Le dernier trimestre de l’année commence sur des chapeaux de roue. C’est sur une cadence de 15 entreprises par semaine que les agents des impôts chargés du recouvrement rendent visites aux débiteurs des caisses de l’Etat. Accompagnés de la force publique et d’un serrurier, ils demandent aux travailleurs de vider les lieux et de tout arrêter. La serrure est changée et les activités suspendues.
Les premiers responsables sont invités à la direction fiscale de leur ressort pour transiger afin d’obtenir la réouverture sous condition de leur entreprise. C’est au pas de charge que cette opération s’effectue, depuis la dernière semaine de septembre, sur tout le territoire national. Les agents sont sur la brèche depuis un mois, et la liste des entreprises à visiter semble bien longue.
Deux directions sont principalement à pied d’œuvre pour cette opération: la direction des grandes entreprises et la direction des moyennes entreprises. 80% des montants sont dus par des entreprises logées à la DGE. Ces montants concernent des retards de paiements allant jusqu’ à 3 ans pour certaines sociétés. Sont concernées: les déclarations non versées, les taxes et des montants dus à des redressements fiscaux. Plus de détails avec le directeur des grandes entreprises, Innocent Ouédraogo.
L’Economiste du Faso: Les services des impôts procèdent actuellement à des fermetures d’entreprises pour non-paiements d’impôts. Que se passe-t-il exactement ?
Innocent Ouédraogo (Directeur des grandes entreprises du Burkina): Effectivement depuis la fin septembre, nos agents sont sur le terrain pour procéder à ce qu’on appelle des recouvrements forcés auprès de certains contribuables redevables des impôts. En principe, les entreprises font des déclarations d’impôts, puis viennent acquitter les montants dus. Certaines font des paiements partiels et ne reviennent plus; et d’autres n’en font pas du tout. Elles ne remplissent donc pas leurs obligations fiscales. A cela, il faut ajouter les contrôles que nous faisons sur site ou sur dossier fiscal des contribuables, qui peuvent aboutir à des redressements fiscaux. Ce sont ces montants dus qui sont concernés par cette opération. L’opération concerne donc les entreprises qui ne sont pas en règle vis-à vis des impôts.
Quel est la différence entre les recouvrements forcés et les autres types d’opérations?
De plus en plus, nous sommes orientés vers l’administration de services. Et en dehors des pouvoirs que la loi accorde à l’administration des impôts, nous pouvons aussi, par des méthodes de communication modernes, amener les entreprises à plus de civisme fiscal. La première démarche nous emmenés à discuter avec les responsables des entreprises, à prendre connaissance de leurs difficultés afin d’adapter les modalités de paiements à celles-ci. Parmi ces entreprises, il y en a qui bénéficient de notre écoute, et avec lesquelles on a de bonnes relations. Mais, il y en a aussi qui sont peu enclines à respecter leurs obligations, notamment quand il s’agit de paiements d’impôts. Lorsque nous constatons que, dans un dossier, il ya beaucoup de restes à recouvrer (RAR), des redressements sans suite, nous sommes dans l’obligation d’engager une procédure de recouvrement.
Le receveur est alors obligéd’établir un acte arrêtant la créance de l’Etat lorsque les délais de paiements spontanés sont échus. Il s’agit de l’avis de mise en recouvrement, qui sécurise la créance au trésor.
Une fois émis, la loi donne 8 jours au contribuable pour s’exécuter soit par paiement immédiat, soit pour convenir avec nos services des modalités de paiements. Ces modalités de paiements, il faut le préciser, sont une tolérance administrative qui n’excède pas 12 mois. En principe, dans nos dispositifs, si vous sollicitez des modalités de paiements semestres, ellessont cantonnées dans ce semestre.
C’est pareil si vous les sollicitez au second semestre. Cela doit rester dans l’année, car plus on met du temps, plus il est difficile de solder les dettes. Cela dit, nous étudions les dossiers au cas par cas. La meilleure des situations pour nous c’est que l’on s’entende sur la période la plus courte possible pour solder la dette. Ce que les gens ne savent pas, c’est que différer les paiements génère d’autres charges leur incombant. D’où le souci de limiter les délais de paiements.
Si au bout de 8 jours, l’avis de mise en recouvrement n’a pas reçu de suites, qu’est-ce qui se passe ?
Le receveur émet alors un Avais de mise en demeure de payer (AMD).
Cet avis est remis au destinataire, avec émission de décharge. Après cet AMD, le contribuable a un délai de 5 jours pour s’exécuter.
