agit de permettre à chacun de s’expliquer et d’aider à la manifestation de la vérité.
Regardez par exemple dans nos communautés traditionnelles, lorsque qu’un membre est accusé, il est convoqué sous l’arbre à palabres pour s’expliquer, et à l’issue des débats, au regard des faits, si toutefois il est jugé coupable, les sages prennent une décision de lui permettre de réparer le tort causé à la société; pour ensuite l’y réintégrer en préservant son image, pour que cette personne puisse continuer d’être membre du corps social auquel elle appartient. Cela demande une introspection sérieuse de la part de cette personne; une humilité et une force de voir l’autre comme une dimension de soi-même et de considérer la sentence appliquée comme un élément de vertu pour se réhabiliter.
Cela demande de la part des victimes de considérer la personne mise en cause; au regard de son comportement d’humilité, de reconnaissance de ses torts et de ses regrets; comme capable de changements positifs qui puissent contribuer au progrès collectif et à la cohésion sociale. Dans notre lutte, nous observons tout ça: le comportement des acteurs, leurs intentions réelles au regard de leurs actes.
Pour l’aspect social, on peut souligner le premier soutien qui est le soutien de tout le peuple burkinabè, sans distinction aucune. Dans notre situation, on ne s’est pas senti orphelin. On a senti une solidarité manifeste de nos frères et sœurs, une mobilisation collective acquise à notre cause, une expression d’empathie. L’autre aspect est le soutien des autorités à travers une batterie de mesures sociales qui avaient été prises en Conseil des ministres par le gouvernement de la transition le 28 octobre 2014, et que l’actuel gouvernement a mis en œuvre ( prise en charge sociale des orphelins, soutien à certaines veuves et veufs, aide de 750.000 F CFA à certaines familles, 300.000 F CFA à chaque blessé, octroi de 8 logements sociaux à 8 veuves, soins apportés à certains blessés, évacuations de certains blessés en Tunisie). Mais il y a des questions qui demeurent encore pendantes parmi lesquelles :
– La hausse des frais accordés pour la scolarisation des enfants
– L’effectivité de la loi portant pupilles de la nation (prise en charge sanitaire des orphelins)
– Le suivi et la prise en charge de certains blessés qui souffrent encore dans leurs corps à travers leur affiliation à une assurance maladie
– L’accompagnement socio-professionnel pour certains blessés qui se trouvent dans une invalidité à vie et certains démunis.
Pour l’instant, aucune famille n’a reçu reparations. Ce qui est cité est un accompagnement social à travers le budget de l’Etat et les dons de certains bienfaiteurs à travers le ministère de l’Action sociale et de la Famille.
Y a-t-il aujourd’hui une liste exhaustive et validée des victimes et des ayants-droit ? Si oui, combien sont-elles?
Pour les cas signalés et enregistrés, au départ, dans le cadre de l’insurrection ils portaient sur 28 victimes, et pour le coup d’Etat, 15 ; soit 42 morts. Pour les blessés, il y avait certains noms qui ne sont pas passés par le circuit des hôpitaux traditionnels (Yalgado et Blaise Compaoré), mais il y a un recoupement d’informations sur la base des documents pour que personne ne soit oubliée. Il y a eu une commission qui a statué pendant une semaine pour dresser et harmoniser les listes et faire des recommandations.
Qui est votre interlocuteur au niveau du gouvernement ?
Au plan institutionnel, c’est le ministère de l’Action sociale, de la Solidarité nationale et de la Famille. Le ministre de tutelle porte nos préoccupations au niveau du gouvernement. C’est vrai qu’il y avait eu des insuffisances en termes de concertations et de communication, mais avec le temps, tout est rentré dans l’ordre et nous nous parlons plus régulièrement. Nous avons aussi le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Maurice Bonanet, avec qui nous avons un fil conducteur, et il communique régulièrement avec nous et porte également nos préoccupations; de concert avec son homologue de l’Action sociale. Dans le cadre des organisations liées aux festivités des anniversaires, nous travaillons également avec le ministre de l’Administration territoriale, Siméon Sawadogo. Le 26 octobre 2017, pour plus d’interaction, il a été convenu au cours d’une rencontre avec une délégation du gouvernement l’institution d’un cadre de concertations périodiques où il y aura un représentant des ministères de l’Administration territoriale, de la justice, de l’urbanisme, de l’habitat, de la santé, de l’Economie et des Finances, deux de l’Action sociale, de la mairie de Ouagadougou et 8 représentants des victimes; soit 2 par structure associative.