Au terme de ce nouveau délai, toutes les voies de poursuites pour le recouvrement la créance d’impôts sont ouvertes, notamment du fait de l’avis à tiers détenteur par lequel tous les créanciers dudit contribuable sont tenus de s’acquitter de toute créance due à celui-ci auprès du receveur.
Il ya aussi les fermetures administratives qui sont appelées, dans le cadre de la sociologie des impôts, des mesures vexatoires ; et qui visent à ébranler le créancier, de sorte que, face aux désagréments, il soit contraint à régler sa note.
Est-elle légale, cette façon de faire ?
C’est tout à fait légal! On entend dans les médias que nous engageons des actions illégales. Mais retenez que c’est tout une procédure qui aboutit à ces mesures de fermeture. Et nous prenons les précautions nécessaires pour respecter les règles. Avant de procéder au recouvrement forcé, nous émettons encore une lettre de relance, après l’avis de mise en demeure de payer. Cette lettre de relance laisse encore 48 h au contribuable pour réagir. Nous laissons la latitude à nos interlocuteurs de venir à nous pour convenir de quelque chose dans le sens du recouvrement. Tout cela devrait en principe nous éviter l’intervention sur le terrain que nous menons actuellement. Cela nous coûte de l’argent en termes de mobilisation des forces de l’ordre et de nos équipes. On aurait pu faire l’économie de cela et des désagréments causés à certains de nos contribuables.
Peut-on savoir combien d’entreprises sont dans votre collimateur ?
Nous ne pouvons pas vous donner un chiffre précis, parce que la liste est dynamique et elle évolue vite. Nous analysons les dossiers et constituons une short-list par semaine. Et vous savez que, tous les jours, des gens viennent payer des impôts.
Une entreprise peut être sur la liste et, entre-temps, on constate qu’elle est venue s’acquitter de tout ou partie de sa dette. Certaines entreprises nous appellent également pour avoir des infos sur leur situation et engager des procédures de règlement.
N’y a-t-il pas de faveurs à x ou y ?
Il n’y pas de faveurs particulières. Nous n’avons pas d’état d’âme. La procédure a été décrite ci-dessus. Si vous proposez des paiements conséquents, en fonction de vos dettes, on s’entend.Nous avons des critères qui sont, entre autres, l’antériorité de la dette, celle de la solvabilité et une évaluation des rapports entre l’entreprise et les services des impôts. L’entreprise est-elle récalcitrante ou pas ? Tout ce fait donc au cas par cas.
Le critère de solvabilité, c’est quand vous savez que l’entreprise peut payer, mais elle ne le fait pas ?
De façon caricaturale, on peut le dire ainsi. Parmi, les entreprises, certaines sont créancières d’autres structures, voire de l’Etat. On essaie de voir comment récupérer un peu; et nous nous informons sur la situation réelle de l’entreprise via d’autres sources.
Dans les bilans que les entreprises déposent, il y a des indicateurs que nous observons. Pour une entreprise qui est déjà étranglée par des dettes, ce n’est pas la même chose que pour une autre qui est en bonne santé et qui ne paie pas ses impôts.
Des entreprises fermées la veille rouvrent le lendemain. En 24h, ont-elles vraiment le temps de régler une partie de leurs dettes ?
C’est possible. On peut même se déporter sur place pour la fermeture et ne pas l’opérer, parce qu’entre-temps l’entreprise a réagi. Le bilan de l’opération de fin septembre montre que lorsque nous avions envoyé les lettres de relance, il y en avait qui avaient déjà réagi. Le samedi 30 septembre, nous avons travaillé jusqu’à très tard, pour justement attendre les contribuables qui souhaitaient procéder à des règlements.
Tout dépend de ce qui se passe entre la relance et notre présence sur le terrain. Quand on vient fermer chez quelqu’un qui doit 100 millions de F CFA et qu’en ce moment on nous informe que celui-ci à envoyer quelqu’un pour payer 90 millions de F CFA, il parait pour nous convenable de plus fermer. Alors, on reporte l’opération de fermeture pour engager des discussions sur les 10 millions de FCFA restants.
Fermer une entreprise de cette façon n’est-il pas une atteinte à son image ? N’avez-vous pas encore eu à faire face à une procédure judiciaire contre vous pour cela ?