Le gouvernement a annoncé 4 milliards de FCFA pour la prise en charge des victimes. Est-ce le bout du tunnel pour les victimes?
Où commence le tunnel et où se termine-t-il ? Notre intérêt suprême n’est pas pécuniaire. Notre satisfaction totale et entière sera que le sang versé par les martyrs puisse servir à l’ensemble du peuple burkinabè. Que le sacrifice consenti puisse être la semence d’un nouveau pacte social sur la base de nos valeurs du burkindi: abnégation au travail, solidarité dans l’action, effort pour le bien-être commun, justice sociale, civisme dans l’action, respect de nos lois et des institutions, dignité d’être intègre, désir intense d’être utile à soi-même et à sa société où l’action publique se définit comme un pouvoir de servir, car «le vrai pouvoir reste et demeure le service».
Avez-vous déjà discuté des modes de calcul des prises en charge? Avez des avocats qui vous accompagnent dans votre démarche et pourquoi ?
Non, nous n’avons encore fait aucun calcul. Pour les avocats, nous en avons qui suivent le dossier. Et également, le MBDHP a mis à notre disposition un consortium d’avocats.
SW
Que pense Bénon Auguste Bamouni des autorités de l’ancien
régime dont des biens ont été détruits. Doivent-elles aussi être considérées comme des victimes?
«En tant qu’humain, lorsque mon frère ou ma sœur perd quelque chose, je dois lui exprimer toute ma compassion. Dans ce contexte; c’est qui s’est passé. Il y a eu un recensement effectué au ministère de l’Action sociale ; une commission ad hoc avait été également mise en place par le gouvernement de la transition qui a travaillé dans ce sens. Les personnes qui ont été victimes, les décédés (par leurs représentants), les blessés, ceux ayant perdu des biens; tous ont eu l’occasion de se déclarer en fournissant des justificatifs.
Nos structures regroupent les victmes de violences faites aux personnes physiques (décédés et blessés). Il y a des regroupements pour les personnes ayant subies des dommages matériels ou les pertes d’emplois qui œuvrent aussi sur le terrain et nous ignorons s’ils en font partie, étant donné qu’il n’y a pas de relations de collaboration entre ses structures et les nôtres. Il appartient à qui cette question? Nous n’avons pas le pouvoir de dire et de juger que X ou Y est victime ou ne l’est pas. Il y a des instances habilitées cela, et il leur appartient d’apprécier. Mais dans le cadre de notre organisation de lutte pour la justice, si toutefois Assimi Kouanda et Rasmané Ouédraogo, avec le respect que je leur dois en tant qu’aînés, sont convaincus de la noblesse de notre lutte et de sa mission qui est de contribuer à l’édification d’une société juste où tous se sentent bien, et qu’ils manifestent la volonté de se joindre à nous pour œuvrer en vue d’une justice pour les martyrs des 30 et 31 octobre 2017, du coup d’Etat du 16 septembre 2017, des crimes de sang et pour un Burkina uni et réconcilié sur la base de la vérité, nous les accueillons à bras ouverts. Ils sont nos frères, nous sommes leurs frères. Il est vrai que parfois l’égo surdimensionné et l’intérêt pour soi obstruent les tentatives de se dresser devant le miroir de la vérité et d’accepter malgré nos différences et de nos divergences que notre essentiel est d’être une famille capable de bonnes choses sur la base de la transparence des cœurs et de nos valeurs. Or, sans cela, c’est le chaos.