Nous n’avons pas de problème dans le cadre de ces opérations. Ce sont les entreprises qui se mettent elles-mêmes dans cette situation. A la date d’aujourd’hui, nous n’avons pas encore été attraits en justice pour ce motif. Ce que nous faisons est légal. C’est au contribuable de prendre toutes les dispositions afin de ne pas se retrouver dans cette situation. N’oubliez pas que ce sont des mesures vexatoires qui visent justement une réaction de l’entreprise: celle de faire cesser la mesure en payant ses impôts.
La méthode semble porter ses fruits, pourrait-on dire.
Ce que je peux vous dire, c’est que, les premiers jours (vendredi et samedi), nous avons recouvré 185 millions de F CFA. Ce qu’on constate comme tendance, c’est que les premiers jours d’octobre 2017 sont nettement meilleurs en termes de recouvrements à ceux d’octobre 2016.
Il y a un effet induit par la présente opération, parce qu’il ya plus de paiements.En tout cas, nous encourageons les entreprises à se libérer de leurs dettes fiscales.
Nous avons sollicité et obtenu de notre hiérarchie de faire des modérations en fonction des efforts que les entreprises sont prêtes à consentir en termes de pénalités ou d’amendes. L’idée, c’est de les rassurer. Nous avons une certaine tolérance nonobstant les pouvoirs que nous donne la loi.
Peut-on savoir le montant que vous cherchez à recouvrer pour le dernier trimestre de cette année?
Par rapport aux objectifs de l’année, on a eu un premier trimestre difficile. Nos objectifs n’ont pas pu être atteints à cause des mouvements sociaux et des perturbations. Il est donc ressorti des gaps. Mais depuis 3 mois, la situation est redevenue normale. Nous sommes en passe d’atteindre nos objectifs, avec une tendance de 100 à 102 % pour la DGE. Mais c’est une tendance générale.
Pour répondre à votre question, nous devons recouvrer, en termes d’objectifs et de gap, 184 milliards de FCFA. Nous visons plus, parce que nous espérons encaisser des dettes fiscales également.
Si dans l’ensemble on arrive à 200 milliards de FCFA, ce sera un bon résultat pour le trésor. En ce qui concerne précisément la dette fiscale, si on réalise30% de recouvrements, ce sera également un bon résultat.
L’objectif n’est pas de nuire aux contribuables, mais d’assainir la situation de chacun, pour que l’on reparte du bon pied.
Des critiques estiment que cette opération n’est pas opportune, vu que la situation économique n’est pas très reluisante pour les entreprises, et qu’un recouvrement forcé en période de croissance aurait été moins douloureux. Qu’en dites-vous ?
Nous recevons également ces critiques. C’est valable pour les profanes. En réalité, nous avons des indicateurs de suivi. Quand on observe sur l’évolution des droits d’enregistrement, qui représentent l’argent que l’Etat injecte dans l’économie nationale, il ya une embellie. C’est signe que des marchés sont signés et que les entreprises travaillent. N’oubliez pas que nous sommes sur le segment des grandes entreprises.
Et puis les partenaires techniques semblent dire la même chose par rapport au retour à la croissance. C’est vrai que pour l’opinion générale, ça ne va pas; mais les choses sont en train de bouger.
Et puis, nous, nous accomplissons notre mission de recouvrements pour l’Etat, et c’est de l’argent qui repart dans l’économie pour financer les investissements. Le message que j’ai pour les entreprises, c’est de se mettre toujours en rapport avec leurs services fiscaux gestionnaires pour exposer leurs difficultés et convenir du meilleur moyen de paiement pour elles. Nous restons ouverts à elles, dans l’intérêt des deux parties.
L’utilisation de la force publique, comme c’est le cas actuellement, est un dernier recours.
Interview réalisée par AT
Fermeture pour dettes fiscales : comment l’éviter ?
L’annonce des fermetures pour impayés d’impôts a créé un vent de panique chez tous les patrons d’entreprises en retard de paiements, ou qui ont des difficultés de paiements. Et même ceux qui ont de légers retards se dépêchent d’aller régler leurs factures d’impôts.
La manœuvre semble donc porter ses fruits, et les caisses de l’Etat devraient en principe recevoir un surplus de contributions fiscales. Mais à la lumière de l’interview qu’à bien voulu nous accorder le directeur des grandes entreprises, il ressort clairement que les entreprises qui jouent la carte de la transparence ont une oreille attentive de l’administration fiscale lorsqu’elles se retrouvent en difficultés.
La leçon à retenir est de collaborer avec les services fiscaux et d’être proactif, si l’on veut éviter certains désagréments.